Les mamans de soldats toujours en lutte pour le retrait complet des troupes

Cynthia Benjamin

, par Truthout

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Truthout, a été traduit par Léa Ferté, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Aujourd’hui est la date limite de retrait complet des troupes de combat en Irak promise par Barack Obama. Après plus de sept années de guerre pour une cause à laquelle la plupart des Américains ne croient pas, je devrais me sentir soulagée, et même joyeuse, alors que la date approche. Pourtant, je ne parviens pas à me sentir réconfortée. Je suis mère de soldat, et j’en suis venue à douter des annonces de mon gouvernement.

Mon fils Jess Greaves est capitaine dans l’armée américaine. Jess a rejoint l’armée en 1995 après le lycée. Pour mon fils, l’engagement était un choix. Il voulait servir, et il était à la recherche d’aventure et de camaraderie. Mais pour beaucoup d’autres jeunes hommes dans la région rurale, vivant difficilement de son agriculture, dans laquelle j’habite, au Nord de l’État de New York, l’armée constitue leur seule opportunité. Nos communautés sont étroitement liées, et les relations familiales et amicales unissent et solidarisent nos villages. Mais, dans un contexte économique difficile, les familles souffrent. Le chômage parmi les 16-19 ans n’a jamais été aussi élevé, faisant du service militaire la seule voie pour obtenir un emploi, une formation ou même un logement pour de nombreux jeunes appartenant à la classe ouvrière. Dans cette partie-ci du pays, l’enrôlement pour raisons économiques bat son plein.

Suite à l’invasion de 2003, bien qu’accablée d’angoisse pour mon fils et ses amis, je suis restée pendant les deux premières années parfaitement inconsciente de ce qu’enduraient nos soldats au combat. Pendant l’été 2005, j’ai entendu parler d’une marche contre la guerre en Irak à Washington. Quand j’ai appris combien le nombre de manifestants attendus était élevé, je commençai à regarder de plus près pourquoi cette guerre était si impopulaire, et j’ai pris conscience du nombre des troupes blessées, traumatisées et tuées au cours de l’Operation Iraqi Freedom. J’ai participé à cette manifestation et j’y ai appris tant de choses sur la guerre que je ne pouvais plus nier ce qui advenait à nos troupes en Irak. Je suis devenue une militante anti-guerre résolue. J’ai rejoint les groupes Military Families Speak Out (« Les familles de militaires s’expriment ») et CODEPINK (« Code Rose : Femmes pour la paix »), intervenant en tout lieu, à tout moment et de toutes les façons que je le pouvais pour soutenir le retour de nos troupes aux États-Unis et leur prise en charge quand elles seraient rentrées.

Mon message était tout à fait sincère, mais il est devenu encore plus personnel lorsque j’ai appris que mon fils serait déployé en Irak. Mon fils chéri, que je n’avais jamais autorisé à jouer avec des armes à feu ou à regarder des émissions télévisées violentes, partait à la guerre. J’ai cru devenir folle.

La visite douce-amère de Jess, de retour de Géorgie avant son départ en Irak, fut trop brève, trop ultime. Alors que je le regardais monter dans l’avion, j’étais douloureusement consciente que Jess et moi nous étions échangés nos derniers adieux. Mon fils, même s’il survivait, reviendrait transformé de façon inconcevable. Et toute la famille le serait aussi. J’étais affolée, accablée de douleur, mais je ne restai pas muette.

Le premier des deux longs séjours de Jess en Irak, eut lieu avec la première division d’infanterie, 26e bataillon, en tant que commandant de la compagnie Alpha durant la « montée en puissance » de l’armée américaine (surge) de 2007. Pendant 15 mois, ce bataillon a enduré une violence terrible - un soldat de 19 ans s’est jeté sur une grenade pour sauver ses frères de sang, un premier sergent très respecté s’est suicidé tragiquement - et il a compté un nombre considérable de soldats blessés. Jess est finalement rentré d’Irak, sans blessure physique, mais pas indemne. Les troubles de stress post-traumatique l’accompagnent en permanence. Cela signifie que lorsque notre famille est réunie, s’amusant autour d’un jeu de société, Jess va subitement s’excuser, rejoindre sa chambre silencieusement et fermer la porte, laissant sa femme et ses parents très soucieux. Ou il va nettoyer ses étagères de cuisine et jeter tous les appareils ménagers bruyants, puis, un peu plus tard, ne plus avoir aucun souvenir de l’avoir fait. Les troubles de stress post-traumatique sont ces regards dans le vide tristement célèbres chez les soldats qui ont vécu l’inimaginable. Et il est effroyable de voir ce regard dans les yeux de son propre fils lorsqu’il tient son bébé aussi fort que s’il s’agrippait à une corde de sécurité.

Tout comme le coût de la guerre en Irak ne peut être mesuré seulement en termes de vies perdues ou de milliards dépensés, sa fin ne peut pas non plus être « programmée », pas plus que les conséquences implicites du retrait des troupes de combat. Pour les Irakiens qui doivent gérer des vies brisées, des infrastructures détruites, un système politique anéanti, la guerre n’est pas terminée. Ici non plus, outre le fait que 50 000 soldats vont rester en Irak indéfiniment, cette guerre n’est pas terminée. Elle va continuer pour un trop grand nombre de nos combattants et de leurs familles, à cause des troubles de stress post-traumatique, des lésions cérébrales traumatiques, et autres blessures dévastatrices. Cela ne va JAMAIS se terminer pour les familles qui ont perdu les leurs dans cette guerre, comme la famille du caporal Michael Mayne, de la petite communauté voisine de Burlington Flats. Quand il était adolescent, Michael, pour son projet de scout, a érigé plusieurs mâts à drapeaux dans le petit parc du village, un pour chaque branche militaire et un pour le drapeau américain. En 2009, Michael a été tué en Irak. Sa famille et ses amis n’auraient jamais pu imaginer qu’une magnifique pierre mémoriale gravée de son nom serait posée devant ces mâts, rappelant constamment sa perte à la communauté.

Et maintenant, alors que la cicatrice de la guerre en Irak est toujours cuisante, le président Barack Obama prévoit de mettre en danger les vies de milliers de troupes supplémentaires et d’injecter des milliards de dollars venus du contribuable dans l’intensification d’une contre-insurrection ingagnable en Afghanistan.

Même si je me réjouis du prochain retrait des troupes de combat d’Irak, je trouve que la promesse d’une « réduction progressive » sonne creux. Avec 50 000 soldats en Irak, un déploiement croissant en Afghanistan et les traumatismes rapportés par les soldats à leur retour, j’ai le sentiment que nous sommes toujours en guerre, et qu’aucune issue n’est en vue.

Nos dirigeants ne peuvent-ils pas faire mieux pour nos soldats et notre pays ? Le 31 août approche vite, mais le 2 novembre aussi [jour des élections de mi-mandat qui ont vu la victoire des Républicains et en particulier de leur aile droite]. Nos responsables politiques seraient avisés de tenir comptes des larmes des mamans de soldats : « Ramenez nos troupes – toutes nos troupes – d’Irak et d’Afghanistan, et prenez soin d’elles à leur retour. »