Féminismes ! Maillons forts du changement social

Sommaire du dossier

La loi Maria da Penha : dix ans après

, par AMORA DA SILVA Eleuteria

La loi Maria da Penha (11 340/2006) a été adoptée le 7 août 2016. C’est le principal instrument dont le Brésil dispose pour lutter contre la violence domestique.

Qui est Maria da Penha ?

Maria da Penha, originaire de l’État du Ceará, travaillait dans l’industrie bio-pharmaceutique. Elle était mariée à Marco Antonio Herredia Viveros, professeur universitaire, lorsqu’eut lieu, en 1983, la première tentative d’assassinat à son encontre. Elle reçut, pendant son sommeil, un tir dans le dos, tandis que Viveros fut retrouvé dans la cuisine, hurlant que des voleurs les avaient attaqués. Après cette première tentative, elle devint paraplégique. La seconde tentative d’homicide eut lieu quelques mois plus tard lorsque Viveros poussa Maria da Penha de son fauteuil roulant et tenta de l’électrocuter sous la douche.

Bien que l’investigation ait débuté en juin de cette année-là, la plainte ne sera présentée au parquet qu’en septembre de l’année suivante, et ce n’est que huit ans plus tard que la première condamnation sera prononcée. En 1991, les avocats de Viveros parvinrent à annuler la condamnation. En 1996, Viveros fut jugé coupable et condamné à dix ans de prison, mais il parviendra à faire appel. 

Malgré 15 ans de luttes et de pressions internationales, la justice brésilienne ne s’était toujours pas prononcée sur ce cas et n’avait pas non plus offert de justification pour ce délai. Grâce au soutien d’ONGs, Maria da Penha parvint à porter l’affaire auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (OEA), qui donna suite, pour la première fois, à une plainte pour violence domestique. Finalement, en 2002, Viveros s’est retrouvé derrière les barreaux. Il n’y restera que deux ans. La procédure de l’OEA condamna également le Brésil pour négligence et omission en matière de violence domestique. L’une des sanctions fut l’obligation de créer une législation adaptée à ce genre de violence, et c’est de ce cas qu’est née la loi Maria da Penha [1].

L’héritage de cette loi

La loi Maria da Penha constitue un véritable legs pour le féminisme au Brésil, pays qui a connu des transformations politiques profondes et qui a mis le droit des femmes de vivre sans violence au cœur de son ordre juridique national. Le Secrétariat de politique pour les femmes (SPM) du gouvernement fédéral a joué un rôle majeur pour l’approbation de la loi et pour sa coordination au niveau de l’ État fédéral, par l’articulation des politiques entre les États provinciaux et les municipalités, le pouvoir législatif, le système judiciaire, les entreprises et les autres secteurs de la société.
Dans le cadre du débat et de la mise en œuvre de cette loi, menés par le collectif des organisations de femmes et féministes, le gouvernement fédéral a institué une politique nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes (2005) et a créé le service d’assistance téléphonique Ligue 180 (« Appelez le 180 ») la même année. Le Secrétariat a également institué d’autres outils fondamentaux tels que : le Pacte national pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes (2007), dans le cadre de la 2ème Conférence nationale des politiques pour les femmes, la campagne « Engagement et attitude » (2012) qui s’adresse aux intervenants de la justice, le programme « Femme, vivre sans violence » (2013) qui vise à intégrer les services spécialisés, à humaniser et à accélérer l’attention aux victimes, ainsi que la pénalisation du féminicide, au travers de la loi n. 13 104/2015, qui le définit comme le meurtre d’une femme, en raison de son sexe, et ce avec cruauté.

Cette loi crée des mécanismes pour limiter et prévenir la violence envers les femmes. Elle s’inspire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme, ainsi que d’autres traités internationaux ratifiés par la République fédérative du Brésil. Elle réglemente la création de tribunaux spécialisés en matière de violence domestique envers les femmes et établit des mesures d’assistance et de protection pour les femmes en situation de violence domestique et/ou familiale.
La loi Maria da Penha garantit également le fait que toute femme, indépendamment de sa classe, de son appartenance ethnique, de son orientation sexuelle, de ses revenus, de sa culture, de son niveau d’éducation, de son âge et de sa religion, jouit des mêmes droits inhérents à la personne humaine, qui lui assurent les opportunités et les moyens de vivre à l’abri de la violence, de préserver sa santé physique et mentale ainsi que son développement moral, intellectuel et social. Il s’agit ainsi d’assurer aux femmes les conditions pour l’exercice effectif de leur droit à la vie, à la sécurité, à la santé, à l’alimentation, à l’éducation, à la culture, au logement, leur accès à la justice, au sport, au loisir, au travail, à la citoyenneté, à la liberté, à la dignité, au respect et à la vie familiale et communautaire.

Les défis de la mise en œuvre de la loi

Née il y a plus de dix ans et reconnue par 98 % de la population brésilienne, la loi Maria da Penha remet à l’ordre du jour l’urgence de poursuivre la mise en œuvre des politiques de lutte contre la violence envers les femmes, en prenant en compte les perspectives de genre, de « race » et de classe. Malgré les nombreux progrès survenus au cours de ces dix dernières années, des millions de femmes brésiliennes ont subi des agressions dans le cadre domestique et familial, du fait de la tolérance qui existe dans la société vis-à-vis de cette violence spécifique et d’une construction sociale des relations où l’oppression prévaut. La vie de milliers de femmes a ainsi été dévastée. Parmi elles, beaucoup ont été les victimes fatales de l’intimidation, de la persécution et du contrôle machiste.

Aujourd’hui encore, les femmes sont victimes de violences toutes les quatre minutes au Brésil. Toutes les douze minutes a lieu le viol d’une fillette ou d’une femme. Du fait de ces chiffres, le Brésil occupe la 5ème place au classement des violences faites aux femmes.
D’après une étude réalisée en 2015 par l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA), la loi a permis, depuis son entrée en vigueur en 2006, de faire baisser de 10 % les projections concernant l’augmentation du taux des homicides conjugaux. «  La loi Maria da Penha a ainsi permis d’éviter des milliers de cas de violence domestique dans le pays  », indique l’étude.

Il reste encore beaucoup à faire en matière de violences envers les femmes : maintenir le statut ministériel du Secrétariat de politique pour les femmes, dans le cadre du nouveau gouvernement suite à la destitution de Dilma Roussef, créer un fonds spécifique au niveau national destiné au maintien des politiques déjà mises en œuvre, investir dans la formation des professionnel.le.s des postes de police spécialisés pour femmes (DEANS), équiper et développer les tribunaux spécialisés dans les affaires de violence domestique, élargir le réseau qui rassemble les gouvernements, le secteur législatif et les organisations de femmes et féministes, où chacun.e mène des actions autonomes et de surveillance afin de développer les politiques publiques pour les femmes. Actuellement, du fait de la crise financière, les Etats provinciaux suivent les pas du gouvernement fédéral et ferment les secrétariats, espaces de coordination des politiques publiques pour les femmes.

Les chiffres de l’IPEA montrent pourtant l’importance de préserver les conquêtes politiques et combien le choix du gouvernement actuel de ne pas investir dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes constitue une immense perte, autant pour les femmes que pour la société brésilienne dans son ensemble. Dans le même sens, le retrait du vocable « genre » des programmes scolaires fait le lit du machisme et de la misogynie, empêchant les enseignant.e.s d’aborder cette thématique dans leurs cours, alors même que l’éducation constitue un acteur clé et un allié majeur pour construire une société égalitaire et libertaire, dépourvue de machisme, de racisme, de lesbophobie et/ou de tout autre type de préjugé et de discrimination.

Pour moi, pour nous et pour toutes les autres : Non à la violence contre les femmes !