Les associations de solidarité internationale et les syndicats

Mai 2005

, par MASSIAH Gustave

Les relations entre les associations de solidarité internationale (ASI) et les syndicats ne sont pas nouvelles. Nous sommes, ensemble, partie prenante du mouvement associatif, au sens de ceux qui s’associent pour faire société ; nous nous référons à la solidarité et nous considérons que la solidarité internationale en est une dimension essentielle. Ceux qui militent à la fois dans les syndicats et dans les ASI sont nombreux ; ils vérifient la complémentarité des actions et des réflexions de nos deux mouvements.

Au cours des trois dernières années, nous avons beaucoup renforcé nos liens et entamé un travail commun continu. Nous participons ensemble à de nombreuses campagnes, plate-formes et mobilisations de solidarité internationale (dette et développement ; éthique sur l’étiquette ; forum pour la responsabilité sociale des entreprises ; demain le monde ; Educasol ; campagne 2005 plus d’excuses ; semaine de la solidarité internationale, etc.). Nous nous retrouvons dans un grand nombre de manifestations et d’initiatives, nationales et internationales, et nous participons ensemble à l’organisation des forums sociaux mondiaux, européens et parfois locaux. Nous travaillons ensemble dans des rencontres sur de nombreux thèmes (DESC, RSE, délocalisations, droit international, etc.). Nous partageons des positions toujours voisines et souvent communes quand nous sommes consultés sur les positions de la France ou de l’Europe, dans les négociations internationales. Nous avons ainsi pu vérifier que notre action commune renforce notre influence et facilite l’évolution de chacune de nos composantes.

L’évolution de nos relations s’inscrit dans un nouveau contexte. Elle répond aux enjeux de la nouvelle période. Syndicats et ASI participent à la construction d’un mouvement de solidarité en France, en Europe et dans le monde. La solidarité internationale est une dimension essentielle de ce mouvement ; elle n’y est pas extérieure, elle en est un des fondements. Ce mouvement est riche de sa diversité, de la multiplicité des courants de pensée qui le composent. Ce mouvement combine plusieurs démarches : la résistance aux logiques dominantes, la recherche des alternatives, la négociation en situation. Ce mouvement articule plusieurs formes d’expression : les luttes ; les pratiques solidaires ; les réflexions et l’élaboration. L’ensemble de ces dimensions alimente le débat démocratique et citoyen qui caractérise ce mouvement.

Ce mouvement est marqué par la prise de conscience des conséquences dramatiques de la phase néo-libérale de la mondialisation. Ces conséquences sont : la montée des inégalités et de leur liaison aux discriminations ; l’aggravation de la domination du Nord sur les peuples du Sud et leur liaison aux conflits et aux guerres ; la mise en cause de l’écosystème planétaire et des droits des générations futures et leur liaison au productivisme et à la logique spéculative financière ; la montée des insécurités sociales, écologiques, guerrières et leur liaison aux idéologies sécuritaires et aux doctrines des guerres préventives. Cette prise de conscience élargit la compréhension des liaisons entre les questions sociales, les questions sociétales et la question mondiale. Elle prend en compte l’intime liaison entre les niveaux locaux, nationaux, régionaux (au sens des grandes régions), et mondiaux.

Cette prise de conscience commence dès le début de la phase néo-libérale, au début des années 80, dans les pays du Sud avec les luttes contre la dette, le FMI, la Banque Mondiale, les plans d’ajustement structurel. Elle met en lumière dès 1989 le cadre institutionnel de cette phase de la mondialisation (le G8, FMI et Banque Mondiale, OCDE, OMC). Elle se déploie à partir de 1994 en Europe (Italie, France, Allemagne), aux Etats-Unis et en Corée contre le chômage, la précarisation et la remise en cause des systèmes de protection sociale. A partir de Seattle en 1999, et de Porto Alegre en 2000, les forums vont être les lieux de la convergence des mouvements des pays du Sud et du Nord. Nous considérons que nous vivons l’émergence d’une mouvance altermondialiste, sans en faire une exclusive et à travers ses différentes significations.

Cette mouvance est porteuse d’un nouvel espoir né du refus de la fatalité ; c’est le sens de l’affirmation « un autre monde est possible ». Nous ne vivons pas « La Fin de l’Histoire » ni « Le Choc des civilisations ». Contrairement à ce que nous serinent ces affirmations doctrinaires, nous ne pensons pas que le système dominant est indépassable et que les luttes sociales sont dérisoires à l’échelle des millénaires.

Deux caractéristiques de cette évolution nous concernent particulièrement. Ce mouvement de solidarité résulte de la convergence des mouvements. Le mouvement syndical, le mouvement paysan, le mouvement des consommateurs, le mouvement écologiste, le mouvement féministe, le mouvement de défense des droits humains, le mouvement des associations de solidarité internationale, sans compter les associations culturelles, de jeunesse, de chercheurs, confrontent leurs luttes, leurs pratiques, leurs réflexions.

A travers les forums, une orientation commune se dégage, celle de l’accès pour tous aux droits, à la démocratie, à la paix. C’est la construction d’une alternative à la logique dominante, à l’ajustement au marché mondial par la régulation par le marché des capitaux. A l’évidence imposée qui prétend que la seule manière acceptable pour organiser une société c’est la régulation par le marché, nous pouvons opposer la proposition d’organiser les sociétés à partir de l’accès pour tous aux droits fondamentaux.

Cette proposition donne tout son sens à la convergence des mouvements. Nous pouvons le vérifier dans l’évolution récente. Par exemple, Amnesty International décide d‘élargir son champ d’action aux droits économiques, sociaux et culturels. Médecins du Monde définit ses objectifs à partir du droit à la santé. Nous vérifions dans les forums sociaux, dans les campagnes citoyennes et sociales, que les rapprochements ne sont pas tactiques et que chaque mouvement se nourrit de cette confrontation. Le travail commun entre syndicats et ASI participe de cette démarche et s’inscrit dans cette perspective.

Les syndicats comme les ASI sont confrontés à l’importance du débat stratégique. Nous devons répondre à l’urgence et nous savons que les réponses à une transformation réelle et durable ne sont pas dans les réponses d’urgence ; c’est le propre de la stratégie. Dans ces débats stratégiques, nous pouvons bénéficier des différence liées à nos cultures, à nos histoires et à nos situations.

Ainsi, les ASI peuvent, plus facilement avec les syndicats, se saisir de la question du pouvoir économique qui reste souvent un « coin aveugle » des approches qui se réfèrent aux « sociétés civiles ». Les syndicats peuvent réévaluer, plus facilement avec les associations de solidarité, l’articulation entre les luttes des chômeurs, et des salariés. La question de la démocratie dans l’entreprise et les questions posées par les formes d’organisation multinationales des entreprises, nécessitent une action commune entre les syndicats et les autres mouvements (écologistes, consommateurs, défense des droits humains, ASI). De même une réponse à la question des délocalisations, dans son ensemble, ne peut-être uniquement nationale ou syndicale.

Le nouveau mouvement de solidarité que nous construisons en commun ouvre de nombreuses perspectives. L’expertise citoyenne permet de contester le monopole de l’expertise dominante, rappelons les expériences syndicales de l’expertise non patronale et celle des ASI dans leurs champs respectifs. Le droit international est un chantier stratégique, rappelons le rôle des syndicats dans l’Organisation Internationale du Travail, celle des ASI auprès des Nations Unies, notre travail commun par rapport à l’OMC. ASI et syndicats peuvent contribuer à construire ensemble l’alliance entre les mouvements et les institutions locales. Les politiques locales peuvent illustrer des alternatives (garantie de l’accès pour tous par les services publics locaux, financement et redistribution par les taxes locales, nationales et globales, satisfaction des besoins des habitants à travers les marchés intérieurs non subordonnés au tout exportation, articulation à travers un contrôle citoyen de la démocratie participative et de la démocratie représentative, citoyenneté de résidence, priorité à l’emploi et aux activités locales, préservation de l’environnement, etc.). Par rapport à la gouvernance de l’entreprise fondée sur la hiérarchie et la rentabilité à court terme des capitaux des actionnaires et à la gouvernance administrative fondée sur la toute puissance des grands corps et la bureaucratie conduisant à l’indifférence, les syndicats et les ASI veulent proposer la mutualisation, la prise en charge de l’intérêt commun, la solidarité collective, la démocratie citoyenne.