Répondre aux préjugés sur les migrations

Episode 2 : « C’est l’invasion ! »

, par ritimo

Influencée par les discours politiques et médiatiques, Francette pense que le phénomène de l’immigration s’est considérablement amplifié et qu’il est devenu un problème, voire un danger : « Le problème avec l’immigration, c’est le nombre. Avant, le taux était raisonnable. Rien à voir avec l’invasion des migrants qu’on connaît actuellement ! ». Cette nostalgie du « bon vieux temps », où le taux de migration était raisonnable et « l’intégration » des migrants possible, n’est basée sur aucun argument tangible : la proportion d’étrangers en France est quasiment stable depuis 80 ans !

Les chiffres de l’« invasion »

Depuis 80 ans, la proportion d’étrangers en France est stable. Dessin Claire Robert

En 2013, on comptabilise 7,4 millions d’immigrés présents sur le territoire français soit 11,6 % de la population (Migrations internationales 2013, Nations Unies.). Avec ce taux d’immigration, la France se classe au septième rang mondial, derrière les États-Unis (45,8 millions), la Russie (11 millions), l’Allemagne (9,8 millions), l’Arabie saoudite (9,1 millions), les Émirats arabes unis (7,8 millions) et le Royaume-Uni (7,8 millions).

Une personne née en Suisse et qui a obtenu la nationalité française fait partie des 2,7 millions d’immigrés français (c’est 4,1% de la population qui vit en France). Elle est Française ET immigrée. Une autre personne, de nationalité algérienne, qui vit en France depuis 40 ans est une immigrée étrangère, comme 4 millions d’autres personnes en France. Cela représente 6,1 % de la population. Dans le « bon vieux temps » des nostalgiques d’une immigration maîtrisée, les immigrés étrangers représentaient 6 % en 1926 et 6,3 % en 1990. CQFD : la proportion d’étrangers en France est constante depuis belle lurette !

La peur du clandestin

L’autre sujet qui focalise les peurs est l’immigration clandestine. Les images de pirogues surchargées de passagers, les naufrages de ces embarcations de fortune en pleine mer que véhiculent nos médias donnent l’impression que des flots de clandestins tentent régulièrement de débarquer sur les côtes européennes. Au-delà de l’émotion que ces drames suscitent, ces images alimentent une peur panique de l’invasion. Même si elle reste difficile à mesurer, l’immigration clandestine est estimée en France, par les gouvernements, de droite comme de gauche, comprise entre 200 000 et 400 000 personnes. Soit… au maximum 0,6% de la population française.

La France n’est pas davantage « envahie » par les migrants d’Afrique subsaharienne, qui ne représentaient en 2004 que 12% des migrants, alors que 35% d’étrangers venaient de l’Union européenne, 31% du Maghreb et 17% d’Asie (Enquêtes annuelles du recensement de l’INSEE, 2004 et 2005.).

In fine, de quoi devrait-on avoir peur ? De voir débarquer chez nous quelques dizaines de milliers de clandestins par an ? Ou de voir s’étendre un « cimetière marin » parce que la fermeture des frontières de l’Union européenne oblige les clandestins à choisir, au péril de leur vie, des routes toujours plus dangereuses pour rejoindre l’Europe ?

La libre circulation, ce n’est pas pour tout le monde ?

Pas vraiment… Alors que l’homme d’affaires européen ou états-unien peut voyager, travailler ou s’installer en famille à n’importe quel endroit du globe, la femme qui récolte le coton au Burkina Faso ou l’instituteur en Répu- blique dominicaine ne peuvent se déplacer que dans un périmètre très réduit, parce qu’ils n’ont pas les moyens de voyager ou que les pays riches ne veulent pas d’eux. De nombreux pays ferment leurs frontières à certaines nationalités et exigent des visas d’entrée, très difficiles à obtenir.
Comment justifier et accepter qu’une toute petite partie de la population puisse circuler et s’installer partout dans le monde, cependant qu’une autre, parce qu’elle n’est pas née du bon côté de l’hémisphère, est assignée à résidence ? Restreindre le droit de circulation de certaines personnes est d’autant plus incohérent que, par ailleurs, les marchandises et les capitaux circulent librement…

Une culture fermée, ça gangrène…

Si la France avait verrouillé ses frontières depuis cinq siècles, la « culture française » n’aurait pas été si dynamique et cosmopolite. Le musicien Jean-Baptiste Lully d’origine italienne, le pianiste Chopin d’origine polonaise, le peintre espagnol Pablo Picasso ou l’architecte Le Corbusier d’origine suisse, ont influencé à leur manière la culture française à un moment donné de l’histoire, et il y en a bien d’autres. Sans les apports culturels venus de l’extérieur, nous n’aurions jamais découvert certains rythmes musicaux comme la bossa nova brésilienne, le ska originaire de Jamaïque ; la salsa latino-américaine ou le coupé-décalé des communautés ivoiriennes vivant en France… Le « rap français » n’aurait pas eu les mêmes représentants (actuellement originaires du Congo, du Cap Vert, d’Haïti, du Maroc, du Cameroun, des Comores…) et pas les mêmes centres d’intérêts (préoccupations des jeunes issus de l’immigration ou des migrants, question de l’identité et des origines). Sans l’influence de la culture maghrébine en France : pas de couscous (troisième plat préféré des Français), pas de hammam, pas de cours de danse orientale… Notre langue ne se serait pas enrichie des mots kifkif, babouche, taboulé, abricot, bougie, massage… Une culture vivante est façonnée par ceux qui l’habitent et se renouvelle en permanence. Elle permet d’avoir des modes de vie et des façons de se divertir riches et variés.

Pour en savoir plus, lire le Petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations.