Pourquoi n’avons-nous rien fait ? En Syrie, des femmes et des hommes se sont opposés au régime qui les opprimait, ils ont fait face à la dictature. Les premières manifestations ont pris de court observateurs et spécialistes. Tellement les risques d’être emprisonné·e·s, torturé·e·s ou tué·e·s étaient grands. Tellement ces risques avaient maintenu jusque-là les Syrien·ne·s dans le silence. Dans ce numéro, des hommes et des femmes syriennes nous racontent leur révolution pour faire tomber la dictature et instaurer leur démocratie. Ils nous rappellent en écho notre impuissance à les aider, à nous révolter nous aussi contre la dictature de Bachar al-Assad.
« On me demande toujours : et l’Europe, que pouvait-elle faire ? Qu’espérais-tu qu’elle fasse ? Je réponds : c’est scandaleux de nous poser cette question. Les droits humains sont les mêmes pour tous », s’indigne Wajdan Nassif, activiste syrienne en exil. « Que doit faire le monde ? Ce n’est pas à nous, Syriens, de répondre à cette question. »
Oui, c’est à nous de répondre. De répondre de notre immobilisme, de tenter d’expliquer l’absence de mobilisation massive pour la Syrie. Alors qu’on estime à 300 000 le nombre de morts, à 4,6 millions le nombre de personnes déplacées à l’extérieur du territoire syrien et à 7,6 millions le nombre de personnes déplacées à l’intérieur.
Reformulons. Comment pouvons-nous défendre le droit des Syrien·ne·s à la liberté ? Sommes-nous en droit de le faire ? Voilà une question qui nous lie les poings et nous scotche la bouche. Les derniers mouvements collectifs de lutte internationale remontent à l’opposition contre la guerre en Irak en 2003. Mais alors, nous nous opposions à une guerre illégale et impérialiste qui s’appuyait sur un mensonge : la présence d’armes « de destruction massive ».
Autre contexte, même grille de lecture. Nous étions beaucoup à ne pas vouloir faire de Damas un nouveau Bagdad. Mais en 2012, la donne a changé. La présence d’armes chimiques, utilisées contre les civils et les combattants vivant dans les villes sous siège, est avérée. Vient « la trahison d’Obama et son engagement non tenu sur les armes chimiques » que dénonce le jeune révolutionnaire Majd al-Dik dans l’entretien qu’il nous a accordé. Les révolutionnaires syriens demandaient une intervention, notamment états-unienne. Certains d’entre nous n’ont pas su les entendre (les sirènes de l’impérialisme sifflant dans nos oreilles), d’autres n’ont pas su comment répondre. Bref, nous sommes resté·e·s silencieux·se·s.
La présence d’armes chimiques, utilisées contre les civils et les combattants vivant dans les villes sous siège, est avérée.
« Après ça, comment faire entendre aux Syriens qu’on fait partie d’une même humanité ?, interroge Majd al-Dik. Aucune loi n’a protégé le peuple syrien. » Fallait-il agir au nom des droits de l’homme ? Faut-il encore le faire ? Là encore, nous sommes mal. Plane sur nous le spectre de l’homme à la célèbre chemise blanche et autres essayistes chéris des médias qui se rêvent en conseillers des princes et cherchent à imposer leur propre vision de la démocratie aux peuples menant leur révolution. Plane aussi sur nous l’histoire des interventions humanitaires. D’ailleurs, nous constatons avec une certaine ironie que la première occurrence du terme « intervention humanitaire » dans le discours diplomatique remonte à l’expédition menée par une coalition européenne en 1861, en Syrie et au Liban. À la suite de massacres perpétrés sur les chrétiens d’Orient, et devant la prétendue incapacité de l’Empire ottoman à les protéger, Napoléon III décide d’envoyer avec l’accord d’autres puissances européennes un corps expéditionnaire au Mont Liban. L’expédition ira jusqu’à Damas. Elle aura pour conséquence la réorganisation totale de la région, la montée de l’influence française au Liban et en Syrie, mais aussi la déstabilisation des structures ottomanes au Proche-Orient. À l’époque, Napoléon III parle d’intervention humanitaire, mais les conséquences politiques de celle-ci seront, à terme, bien éloignées de l’ambition initiale.
La Conférence de Berlin, qui pose les règles de la conquête coloniale de l’Afrique par les puissances européennes en 1885, insistait, elle aussi, sur la mission humaniste des Européens : celle de lutter contre la traite, et contre l’esclavage. Elle aboutira à la mise sous tutelle de la quasi-totalité du continent. Les enjeux humanitaires font l’objet d’une perpétuelle instrumentalisation par la realpolitik.
Le doute s’est insinué : toute intervention se ferait au nom de gouvernements cyniques, jamais au nom des peuples. C’est à peine si l’on ose encore en appeler aux « droits de l’homme » dans nos interventions publiques, comme si la locution avait été définitivement disqualifiée par les fiascos et les compromissions d’interventions militaires et humanitaires menées en leur nom.
À moins que ce ne soit la peur tout simplement, l’inquiétude devant le terrorisme qui nous sidère, nous empêche de penser — c’est sa visée, précisément. La peur qui sert Daesh aussi bien que tous les nationalistes, l’internationale politique de la peur — qu’elle se nomme Trump, Poutine, Le Pen — du nom de ceux qui spéculent sur elle.
C’est un peu comme s’il nous manquait le « logiciel » qui permette de comprendre : Est, Ouest, néocolonialisme, Françafrique… tous ces schémas qui s’épuisent. Mais on ne peut pas pour autant se résoudre à l’idée qu’il n’y a plus de politique internationale possible. Et on se retrouve face à un fatras dont ne transpire plus que la complexité.
en finir avec des visions dépolitisantes
C’est là que la vulgate géopolitique entre dans l’arène. Car, en matière d’affaires et de politiques internationales, le prisme géopolitique tient le haut du pavé : il aurait la vertu de rendre la complexité du réel. Pourtant, l’opération est toujours un peu la même, et la recette assez simple, et peu apte à permettre de penser, encore moins à mettre en œuvre un changement de politique internationale. Mélangez une petite dose de noms exotiques selon des couples opposés (maronite vs druze) et quelques acteurs collectifs bien implantés (miliciens, tribus), placez le tout dans une intrigue, attribuez à des groupes des motivations massues (revendications identitaires et religieuses), puis assaisonnez la description de stratégies bien trempées (alliances, pressions). Vous voilà avec un joli morceau de discours dont l’effet immédiat est de donner l’impression d’en savoir plus, d’être devenu plus intelligent d’un coup. La révélation marche à tous les coups : pas de doute, on y voit mieux, plus clair, se dit-on. Les cartes avec leurs belles couleurs sont les parfaites alliées d’une telle entreprise. Avouons-le : on adore ça. Et on sait aussi combien cela est efficace pour en imposer. Hélas, trois fois hélas, cette « manière » présente au moins trois problèmes majeurs. Et ils sont de taille.
On l’oublie souvent, mais la géopolitique est une « prose embarquée », embedded : les atours analytiques qui l’habillent s’inscrivent dans un jeu discursif de lectures du monde dont les structures étatiques avant tout (et de pouvoir, plus largement) font un usage abondant. Pas un conflit, une configuration conflictuelle qui n’aient été nourris par sa glose géopolitique. Il n’est qu’à voir comment la rivalité entre chiites et sunnites a été construite en vingt ans : il y a eu là l’élaboration ravageuse d’un étiquetage et d’un découpage de catégories essentialisant par des auteurs qui y avaient très largement intérêt. Il faut se le rappeler en permanence : en géopolitique, ce sont toujours les « politiques de puissance qui se cherchent des motifs » (Denis Retaillé). Le très haut degré d’auto-réalisation des modèles serait déjà suffisant pour douter qu’il y a là le meilleur instrument pour orienter l’action.
D’autant que, et c’est le second point, paradoxalement, il n’y a pas de meilleure excuse pour ne rien faire qu’une bonne description géopolitique : les risques de se retrouver pris à revers dans un « grand jeu » compliquent toute velléité d’intervention.
En dernier lieu, et c’est là le comble, c’est une très saisissante vision dépolitisante que produit la géopolitique des pouvoirs et des territoires. En donnant aux armées et aux États le rôle principal, en leur conférant pour l’essentiel la maîtrise de la force, en se focalisant sur des enjeux religieux et géostratégiques, on manque la plupart du temps les dynamiques subjectives qui sont à l’œuvre au sein de mondes intrinsèquement pluriels. Il est tout de même curieux que l’incapacité des géopolitistes à prédire les Printemps arabes n’ait pas affaibli leurs paroles. Que le contraire, même, se soit produit, laisse songeur.
gouvernées solidaires
Nous choisissons d’entendre ces femmes et ces hommes qui appellent à l’aide et refusons de laisser faire les régimes dictatoriaux qui justifient le massacre de leur peuple par un discours rôdé sur les points aveugles de l’idéologie « droit-de-l’hommiste ».
C’est en leur nom qu’il nous faut choisir des gouvernants pour leur mener ensuite une guerre perpétuelle : pour leur demander sans relâche des comptes sur ce qu’ils font en notre nom. Question de principes. Question de désirs aussi : l’affaissement de l’exigence des droits humains dans les opinions publiques va de pair avec l’effondrement du rêve internationaliste. Le nôtre, encore.
En géopolitique, ce sont toujours les « politiques de puissance qui se cherchent des motifs ».
À cet égard, la charte de nos principes et de nos désirs existe. Elle a été lue publiquement à Genève par Michel Foucault en juin 1981, dans le contexte spécifique de la crise des « Boat people ». Mais sa vocation était aussi, au-delà de cette urgence singulière, de susciter des débats et des réactions qui auraient pu aboutir à la rédaction d’une nouvelle Déclaration des droits humains. Ce texte, intitulé « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », est assez bref pour en citer de larges passages :
- Il existe une citoyenneté internationale qui a ses droits, qui a ses devoirs et qui engage à s’élever contre tout abus de pouvoir, quel qu’en soit l’auteur, quelles qu’en soient les victimes. Après tout, nous sommes tous des gouvernés et, à ce titre, solidaires.
- Parce qu’ils prétendent s’occuper du bonheur des sociétés, les gouvernements s’arrogent le droit de passer au compte du profit et des pertes le malheur des hommes que leurs décisions provoquent ou que leurs négligences permettent. C’est un devoir de cette citoyenneté internationale de toujours faire valoir aux yeux et aux oreilles des gouvernements les malheurs des hommes dont il n’est pas vrai qu’ils ne sont pas responsables. Le malheur des hommes ne doit jamais être un reste muet de la politique. Il fonde un droit absolu à se lever et à s’adresser à ceux qui détiennent le pouvoir.
- Il faut refuser le partage des tâches que, très souvent, on nous propose : aux individus de s’indigner et de parler ; aux gouvernements de réfléchir et d’agir. (…) L’expérience montre qu’on peut et qu’on doit refuser le rôle théâtral de la pure et simple indignation qu’on nous propose. Amnesty International, Terre des hommes, Médecins du monde sont des initiatives qui ont créé ce droit nouveau : celui des individus privés à intervenir effectivement dans l’ordre des politiques et des stratégies internationales. La volonté des individus doit s’inscrire dans une réalité dont les gouvernements ont voulu se réserver le monopole, ce monopole qu’il faut arracher peu à peu et chaque jour. »
le malheur des hommes ne doit jamais être un reste muet de la politique
Prenons au sérieux cette citoyenneté internationale qu’appelait Michel Foucault de ses vœux. À quoi nous oblige-t-elle ? L’internationalisme que nous voulons n’implique pas un interventionnisme forcené, il refuse le nation building, le changement d’un État par un autre État. Contrairement à BHL et consorts qui ont œuvré en faveur de la chute de Tripoli et de la mort de Kadhafi pour imposer en Libye leur vision de la démocratie au nom d’une guerre prétendument juste, n’était-il pas préférable de s’en tenir à la libération de Misrata et de Benghazi, en protégeant et en armant les opposants au régime de Kadhafi ? Nous ne soutenons pas une intervention qui assujettit. Nous soutenons une intervention solidaire des peuples.
La solidarité des gouverné·e·s n’est ni la charité ni l’humanitaire . « La participation du peuple dans la création, la mise en place et le contrôle des politiques publiques est le moyen d’asseoir un statut de protagoniste qui garantit à ce peuple son développement individuel et collectif ». Tel est le principe qui fonde l’article 52 de la constitution bolivienne. C’est aussi ce que le mouvement des solidarités en Grèce cherche à initier depuis le soulevement des places de 2011, et après l’effondrement de l’État : il s’agit de penser à l’échelle internationale ce qui est expérimenté à l’échelle d’un pays, d’instaurer entre les gouverné·e·s une solidarité qui ne soit pas auto-organisation ou résilience, mais bien conquête d’un pouvoir politique et économique.
agir en gouverné·e·s pour une citoyenneté internationale
indignons-nous !
À trop insister sur le caractère insuffisant de l’indignation, on en oublie sa nécessité première. À tort. « Rendre les citoyens apathiques, indifférents, fatigués ce serait vraiment avoir tué la cité », expliquait Sophie Wahnich dans Libération, faisant référence à Saint-Just qui, au printemps de l’an II, « comprend que l’arme fatale dans cette guerre civile consiste à dissoudre en fait la sensibilité des hommes, leur capacité à s’indigner, à se révolter, à résister. »
Indignons-nous. Restons sensibles. C’est cette communauté des affects qui évitera la mise en concurrence des malheurs au cœur de notre pays et le déni de ceux qui s’éprouvent au-delà des frontières.
relayer la réalité du terrain
Nous devons faire connaître encore et toujours, avec précision et exactitude, ce qu’est la réalité du terrain. De même qu’un Livre noir avait relayé les atrocités commises en ex-Yougoslavie, un autre doit dire à présent celles qui frappent la Syrie. En août 2013, un transfuge de l’armée syrienne diffuse le dossier César, 55 000 photographies de cadavres prises dans les centres de détention du régime. Il fallait le travail des ONG pour l’élever au statut de preuve accablante de crime contre l’humanité. Diffusons le rapport de Human Rights Watch (2015) et les documents du Réseau syrien des Droits de l’Homme (depuis 2011). Qu’ils nous permettent d’interpeller nos concitoyens, les candidats à la présidentielle et les instances européennes ou internationales.
peser sur la campagne présidentielle
À lire les programmes des candidats à la présidentielle, on comprend que la politique internationale n’est pas une préoccupation majeure. En lieu et place, un discours sur le terrorisme et un positionnement à l’égard de la puissance non citée des États-Unis. Point barre. Il y a ceux qui veulent mettre fin à l’OTAN et ceux qui veulent renforcer la place de la France comme puissance internationale, notamment au sein d’une Europe plus forte ou d’une ONU garante du droit. Demandons des comptes, et exigeons de tous les candidats qu’ils explicitent leurs positions.
contrer Poutine
La « grande » armée de Poutine possède en fait le même nombre de soldats que l’armée française. Il se pose pourtant en « principal challenger des États-Unis dans le domaine militaire » pour citer le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov en 2015. Par la nature brutale de ses bombardements en Syrie, la Russie trahit à la fois la faiblesse de ses moyens et son mépris des populations civiles.
Nous choisissons d’entendre ces femmes et ces hommes qui appellent à l’aide et refusons de laisser faire les régimes dictatoriaux.
Controns Poutine. Refusons sa propagande, dénonçons inlassablement ses crimes. Engageons-nous à soutenir les citoyens des États baltes qui demandent à ce qu’on les protège de la Russie.
agir concrètement en répondant aux demandes émanant du terrain
Ce sont les gens sur le terrain qui souffrent et c’est à leurs demandes qu’il faut répondre. Comme ces agriculteurs qui acheminent des graines à semer jusque dans les villes syriennes assiégées pour aider les habitants à lutter contre la famine. Comme ces militants associatifs qui font parvenir de l’argent aux Syriens, sans se plier servilement aux contraintes imposées par des bailleurs institutionnels, en le cachant dans des couches de bébé.
agir n’est pas se substituer à l’État
Foucault encore : « Arracher peu à peu chaque jour son monopole à l’État ». Nous n’avons pas à prendre la place de l’État, mais nous devons dire ses défaillances et nous donner les moyens concrets de rendre visibles, tangibles et inacceptables les moments où les gouvernements se défaussent. Aider les réfugiés, accueillir les migrants, participer de l’aide humanitaire ne revient pas à agir là où l’État ne fait rien, mais à revendiquer son intervention, à exiger un engagement des gouvernements sur les terrains où nous nous engageons.
s’emparer de la justice internationale
Aujourd’hui, le recours au procureur de la Cour internationale de Justice est rendu quasi caduque par la nécessité de saisir le Conseil de sécurité. Il y a de quoi en faire l’horizon d’un combat, dont les « forces imaginantes du droit » (Mireille Delmas-Marty) sont sans doute l’une des clés. Le droit peut contribuer à hiérarchiser les valeurs et à responsabiliser ceux qui les transgressent, les deux conditions d’une véritable communauté de valeurs.
Pour qu’une justice internationale soit rendue, tentons d’en appeler à des juridictions nationales, pour des crimes non nationaux, contre des victimes non nationales. Étendons, défendons et rendons visible le régime de la compétence universelle. La France a, en effet, une interprétation plus limitée que la Belgique ou l’Espagne de la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de crimes, quel que soit le lieu où il a été commis, et sans égard pour la nationalité des auteurs ou des victimes. En Belgique, des Syriens ont, à ce titre été mis en accusation.
former des associations de lobbying des citoyens en faveur des droits humains
La question des détenus est aujourd’hui terriblement sensible en Syrie. Prenons exemple sur le Groupe de travail sur les détenus syriens qui est parvenu, en activant à la fois la société civile et une volonté internationale, à faire libérer 160 détenus dans la prison de Hama, et à sauver la vie de cinq condamnés à mort, en juillet 2016.
ouvrir le champ de la justice à la société civile par le biais de la mise en scène
Quand la justice internationale fait défaut, recourons aux tribunaux d’opinion. En 1966, le Tribunal Russell, fondé par Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre, appelait les consciences à décider de la responsabilité des Américains dans leur implication dans la guerre du Vietnam. Faisons de même. Jouons des procès imaginaires sur le modèle du film Bamako où Abderrahmane Sissako laissait personnalités et comédiens improviser un procès du FMI et explorer les implications de la mondialisation en Afrique.
créer du commun par les arts, assumer l’intime comme ligne de front
Deux acteurs, exilés, venus de Syrie, l’un d’une ville kurde, l’autre de Damas, se livrent à un travail de mémoire dans la pièce Empire montée par Milo Rau. Ils racontent leur propre histoire, mais, sur cette scène-là, l’exilé est tantôt syrien, grec ou juive roumaine : il est l’exilé universel.
L’acteur syrien cherche chaque soir le visage de son frère parmi les 12 000 images de morts au visage tuméfié du dossier César. Entraînant dans sa quête les spectateurs, les amenant à y voir, comme lui, un frère, ou à détourner le regard, à être en colère ou à pleurer. Soyons attentifs à notre approche, notre regard pour rendre possible un acte. Il y aurait là un degré zéro de l’acte individuel au nom d’une solidarité des gouverné·e·s, entre vivre sa vie et agir où l’on est, pour soi et en fonction d’un ailleurs.
médiatiser une réforme de l’ONU
Insistons pour réformer l’ONU. Ce pourrait être, pour commencer, transformer le processus de désignation du Secrétaire général. Aujourd’hui, il est nommé dans une opacité « qui n’a rien à envier à celle du pape », selon les mots de Paul Seger, ambassadeur suisse aux Nations unies. Des candidats du monde entier, une campagne réellement mondiale, voilà qui nous donnerait un peu d’air !
Puis, exigeons une contribution plus nette des États à son fonctionnement. Cela doterait l’ONU des moyens de sanction nécessaires pour faire respecter ses résolutions… L’OMC, avec son organe de règlement des différends, en a bien été capable, elle !
mener une politique internationale au niveau local
Enfin, jouons des échelles. Le monde global que nous voulons, faisons-le exister localement sans attendre des décisions planétaires. Ouvrons nos portes quand ils ferment les frontières. Aux États-Unis, les universités privées et publiques se sont déclarées sanctuaires pour les migrants ; en France le réseau Résome invite les réfugiés à étudier dans les facs ; Barcelone et Madrid appellent les villes du monde à devenir refuges. Les bibliothèques, les théâtres, les places, les centres culturels du monde entier sont des lieux de paix et d’accueil. C’est là, dans les lieux où nous vivons, que se construit le monde que nous voulons.
Ne rien faire, ce serait se complaire dans notre impuissance, trahir les autres mais aussi nous détruire. « Le désespoir est une trahison envers soi-même », dit un proverbe syrien.