« Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en a pas assez s’il s’agit de satisfaire le désir de possession de certains » Gandhi
« Aucun problème ne peut être résolu avec le même niveau de conscience qui l’a créé. » Albert Einstein
La crise écologique globale est la plus importante forme de crise de civilisation que connait le monde capitaliste contemporain. La majorité des spécialistes et scientifiques s’accordent aujourd’hui sur la relation entre cette crise et les activités humaines ou plus exactement avec le mode de production, de distribution et de consommation capitaliste imposé à l’ensemble des citoyens du monde à travers le contrôle grandissant qu’exercent les multinationales sur tous les domaines de la vie (eau, air, plantes, médias, santé, éducation...). Ces scientifiques s’accordent aussi sur la gravité de la situation écologique de notre planète et la nécessité de maintenir la température du globe qui ne cesse d’augmenter à cause de l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Leur objectif est de limiter cette augmentation de température à 2°C, au-delà desquels nous atteindrons un point de non retour dont les conséquences sont difficiles à prévoir aujourd’hui, notamment avec la fonte des glaces dans l’Arctique et la libération de l’hydrate de méthane emprisonné pendant des millions d’années principalement dans les fonds marins de l’Arctique et dans le permafrost (pergélisol) de Sibérie.
Comme c’est la doctrine libérale qui domine le monde d’aujourd’hui, les tenants de l’économie ont créé pour le climat un marché ou plus exactement des marchés : marché des crédits de carbone déjà adopté par le protocole de Kyoto ainsi que le Mécanisme de développement propre (MDP), marché de déforestation qui est présenté comme la grande nouveauté. Résultat, et avant même sa ratification, des multinationales ont déjà accaparé des milliers d’hectares de forêts en chassant des populations locales de leurs terres.
Au Maroc, et à l’image de ses alliés occidentaux, certains décideurs et grands patrons cherchent à profiter de cette nouvelle aubaine que représentent les projets de développement propres. Ils sont en recherche de nouvelles possibilités d’enrichissement et d’accumulation de profits, cette fois sous prétexte de la protection de l’environnement et du développement durable.
Développement durable ? De quoi parle-t-on ? Quoi de neuf avec la nouvelle Charte nationale pour l’environnement et le développement durable CNEDD (2010) ? Quelle est la nature des nouveaux projets « verts » en cours au Maroc ? Qui va payer et qui en profite ? Y a-t-il des alternatives ?
Développement durable : de quoi parle-t-on ?
« Développement durable » est l’une des expressions en vogue aujourd’hui et qu’on retrouve partout, dans tous les discours des gouvernements de droite comme ceux de gauche, des patrons d’entreprises, de défenseurs de l’environnent, etc. Tout le monde l’utilise, sans en maîtriser véritablement le sens, ou plutôt les vrais sens qui restent aujourd’hui insaisissables voire contradictoires.« Sustainable development », expression très mal traduite en français pas « développement durable », est aujourd’hui un concept dévoyé.
Ceci dit, une des définitions qui présente un certain consensus est celle donnée par le Conseil mondial de l’environnement et le développement CMDE en 1987 (Rapport Brundtland : présidé par la ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland) :
« Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Mais, depuis son apparition, ce concept a été réadapté aux exigences du « dieu » marché et des multinationales qui ont inventé et imposé leur propre définition dont celle de M. Fabiani, PDG British Petroleum (BP) France :
« Le développement durable, c’est tout d’abord produire plus d’énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire, et certainement plus d’énergies renouvelables. Dans le même temps, il faut s’assurer que cela ne se fait pas au détriment de l’environnement. »
Ce concept apparait aujourd’hui davantage comme un compromis entre deux logiques pourtant contradictoires : une logique court-termiste, la logique du marché soutenue et prônée par une minorité parasitaire qui cherche à maximaliser ses profits en ayant la mainmise sur toutes les richesses et en les transformant toutes en marchandises (eau, air, rayon du soleil, santé, enseignement ; en 2009, 20% des plus riches du monde s’accaparent de 86% des richesses !) et une logique de long terme qui réclame notre responsabilité à préserver les écosystèmes, à préserver notre planète et ses richesses pour les générations futures. Cette logique est prônée par plusieurs organisations et militants pour la protection de l’environnement.
Si les défenseurs d’un tel compromis avec les multinationales et leurs patrons avancent le prétexte de les éduquer, de les influencer d’une façon progressive à adopter et s’approprier ce mode de développement responsable, le constat aujourd’hui est que ce sont eux qui se sont adaptés aux contraintes du marché et se sont même approprié la logique des financiers, se trouvant aujourd’hui perdus dans des considérations spéculatives de cours de tonnes de CO2.
Situation environnementale au Maroc et effets du changement climatique
Le Maroc est situé dans la région MENA, une région qui, malgré le fait qu’elle soit la moins polluante au monde avec 4,5% des émissions de gaz à effet de serre, sera parmi les régions les plus touchées par l’impact de ces changements notamment en terme de ressources en eau déjà très limitées.
Pour le Maroc, une étude récente sur les effets du changement climatique en adoptant le modèle MAGIC / SCENGEN prévoit :
- L’augmentation du niveau des mers compris entre 2,6 et 15,6 cm en 2020.
- L’augmentation de la température comprise entre 0.7 et 1 degré en 2020 et entre 3 et 5 degrés en 2080.
- La baisse significative des précipitations, particulièrement dans les zones du Nord : 7% en 2020, 20% en 2040 et 40% en 2080.
- Une augmentation des phénomènes extrêmes (sécheresse, inondations, etc.).
- Une chute des rendements agricoles pouvant atteindre 50% dans les années de sécheresse.
- Une régression des activités agricoles dans les zones côtières en raison de la forte salinité de l’eau.
En ce qui concerne la situation environnementale au Maroc, même les rapports officiels font état d’une dégradation manifeste dont le coût annuel est estimé par le gouvernement à 4% du PIB/an.
Pollution des eaux de surface et des eaux souterraines et marines :
- 90% des eaux usées sont déversés sans traitement et 52% sont jetés dans la mer (370 m3 des eaux usées urbaines et 940 m3 des eaux usées industrielles).
- 2 % des déchets ménagers seulement sont recyclés ou jetés dans des décharges contrôlées.
- 930 000 tonnes de déchets industriels sont émises par an, dont 42% sont concentrés dans la région du Grand Casablanca.
La dégradation des ressources naturelles et la biodiversité
- 1670 espèces de plantes et 610 espèces animales, dont 85 espèces de poissons et 98 espèces d’oiseaux, sont menacées d’extinction (voir le rapport du Secrétariat d’État chargé de l’eau et l’environnement).
- Dégradation importante due à une absence quasi-totale de contrôle des zones d’exploitation minière et des carrières (sables, gravas, etc.) avec des techniques d’extraction nocives pour l’environnement.
Projets de développement durable au Maroc : qui en profite ?
Au Maroc, comme c’est le cas au niveau international, la protection de l’environnement est confiée à des sociétés qui portent une grande responsabilité dans la détérioration de la situation environnementale, tel que le groupe ONA. Ce groupe, à travers son bras minier « MANAGEM », a été à l’origine de la dégradation des écosystèmes dans la plupart de ses zones d’exploitations minières. L’exemple de la mine de « LBlida » dans la région de Jerrada à l’est du Maroc est éloquent. Cette région continue à souffrir des conséquences des déchets toxiques laissés par Managem après son départ en 1998.
Le groupe ONA, à travers son bras « vert » cette fois, « Nareva », se présente comme un « leader national » du secteur de l’eau et de l’environnement au Maroc. Dans son dernier rapport de conseil d’administration, le groupe ONA décrit ce secteur, aux côtés du secteur de la télécommunication, comme des « relais de croissance ».
Après avoir bénéficié d’un contrat unique dans la région – et peut-être au monde – de gestion déléguée des services d’irrigation dans la région de « SEBTEL Guerdane » au sud du Maroc pour une durée de 30 ans, NAREVA s’est dernièrement octroyé la part du lion des projets de production d’énergie éolienne avec trois grands projets d’un coût total de 3 milliards de dirhams (260 millions d’euros) :
1. A Akhfennir, à 100 km à l’est de Tarfaya au sud du Maroc, avec une capacité de production de 200 MW équivalent à la consommation d’une ville de 1 million d’habitants.
2. La station « Foum laouad » à proximité de la ville de Laayoun avec une capacité de production de 100 MW.
3. La station « Alhaouma », dans la zone de Tanger.
Notons au passage que le président directeur de NAREVA « Mr Nakouch » est un ancien directeur de l’office national d’électricité, principal client de Nareva, un « revolving door »i à la marocaine cette fois !
Fin mars 2010, NAREVA a rejoint le grand projet « DESERTEC », aux côtés de grandes multinationales telles que Siemens, ABB, la Deutsche Bank, ABENGOA... Ce grand projet vise à couvrir 15% des besoins en énergie de l’Europe grâce à un réseau de centrales solaires dans un certain nombre de sites qui s’étendent du Maroc à l’Ouest à l’Arabie saoudite à l’Est.
Le coût total est estimé à 400 milliards d’euros dont 350 pour la réalisation des stations et 50 milliards d’euros pour les lignes de transmission nécessaires pour rejoindre l’Europe.
Cette interconnexion ainsi que l’initiative « Transgreen »ii et le plan solaire méditerranéen laissent présager un nouveau transfert de ressources énergétiques du Sud vers le Nord et donc le risque d’accaparement par ces grandes multinationales de ces nouvelles formes d’énergie qui vont encore une fois être assujetties à leur logique, la seule, celle de la maximisation de leurs profits.
Plan Maroc solaire
Un autre méga-projet a été présenté fin 2009 au Maroc devant le roi et en présence de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, à Ouarzazate au sud du Maroc. Il s’agit d’un projet de production électrique d’origine solaire. Un projet pharaonique d’un coût total estimé à 9 milliards de dollars et d’une capacité de production d’ici l’année 2020 de 2000 MW, ce qui représente 1/10e du Plan solaire pour la Méditerranée.
Le projet se décompose en 5 sites, qui seront réalisés d’ici à 2020 à Ouarzazate (500 mégawatts), Laâyoune, Boujdour (Sahara), Tarfaya (au sud d’Agadir) et Ain Beni Mathar (à l’est de Fès, centre). L’ensemble s’étendra sur une superficie totale de 10.000 hectares.
Un organisme spécial a été créé pour la gestion de ce projet, la MASEN (Moroccan Agency for Solar Energy) dont le patron n’est autre que Mustapha Bakouri, ancien patron de la caisse de dépôt et de gestion marocaine CDG. Si le texte final de la charte tarde à venir, la loi 57/09 portant sur la création de cette agence a été adoptée par les deux chambres en un temps record, une autre loi a aussi été votée, autorisant l’exportation d’énergie.
La cadre réglementaire étant mis en place, le modèle de financement est en cours de finalisation aujourd’hui. Les déclarations des différents responsables du projet laissent entendre qu’il sera aussi structuré selon le schéma dit « Build Own Operate and Transfer ». En clair, l’opérateur privé se charge de la construction de l’infrastructure nécessaire, la production de l’énergie et sa revente à l’ONE (office national de l’électricité). Avec un engagement d’achat de l’ONE sur une période de 20 à 30 ans, ce modèle de production concessionnelle, appelé encore partenariat public-privé, a déjà coûté très cher aux Marocains dans le secteur de la production d’électricité comme dans d’autres secteurs. La production d’électricité au Maroc est assurée à plus de 50% par des sociétés privées à travers des contrats trop généreux signés dans les années 1990 qui sont à l’origine du déséquilibre financier que connaît, aujourd’hui, l’ONE.
La production de l’énergie électrique à partir de sources renouvelables sera ainsi sous le contrôle des multinationales, ce qui pose des questions par rapport à notre souveraineté nationale vis-à-vis de ce secteur stratégique pour l’ensemble de l’économie. Une autre question se pose quant à la légitimité de ces décisions politiques et stratégiques qui auront un grand impact sur l’avenir de notre pays et qui sont prises par une poignée de technocrates loin de tout processus démocratique et sans aucune consultation des populations qui auront encore une fois à payer les conséquences économiques, sociales et écologiques de tels choix.
Mécanismes de financement des projets « verts »
D’autres mécanismes financiers ont été créés pour accompagner ces différents projets dits de développement durable, des fonds alimentés par l’argent des contribuables et qui ne manquent pas d’attirer les convoitises des sociétés « vertes » de tous bords :
- Fonds de développement énergétique (FDE) doté de $1 milliard et créé en 2008.
- Fonds de contrôle de la pollution industrielle.
- Fonds national pour la protection et la restauration de l’environnement.
- Fond Capital Carbone Maroc dont la mission principale est d’acheter des crédits carbones générés par des projets de développement propre (MDP) au Maroc par des investisseurs locaux en attendant de les revendre dans le marché mondial du carbone. Le capital de ce fond est de 300 millions provenant à 50% de la CDG, 25% de la caisse des dépôts française et 25% de la Banque européenne d’investissement.
Y a-t-il des alternatives ?
Pour les alternatives, il faut d’abord que les militants ainsi que les spécialistes et scientifiques honnêtes se débarrassent de l’illusion d’une protection de l’environnement à travers les mécanismes du marché. Force est de constater qu’aujourd’hui, une partie des défenseurs de l’environnement y compris des ONG s’intègrent dans cette logique en adoptant le principe du moindre mal et du fameux « There is no alternative » de Thatcher. Heureusement, d’autres organisations dont le réseau « Climate Justice Now » (Justice Climatique Maintenant) militent pour démasquer le vrai visage du capitalisme vert et l’hypocrisie des décideurs et grands patrons qui cherchent avant tout et comme toujours la maximalisation de leur profits. Ces organisations militent aussi pour de vraies alternatives dans la perspective d’une rupture totale avec le mode de production, distribution et consommation capitaliste, telles que :
- L’imposition de taxes aux grands pollueurs à la hauteur des dommages causés par leurs activités industrielles.
- La réappropriation par les populations locales de leurs ressources naturelles et leur participation effective dans la gestion de ces ressources.
- L’annulation de la dette financière des pays pauvres, une dette qui reste dérisoire face à la dette historique et écologique dont les pays du Nord leur sont redevables.
- La relocalisation en rapprochant les lieux de production et les lieux de consommation, ce qui est en totale contradiction avec la théorie des avantages comparatifs.
Sur le plan national, nous devons exiger un débat ouvert et transparent sur l’avenir énergétique de notre pays. Nous devons aussi exiger notre souveraineté sur ce secteur stratégique, une souveraineté qui passe nécessairement par la maîtrise effective de toutes les phases de production, gestion et distribution de ces énergies. Cela nécessite une gestion publique sous contrôle populaire, une gestion à caractère éco-social qui favorise les solutions techniques les plus écologiques et qui permette en même temps l’accès de la majorité des Marocains à ces ressources.