Retour sur la crise des Rohingya

, par New Mandala , FARRELLY Nicholas

Les espoirs qu’avait soulevés l’élection de Aung San Suu Kyi à la tête de la coalition gouvernementale en Birmanie en 2015 ont été lourdement compromis au cours de la « crise de Rohingya ». Depuis la seconde moitié de 2017, cet « exemple parfait de ce qu’est une purge ethnique » (selon les mots d’un représentant de l’ONU), dirigé contre la minorité musulmane Rohingya, à la frontière avec le Bangladesh, a fait des dizaines de milliers de morts, et plus de 700 000 réfugiés jusqu’à présent. Or, la réponse de l’activiste pro-démocrate Aung San Suu Kyi n’a pas été à la hauteur de la crise.

Aung San Suu Kyi en meeting à Oslo, Juin 2012 @Geir Friestad (Flickr - CC)

Les analystes les plus compréhensifs mettent l’absence de réponse du gouvernement sur le compte de la tutelle de l’armée sur des postes clés, comme la Défense et l’Intérieur, et le manque d’expérience administrative des nouveaux fonctionnaires. La difficulté de gérer un chauvinisme boudhiste, un militantisme Rohingya parfois violent ainsi que des considérations géopolitiques délicates, n’est évidemment pas chose aisée. Cependant, Aung San Suu Kyi n’a pas non plus ouvert les portes du pays à l’aide humanitaire internationale ni aux journalistes et enquêteurs indépendants, ce qui, en tant que Conseillère d’État et Ministre de l’Extérieur, aurait été de son ressort. L’absence de membres de la communauté Rohingya dans les candidatures pour son parti, la National League for Democracy (NDL), n’a pas non plus favorisé l’intégration entre groupes ethnico-religieux. Enfin, son alignement avec la junte militaire et la ligne chauviniste bouddhique sur des questions clés la rend complice du drame Rohingya.

Il est probable que les crimes commis en Birmanie depuis l’été 2017 restent impunis. L’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud Est) est restée timide et divisée sur les réponses à apporter. Les deux plus grands pays musulmans de la région, la Malaisie et l’Indonésie, n’ont pas concrétisé de soutien réel aux réfugiés Rohingya du côté bangladais de la frontière, menacés par la saison des moussons. La Chine, qui n’a ouvertement aucun intérêt à dénoncer les violations aux droits humains, cherche à tirer profit de cette crise à sa frontière ; et les observateurs s’attendent à voir une diminution progressive de la réponse des pays occidentaux au fil du temps. Cependant, dans les sociétés démocratiques, l’activisme faisant pression sur les entreprises qui développent leurs activités économiques en Birmanie pourrait encore être l’un des derniers espoirs de pression internationale : la crise des réfugiés Rohingya au Bangladesh risque d’être une source de préoccupation humanitaire pendant encore longtemps.

Aung San Suu Kyi, qui incarnait l’espoir d’une alternative à la junte militaire birmane pendant des années, a donc cruellement perdu de son aura, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Birmanie. Ses rares apparitions publiques ne font que renforcer le sentiment de trahison chez nombre de ses anciens partisans : elle a en quelque sorte négocié sa stature de garante d’une politique éthique et digne pour rester au pouvoir et ne représente plus, pour beaucoup, une alternative réelle. La question est, jusqu’où tombera-t-elle ?

Voir l’article complet en anglais sur le site de New Mandala : http://www.newmandala.org/assessing-rohingya-crisis/

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