Le texte initial présenté par le gouvernement s’inscrivait déjà la lignée d’une frénésie législative sur ce sujet, avec plus de 20 lois en près de 40 ans, et dans cette « loi des séries » que l’on peut ainsi résumer : à chaque nouveau gouvernement son projet de loi sur l’immigration, et à chaque nouveau projet de loi des restrictions de droits supplémentaires pour les personnes étrangères.
Car le texte initial, faussement présenté par le gouvernement comme « équilibré », reposait en réalité sur une philosophie marquée par l’idée qu’il faudrait à tout prix continuer à freiner les migrations des personnes exilées jugées indésirables, par un renforcement continu des mesures sécuritaires et répressives. Au mépris de la réalité de notre monde dans lequel les migrations vont continuer à occuper une place croissante. Au risque de nouveaux drames sur les routes de l’exil. À rebours d’une vision fondée sur la solidarité et l’hospitalité, qui ferait pourtant honneur à notre humanité commune.
Au lieu de cela, le texte était dès le début très centré sur les mesures d’expulsion du territoire, visant à criminaliser et à chasser celles qui, parmi les personnes étrangères, sont considérées comme indésirables par le gouvernement. La notion de menace à l’ordre public y est instrumentalisée pour faire tomber les maigres protections contre le prononcé d’une mesure d’expulsion.
Et lorsqu’elles ne sont pas expulsées, les personnes sont placées dans des situations de précarité administrative, avec l’ajout de conditions supplémentaires pour accéder à un titre de séjour plus stable ou pour le faire renouveler.
Sous couvert de simplification des règles du contentieux, les délais de recours sont raccourcis, les garanties procédurales amoindries. Et pour réduire la durée de la procédure d’asile, le fonctionnement de l’OFPRA et de la CNDA sont profondément modifiés, avec un risque d’affaiblissement de ces instances de protection.
Quelques mesures étaient présentées comme étant protectrices pour les personnes migrantes ou à même de favoriser leur intégration. Mais elles étaient, au mieux, insuffisantes pour répondre aux enjeux d’accueil des personnes migrantes – comme la régularisation limitée à des besoins de main d’œuvre – ou à la nécessaire protection des enfants – comme l’interdiction partielle de l’enfermement des enfants en centre de rétention. Quand elles n’étaient pas dangereuses et contre-productives, comme l’exigence d’un diplôme de français pour l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel.
La vision des politiques migratoires sous-tendue par ces mesures a connu une inflexion encore accrue après le drame d’Arras, quand le projet de loi a été présenté comme la réponse politique à cet événement, avalisant un lien quasi exclusif et automatique entre immigration, délinquance et terrorisme. Accélération du calendrier, introduction des mesures répressives supplémentaires : c’est dans ce contexte que le projet de loi est arrivé dans la chambre Haute et que jour après jour, son examen a égrené son lot de mesures indignes, absurdes et dangereuses, portées par les parlementaires mais aussi par le gouvernement lui-même, venant durcir un texte déjà très inquiétant dès son origine :
- Suppression de l’Aide Médicale d’Etat ;
- Restriction du droit de vivre en famille via le regroupement familial, la réunification familiale ou les titres de séjour pour motifs familiaux ;
- Suppression des articles, pourtant très drastiques à la base, portant sur la régularisation dans les métiers en tension ou l’accès au travail des demandeurs d’asile ;
- Restriction des conditions d’accès à la nationalité française ;
- Renforcement de la double peine ;
- Rétablissement du délit de séjour irrégulier ;
- Mise à mal des protections contre les expulsions jusqu’à la suppression des protections contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF), au détriment de tout discernement et de toute considération humaine ;
- Durcissement de la rétention administrative, notamment pour les demandeurs d’asile ou encore facilitation des expulsions sans que la légalité de l’interpellation et le respect des droits ne soient examinés par le juge des libertés et de la détention.
Mais au-delà de l’examen parlementaire, c’est également le débat médiatique l’entourant qui s’est montré dramatique, distillant, y compris sur des médias de service public, son lot d’émissions et de propos anti-migration stigmatisants, caricaturaux, voire carrément haineux.
Il y ainsi urgence à ce que lors du débat à l’Assemblée nationale, des voix s’élèvent pour rappeler qu’une autre politique migratoire est possible, fondée sur l’accueil et la solidarité, le respect des droits et de la dignité des personnes. C’est au nom de ces valeurs que La Cimade rejette fermement ce nouveau projet de loi répressif.