La loi sécurité globale a été définitivement adoptée le 15 avril par l’Assemblée nationale, à 75 voix contre 33, au terme d’un débat soumis aux exigences de la police et dont nous n’attendions plus grand chose (lire notamment notre analyse de l’examen en commission à l’Assemblée ou au Sénat).
La prochaine étape sera l’examen de la loi par le Conseil constitutionnel. Nous lui enverrons bientôt nos observations. Avant cela, prenons un instant pour résumer les changements juridiques qui, sauf censure de la part du Conseil, résulteront de cette loi.
A. Surveillance
Tel qu’annoncé dans son récentlivre blanc, l’objectif du ministère de l’intérieur est de faire entrer la police dans une nouvelle ère technologique pour les JO 2024, où la France pourra exposer son armement de pointe aux clients venus du monde entier – qu’il s’agisse d’armement jusqu’alors interdit (caméras par drones et hélicoptères) ou pré-existant mais que la loi sécurité globale va généraliser (caméras piétons et fixes).
1. Drones
- le préfet pourra autoriser la police et l’armée à capter des images par drone pour une période et un périmètre qu’il fixera ; l’autorisation pourra être justifiée par l’une des finalités listées par l’article 47 :
– « appui des personnels au sol en vue de maintenir ou rétablir l’ordre public » en cas de troubles graves ou difficultés d’intervention en manifestation ;
– « protection des bâtiments et installations publics […] particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation » ;
– « régulation des flux de transport » ;
– « surveillance des frontières » ;
– lutte contre le terrorisme et les infractions graves ou se produisant dans des lieux dangereux ou difficile d’accès.
- pour une période « expérimentale » de cinq ans, le préfet pourra autoriser la police municipale à capter des images par drones afin « d’assurer l’exécution des arrêtés de police du maire et de constater les contraventions à ces arrêtés » (article 47) – ces arrêtés pouvant par exemple concerner la taille des terrasses ou la fermeture d’un lieu ouvert au public ;
- les pompiers ainsi que les militaires et associations agréées de sécurité civile pourront aussi capter des images par drones afin de secourir les personnes et prévenir les risques (article 47) ;
- pour ces trois cas de captation d’images par drone, sont interdits la captation du son, l’analyse des images par reconnaissance faciale ainsi que les interconnexions automatisés avec des fichiers (article 47) ;
- les prises de vues doivent être « réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées » (article 47) – mais nous ne comprenons pas comment cette exigence pourra être satisfaite en pratique ;
- le public doit être informé « par tout moyen approprié » de la captation d’image par drone et de l’autorité responsable, « sauf lorsque les circonstances l’interdisent » (article 47) – ici encore, en pratique, nous ne comprenons pas comment l’information pourra être donnée ;
- en marge de ces règles, l’État pourra déployer des drones pour surveiller les établissements, installations et ouvrages d’importance vitale ainsi que les installations militaires (article 47) ;
- de même, les commandants de navire et d’avion de l’État pourront déployer des drones aériens, marins ou sous-marins dans le but d’assurer « le respect des dispositions qui s’appliquent en mer » en vertu du droit international et national. Le public doit en principe être informé de la surveillance, et cette surveillance doit éviter les locaux affectés à un usage privé ou d’habitation (article 49).
2. Véhicules
- la police nationale, la police municipale, l’armée et les pompiers pourront équiper leurs véhicules, tels que des hélicoptères, de caméras pour capter des images (article 48) – ce qui était jusqu’alors interdit, bien que largement pratiqué ;
- les finalités justifiant cette captation sont encore plus générales que celles prévues pour les drones :
- assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ;
- réguler les flux de transport ;
- faciliter la surveillance des zones frontalières ;
- prévenir les incidents au cours des interventions ;
- faciliter le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs ;
- secours aux personnes et lutte contre l’incendie.
- comme pour les drones, le public doit être en principe informé (article 48) ; toutefois, et contrairement aux drones, il n’y a ici aucune restriction concernant la reconnaissance faciale, l’interconnexion ou la surveillance de l’intérieur ou de l’entrée de domiciles ;
- comme pour les drones, les commandants de navire et d’avion de l’État pourront équiper leur véhicule de caméra dans le but d’assurer « le respect des dispositions qui s’appliquent en mer » en vertu du droit international et national (article 49).
3. Caméras piétons
- les agents de la police nationale, de la police municipale et de la gendarmerie pourront désormais accéder eux-même aux images captées par les caméras piétons qu’ils portent (article 45) – alors que cet accès leur était jusqu’alors strictement interdit ;
- les images captées pourront désormais être transmises en temps réel au poste de commandement dès lors que « la sécurité des biens et des personnes » ou « la sécurité des agents » sera considérée comme étant menacée (article 45) – alors que ces images étaient jusqu’alors conservées de côté pour n’être exploitées qu’en cas d’enquête ;
- si la loi ne décrit pas en elle-même un dispositif de reconnaissance faciale, l’article R. 40-26 du code de procédure pénal permet déjà à la police de réaliser de telles opérations à partir d’images obtenues par tout moyen ; les caméras piétons, portées à hauteur de visage, sont les candidates idéales pour permettre à la police de généraliser les opérations de reconnaissance faciale (en 2019, on en décomptait déjà 375 000) ;
- au cours d’une période « expérimentale » de 3 ans, les gardes champêtres seront autorisés à porter des caméras individuelles dans leur version « classique » – sans consultation de l’agent lui-même ni retransmission en directe (article 46) ;
- les commandants des navires de l’État pourront équiper leurs équipes d’abordage de caméras individuelles (article 49).
4. Vidéosurveillance
- le gouvernement pourra autoriser l’installation de caméras dans les cellules de garde à vue ainsi que dans les chambres des centres de rétention administrative (où des milliers de personnes exilées, dont des milliers d’enfants, sont enfermées chaque années) ; pour toute intimité, la loi prévoit « un pare‑vue fixé dans la chambre […] permettant la restitution d’images opacifiées » (article 41) ;
- les caméras de vidéosurveillance déjà autorisées par le code de la sécurité intérieures seront désormais exploitables par la police municipale et non plus seulement par la police nationale et la gendarmerie (article 40) ;
- ces caméras pourront aussi être exploitables par les agents des communes et des structures intercommunales – ces structures ayant aussi gagné le pouvoir de demander elles-même l’installation de caméras de vidéosurveillance (article 42) ;
- les caméras installées dans les espaces et véhicules de la SNCF et de la RATP ne seront plus seulement exploitables par les agents de la police nationale ou de la gendarmerie mais désormais, aussi, sous l’autorité de ces agents, par ceux de la SNCF et de la RATP (article 44) ;
- les caméras installées dans les hall d’immeubles seront exploitables en temps réel par la police non plus seulement en cas d’atteinte grave et imminente aux biens et personnes mais désormais, aussi, sur simple « occupation » empêchant la « libre circulation » ou le « bon fonctionnement » des dispositifs de sécurité (article 43).
B. « Continuum de la sécurité »
Le concept de « continuum de la sécurité », a été imaginé par Alice Thouvot et Jean-Michel Fauvergue, les auteurs de la PPL sécurité globale lors d’un rapport parlementaire de 2018. C’est l’idée d’articuler « au mieux » toutes les forces de police pour obtenir une force sécuritaire plus efficace, tout en renforçant leurs prérogatives. Par « polices », il est entendu police nationale et gendarmerie, police municipale et agents de sécurité privée.
1. La sécurité privée : la nouvelle force de police
La loi sécurité globale prévoit de renforcer considérablement les pouvoirs et le rôle de la sécurité privée, pour en faire de véritables auxiliaires de police. Désormais, les agents de sécurité privée peuvent :
- Dresser des procès-verbaux et relever l’identité et l’adresse d’une personne dans le cadre de ces procès-verbaux, à travers l’article 20. Si cette personne ne peut justifier de son identité, l’agent peut la retenir jusqu’à intervention de la police. En cas de non-respect de cet ordre, la punition prévue est de 2 mois d’emprisonnement et 7500€ d’amende.
- Les agents de sécurité privée pourront procéder à des palpations de sécurité dans le cadre de certaines manifestations, notamment sportives et culturelles.
- Le préfet peut demander à des agents de sécurité privée d’effectuer des missions de surveillance des personnes contre des actes de terrorisme. Notamment pour les JO 2024 et coupe du monde de Rugby.
- Un agent de la police nationale peut cumuler retraite avec un poste de sécurité privée (article 31)
2. L’extension des pouvoirs de la police municipale
- L’article 1 prévoit d’élargir les compétences de la police municipale, à travers une expérimentation sur cinq ans, à laquelle sont éligibles les communes ou communautés de communes équipées de plus de 15 agents (ou gardes champêtres). Les policiers municipaux voient leur prérogatives élargies et peuvent dresser des procès-verbaux, c’est-à-dire constater des délits (ivresse sur la voie publique, tags, occupation de halls d’immeubles et squat d’un terrain lorsqu’il appartient à une personne publique… pour une liste plus complète voir ici). Avec possibilité de réaliser des contrôles d’identités pour ces contraventions.
- L’article 6 prévoit la création d’une police municipale pour la ville de Paris d’ici 2026. Depuis 1800, la force de police de Paris avait été confiée au préfet de police et donc à l’État, par méfiance vis-à-vis de la ville. Désormais, Anne Hidalgo souhaite créer une force haute de 5000 agents, non armés (pour l’instant), afin notamment que la police nationale puisse se concentrer sur ses autres missions (comme le maintien de l’ordre, la lutte antiterroriste…)
- L’article 12 autorise la création de brigades cynophiles (des chiens) pour la police municipale sur décision du maire.
3. La protection renforcée des polices
- L’article 24 (devenu article 52), quand à lui, est resté dans un flou bien étudié. Dorénavant, il punit la « provocation à l’identification », dans le but manifeste de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’un agent de police. Il n’est plus fait directement mention de la diffusion d’image mais les dispositions concernant la diffusion de vidéo ont été transférées dans l’article 18 de loi séparatisme.
- Ce même article punit également le fait de traiter des données concernant un fonctionnaire ou une personne chargée d’une mission de service public sans y être autorisé par le RGPD ou la loi informatique et libertés. Cette interdiction est parfaitement redondante avec le droit existant, et semble viser à rassurer encore davantage la police contre des initiatives comme le « cop-watching ».
- L’article 70 autorise le fichage (enregistrement de la transaction et identité de l’acquéreur) d’articles « pyrotechniques destinés au divertissement » : « Toute tentative de transaction suspecte fait l’objet d’un signalement auprès d’un service désigné par décision du ministre de l’intérieur. »
Nous le répétons depuis des mois : cette loi est destinée à protéger la police contre la population, à satisfaire les velléités belliqueuses de certains syndicats de police et de sécurité privée, et n’améliorera en rien la sécurité de la population. Il est fondamental, pour les droits et la démocratie, que le Conseil constitutionnel, seul véritable contre-pouvoir institutionnel dans cette procédure, soit saisi et censure ce dernier affront sécuritaire.