Une situation dramatique au Venezuela
Depuis 2014, la situation au Venezuela est en nette dégradation : l’impasse politique d’une polarisation extrême, doublée d’une dépendance funeste au prix du baril de pétrole et à l’extractivisme ainsi qu’une corruption rampante dans les sphères de pouvoir, a débouché progressivement sur une crise humaine désastreuse –notons l’exemple des femmes enceintes qui cherchent par tous les moyens à accoucher en Colombie, car les pénuries font encourir des risques graves pour les futures mères et leurs enfants. Si les classes hautes puis moyennes ont quitté le pays avec l’élection de Chavez en 1999, ce sont aujourd’hui les classes populaires qui sont forcées à partir. La situation sociale, économique et politique du pays s’est dégradée depuis quelques années au point que l’UNHCR demande à ce que les Vénézuelien.ne.s qui quittent aujourd’hui leur pays soient reconnu.e.s en tant que réfugié.e.s et non seulement comme migrant.e.s économiques.
Vague de xénophobie violente en Amérique du Sud
Face aux quelque 2,5 millions de Vénézuelien.ne.s résidant hors de leur terre natale en 2017, les discours politiques sécuritaires et le durcissement des régimes migratoires gagnent du terrain depuis plusieurs années dans différents pays latino-américains. Mais c’est aussi une vague de violente xénophobie qui traverse les sociétés, régulièrement alimentée par des « fake news » (fausses nouvelles, informations erronées), comme le rappelle avec humour le journal en ligne péruvien Utero.pe. Souvent, ce sont les ressources économiques limitées des pays d’accueil et la nécessité de « prioriser » les nationaux dans les dépenses de l’État qui sont invoquées pour justifier le rejet des migrant.e.s ; et les journaux locaux publient des enquêtes qui associent parfois tendencieusement délinquance et migrantion. Cette résurgence xénophobe va parfois très loin, allant jusqu’à des actes extrêmement violents au motif de supposés actes de délinquance commis par des Vénézuélien.ne.s (rappelons d’ailleurs que les campagnes sociales violentes contre les délinquants ne sont pas nouvelles –la campagne « Chapa tu choro y déjalo paralitico » [« Attrape le voleur et laisse-le dans un état paralytique »] au Pérou promouvait déjà en 2015 les actions violentes contre la délinquance de rue ; mais cette violence revêt aujourd’hui en plus l’étendard de la xénophobie)
Ces réactions violentes sont d’un côté assez surprenantes, dans un continent pourtant uni par une langue et une histoire communes, que les accès nationalistes tendent à oublier. D’ailleurs, malgré les difficultés qu’implique l’accueil des migrant.e.s du fait du manque de moyens des différents pays d’accueil, et par-delà le sentiment d’abandon général de la société, la « crise migratoire vénézuélienne » semble moins difficile que dans d’autres régions du monde, notamment du fait de l’absence de camp de réfugiés, de la non-fermeture des frontières ainsi que de l’existence de liens culturels, historiques voire même familiaux entre les différents peuples des pays sud-américains. Enfin, comme les mouvements progressistes insistent à le rappeler, ces réactions xénophobes sont (malheureusement) assez ironiques étant donné les flux croisés de migrant.e.s des différents pays : si la Colombie est le pays qui reçoit le plus de migrant.e.s vénézuélien.ne.s, l’Equateur doit, quant à lui, composer avec la présence d’une forte communauté colombienne sur son territoire, due aux déplacements forcés liés aux guérillas. De la même façon, les Péruvien.ne.s qui alimentent la vague de xénophobie anti-« venaco » (anti-vénézuéliens) ont tôt fait d’oublier les discriminations dont souffrent leurs compatriotes en Argentine ou au Chili.
Un contexte latinoaméricain tendu
Il est malgré tout nécessaire de revenir sur le contexte socio-politique dans lequel s’inscrit cette vague de xénophobie : tensions autour des élections en Colombie, scandales de corruption impliquant des hauts fonctionnaires du système judiciaire au Pérou, incertitudes politiques au Brésil autour de la possibilité de la candidature de Lula et la tentative de Michel Temer de gagner l’approbation populaire (très contestée après le coup d’Etat) avec la militarisation des frontières brésiliennes... On peut se demander dans quelle mesure le sentiment xénophobe n’est pas, comme ailleurs, un moyen de canalisation des frustrations populaires sur un bouc émissaire, dans le cadre d’un malaise socio-économique et politique grandissant.
Ainsi, si les conditions structurelles ne sont effectivement pas comparables, le nationalisme, la xénophobie et la violence contre les migrant.e.s ne sont pas l’apanage de l’Europe ni des États-Unis. La situation au Venezuela ne semblant pas s’améliorer, le défi de l’accueil des migrant.e.s vénézuélien.ne.s et de leur intégration sereine dans les pays voisins est encore plein d’enjeux en Amérique latine.