L’amour et la mort – trames affectives du féminicide

, par ADITAL , DE BRITO MOTA Maria Dolores

 

Ce texte, publié originellement en portugais par Adital, a été traduit par Guillaume Dubois et Isabel Moreira da Silva, traducteurs bénévoles pour rinoceros.

 

Les assassinats de femmes par leur compagnon, ou ex-compagnon, sont des crimes fréquemment qualifiés de passionnels et marqués par des attitudes de la part des assassins liées à des manifestations de jalousie, de malaise lié à une séparation, de disputes autour des biens matériels ou des enfants, de contrariétés liées au paiement de pension, découlant entre autres de l’établissement d’une relation ou de sa dissolution.

La première question à considérer est le sens du mot « passionnel », qui connote la passion et l’émotion, mais ne peut pas être automatiquement associé à l’amour.

La deuxième question est que, dans pratiquement tous les cas, ces crimes ne se déroulent pas dans un climat de forte tension émotionnelle, au milieu d’une dispute, pendant laquelle les esprits s’exaltent, mais plutôt dans des situations qui montrent clairement qu’il existait une intention préalable de l’homme de tuer la femme.

Cet aspect affectif et passionnel doit être démystifié pour que nous puissions comprendre la signification et les déterminants du féminicide, non comme le résultat tragique de l’amour ou d’une intense passion, d’émotions incontournables, mais comme une option construite par certains éléments d’une culture de domination masculine dont la violence est un des composants.

Examinons quelques questions liées aux trames affectives impliquées dans le féminicide : la violence comme élément des relations historiques entre hommes et femmes, l’amour comme une construction sociale, l’amour romantique et passionné dans le contexte de relations de domination et d’inégalité de genre.

La violence comme élément des relations historiques entre hommes et femmes

Dans l’histoire du processus de civilisation, la violence des hommes envers les femmes n’a pas diminué ; au contraire, elle est devenue plus intense et évidente. Dans des sociétés pré-modernes, il existait un contrôle exercé sur les femmes qui étaient considérées comme propriétés de clans, de familles ou de groupes sociaux, mais cela avait rarement une relation directe avec l’exercice de violences à leur encontre. Cependant, la condition de propriété matérielle, échangée dans le cadre d’accords commerciaux ou politiques, n’était-elle déjà pas en elle-même une violence ? En outre, dans ces circonstances, le viol était un aspect banalisé de la violence exercée par les hommes, vu qu’agresser les femmes d’un territoire en conflit ou en guerre était une manière d’atteindre les hommes avec lesquels ces femmes avaient des relations familiales ou affectives, et qui leur appartenaient.

Il semble y avoir une relation entre violence et domination masculine, comme si la violence était intégrée au modèle d’une sexualité masculine basée sur la force et le contrôle de la femme, considéré comme le « bastion du contrôle des hommes ». Cette violence des hommes envers les femmes est liée à différentes formes d’intimidation, de persécution et de disqualification qui font de nous la cible de nombreuses agressions. Comprendre comment cette violence s’est constituée dans différentes époques et différentes sociétés est nécessaire pour connaître les mécanismes qui la construisent et la développent, de façon à chercher les moyens de sa destruction.

L’amour comme construction sociale

L’amour n’est pas seulement un sentiment, mais un élément constitutif de la société. Ce sentiment est éveillé, ressenti et formaté en fonction de divers codes sociaux. Ainsi, depuis le Moyen Âge jusqu’au jour d’aujourd’hui, différentes représentations de l’amour se sont construites au cours de l’histoire, comme l’amour courtois, l’amour romantique, l’amour passionné, et plus récemment des nouvelles formes d’amour se développent, comme l’amour-confluence et l’amour-construction. L’amour courtois conçu comme idéalisé, galant, était issu de la contradiction entre le désir érotique et le sens de la réalisation spirituelle, « un amour en même temps illicite et moralement élevé, passionnel et auto-discipliné, humiliant et exaltant, dans lequel l’homme ferait tout pour son aimée, mais qui ne se réalisait pas dans une relation possible ». L’amour romantique est une forme d’amour qui se prétend l’unique relation intime valide, supposant que les deux personnes s’aiment mutuellement, toujours dans l’incertitude d’une recherche constante de la vérité de l’amour de l’autre, attendant une union totale des deux personnes et excluant les différences entre elles. L’amour passionnel émerge dans le contexte de l’amour romantique, accentuant l’expérience d’aimer comme une souffrance, dans laquelle le passionné se soumet à son commandement en même temps qu’il doit s’appliquer à la conquête.

Cet amour représente une auto-souffrance, une prison, un martyre, une forme de contrôle et de dérèglement du désir de toujours expérimenter cette force dominatrice, enthousiaste et destructrice poursuivant le contrôle de l’autre et perdant contrôle de soi. D’autres formes d’amour sont en train de se développer à partir des changements sociaux qui ont suivi les luttes des femmes pour leurs droits et la citoyenneté, nommés amour-confluence ou amour-construction. L’amour-confluence est défini comme basé sur des valeurs d’égalité entre hommes et femmes, sur une confiance, des compromis mutuels et des sentiments partagés par des partenaires de plus en plus proches socialement. L’amour-construction est compris comme un processus dans lequel l’amour et la passion sont le prétexte initial, mais qui se transforme progressivement en sentiment plus stable, plus construit.

Amour et inégalité de genre

L’amour romantique et l’amour passion, prédominants dans notre imaginaire social, impliquant des relations de genre inégalitaires, participent à l’assujettissement des femmes, en les incitant à accepter leur sujétion aux exigences d’un amour qui pose l’homme comme conquérant, conducteur de la relation, le désir amoureux de la femme étant l’objet du désir de l’homme. En général, les gens croient que si l’homme aime et désire la femme, celle-ci ne doit pas refuser, doit avoir de la gratitude. Des dictons populaires comme « dur avec lui, pire sans lui » expriment cette idée. L’amour comme une construction sociale émerge d’une « toile de relations sociales de pouvoir, dont les dynamiques sont à l’origine de l’inégalité, de la discrimination et de la violence ». Le vécu de l’amour reproduit les relations de pouvoir inégales entre hommes et femmes, de sorte que les discours amoureux peuvent porter des actions qui légitimisent la continuité du système patriarcal et deviennent « discours à risque pour les femmes ».

Nous sommes en train de vivre des changements sociaux fortement influencés par la transformation des rôles sociaux des femmes, qui font voler en éclat les limites de l’amour romantique ni de l’amour passionnel. Il ne suffit plus d’être « la moitié », il faut être une personne à part entière. Même si l’on rêve de princes romantiques et amoureux, la réalité de l’amour vécu demande la rencontre de deux personnes entières, avec des identités propres et une indépendance économique. Les femmes ne peuvent plus rester derrière leurs « grands hommes », elles veulent se réaliser et grandir sur un pied d’égalité. Face à la volonté et aux désirs propres des femmes, beaucoup d’hommes ne se reconnaissent plus comme tels, car ils ont été socialisés dans la perspective d’une relation de domination, d’assujettissement et de punition, et l’impossibilité d’assumer ce rôle les pousse à détruire avec une haine intense l’être qui le leur interdit.

La lutte contre le patriarcat et l’affrontement de la violence de genre pratiquée envers les femmes, qui souvent culmine dans le féminicide, demande également une critique de l’amour romantique et de l’amour passionnel, et l’activation de formes libertaires d’aimer. La fin du féminicide requiert la pleine égalité et la justice de genre, et des manières d’aimer qui ne divisent pas, qui ne rendent pas dépendantes et qui ne sont pas insécurisantes pour les personnes qui constituent la relation amoureuse, mais au contraire les fortifient et les reconnaissent dans leur singularité et leur autonomie.