Nouveaux indicateurs de richesse

L’établissement des systèmes de comptabilité nationale avait institué le PIB (Produit Intérieur Brut) comme mesure de la richesse nationale, de la croissance économique et d’une certaine manière, du progrès. Pour autant, cet indicateur est de plus en plus contesté en ce sens qu’il occulte une série d’activités humaines qui contribuent à augmenter le bien être individuel et collectif tout comme celles qui, au contraire, génèrent des inégalités sociales et/ou des destructions écologiques et environnementales.
C’est pourquoi la nécessité de nouveaux indicateurs de richesse se fait de plus en plus prégnante, à la condition que ceux-ci puissent participer d’une véritable démarche de développement durable et d’une nouvelle approche et conception de ce que l’on entend par la richesse.
Face à la convergence des crises et le constat que le mythe productiviste de la croissance a généré l’accroissement des inégalités et la dégradation de l’environnement, il convient donc de « reconnaître l’absence de neutralité dans ce domaine » et « soutenir la nécessité d’ouvrir le débat sur les indicateurs à d’autres acteurs que les seuls experts [1] ».

Définition développée

Ce sont donc deux constats qui ont contribué à la critique du PIB (ou du PNB) comme indicateur de la richesse et comme échelle de valeur de nos modes de développement, à savoir les alarmes planétaires au niveau environnementales et l’insoutenabilité des structures d’inégalités sociales, induites entre autres par la financiarisation. Patrick Viveret rappelle à ce sujet que « « La fortune de quelque deux cent personnes correspond aux revenus de deux milliards et demi d’êtres humains (cf. Rapport mondial sur le développement) [2] », ou encore que « Bernard Lietaer, a pu avancer qu’avant la crise [celle de 2008, ndlr], sur les 3 200 milliards de dollars qui s’échangeaient quotidiennement sur les marchés financiers, seuls 2,7% correspondaient à des biens et services réels ! [3] ».
Un double constat qui avaient amené Gadrey et Jany-Catrice à conclure : « Les performances sociales environnementales et économiques ne vont pas toujours de pair [4] ». Un constat qui a fomenté le chemin vers de nouvelles réflexions, comme celles menées au sein du rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social : « Le principal atout de ce rapport réside dans la remise en cause du PIB en tant qu’indicateur de performance et de progrès [...] La Commission Stiglitz légitime aujourd’hui leurs critiques : le PIB, centré sur la production et la consommation marchandes et monétaires, ne prend en compte que certaines activités, ignore les effets prédateurs du productivisme et de la dérégulation sur la vie sociale et sur l’environnement. [...] Il est indifférent à la mise en cause des biens communs vitaux (eau, air, sol…) et à la violation des droits fondamentaux de milliards de personnes qui en résulte. Il a été incapable de nous alerter sur l’existence et l’aggravation des crises sociales, écologiques, économiques et financières. Il nous a aveuglés et rendus collectivement insensibles aux dérives de notre modèle de développement [5] ».

Exemples

En parallèle au PIB, d’autres indicateurs ont ainsi été mis en place, tels que :
 l’Indice de Développement Humain (IDH) et sa variante l’indicateur sexospécifique de développement humain (ISDH, crée en 1995). Gadrey note au sujet du classement sur la base de ce dernier : « On constate que les pays nordiques obtiennent d’excellentes notes notamment dans le domaine de la réduction des inégalités sous diverses formes. On note également que les quatre pays les plus mal classés selon le critère de la prévalence de la pauvreté (dans une liste il est vrai limitée à 17 pays) sont, dans l’ordre, l’Australie, le Royaume-Uni, l’Irlande et les États-Unis, qui sont des pays relevant du modèle social anglo-saxon et de ses valeurs [6] ».
 L’Indice de bonheur national brut au Bhoutan, reposant sur quatre piliers que sont la bonne gestion des affaires publiques, un développement économique équilibré, la conservation de l’environnement, la préservation et la promotion de la culture [7]
 Etc.

Historique de la définition et de sa diffusion

Lorsque l’on aborde la réflexion et le débat ouvert sur les nouveaux indicateurs de richesse, il est souvent fait mention du choix opéré par le Bhoutan en 1972 (via l’entremise de son roi Jigme Singye Wangchuck) d’abandonner le Produit National Brut (PNB) au profit de l’Indice de Bonheur National Brut. Si certains analystes considèrent que ce choix n’a pas amélioré le quotidien des habitants de ce pays asiatique, en revanche, cette initiative, relayée par quatre conférences internationales tenues entre 2004 et 2008 (deux au Bhoutan, et une en Nouvelle-Écosse et en Thaïlande) a motivé les Nations Unies à appeler ses États membres à se saisir de cette question [8] ».
La réflexion sur la richesse et une manière alternative d’en établir sa mesure s’inscrit également dans la filiation des travaux d’auteurs comme Jacques Ellul, Ivan Illitch ou encore Cornelius Castoriadis, et dans la remise en cause du productivisme et de la croissance comme horizon indépassable.
La prise de conscience de la problématique environnementale et l’inscription de la notion de « développement durable », notamment au sein de la déclaration de Rio (1992) ont également constitué un terrain propice à cette remise en cause des précédents indicateurs de production et de développement.
Ce débat a connu un regain d’intérêt depuis l’instauration de la « Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social » (voir Utilisations de la notion) - dite « Commission Stiglitz », et de la critique qu’en a formulé le Forum pour d’Autres Indicateurs de la Richesse (FAIR).

Utilisations et citations

« La Commission Stiglitz, du nom de son président Joseph Stiglitz, est née d’une proposition de Nicolas Sarkozy le 8 janvier 2008. Elle est officiellement intitulée « Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social ». Le but de cette commission est de développer une « réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives » et d’élaborer de nouveaux indicateurs de richesse.
La commission s’est réunie une première fois de façon plénière les 22 et 23 avril 2008.
Elle est divisée en trois sous-groupes de travail1 :
 « Questions classiques de mesure du PIB » présidé par Enrico Giovannini de l’OCDE
 « Environnement et développement durable » présidé par Geoffrey Heal de Columbia University
 « Qualité de la vie » que préside Alan B. Krueger de Princeton University
Plusieurs rapports intermédiaires de la commission Stiglitz sont depuis le 3 septembre 2008 accessibles en ligne, en anglais et en français, sur un site ouvert à cet effet.
 [9] ».
Son site officiel : Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social (dite Commission Stiglitz) : http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm
Bien qu’il ait été associé à cette commission, Jean Gadrey a exprimé des critiques vis-à-vis des limites que comportaient les travaux de cette dernière. Au sein du « Forum pour d’Autres Indicateurs de la Richesse (FAIR) », et au côté d’autres auteurs comme Patrick Viveret, Dominique Méda ou Florence Jany-Catrice, ils affirment : « Nous saluons donc cette avancée notoire en termes de diagnostic, de même que l’accent mis sur les inégalités, sur les enquêtes de budget temps ou sur la nécessité de valoriser les contributions positives des services publics.
Nous critiquons par contre la méthode de travail de la Commission Stiglitz, qui n’a ouvert aucun véritable dialogue avec les autres acteurs de la société civile. La mise en ligne pour un temps très court d’un texte complexe exclusivement rédigé en anglais ne peut tenir lieu de débat public.
Nous mettons aussi en question le profil d’une commission composée d’économistes. Comme si définir le progrès sociétal et s’interroger sur sa mesure pouvaient relever des compétences d’une seule spécialité. L’ampleur des défis et la complexité des sujets à traiter imposent la pluridisciplinarité et un nouveau rapport à l’expertise intégrant l’expérience vécue de tous les membres de la société.
Il ressort de ces travaux des propositions principalement économistes qui réduisent souvent les principaux enjeux planétaires à des consommations intermédiaires, des investissements, du capital brut ou net… et dont plusieurs aspects nous alarment […] Plus globalement, le rapport ne présente aucune perspective permettant à la société de se mettre d’accord sur la notion de progrès. Il ne suggère aucune piste pour débattre démocratiquement d’un nouveau projet de société visant le bien-être pour tous, ensemble, dans un environnement préservé et partagé, et pour inventer collectivement les instruments de son pilotage.
A ce stade, nous estimons que ce rapport est certes l’une des contributions à mettre au débat, mais qu’il ne peut constituer la nouvelle référence pour sortir de la dictature du PIB. Il est urgent que la société se mobilise pour « définir le monde que nous voulons » (Amartya Sen), puis pour construire les nouveaux indicateurs dont nous avons besoin. Il est urgent que les citoyens soient invités, via les instances consultatives existantes mais aussi de façon plus large, du local à l’international, à délibérer sur ces questions d’intérêt collectif [10] ».