Haut-Karabagh : le monde aurait dû voir cette crise arriver – et ce n’est pas encore fini

, par The conversation , FORTON Jac (trad.), LUNDGREN Svante

Suite à l’attaque de l’Azerbaïdjan contre les Arménien·nes du Haut-Karabagh le 19 septembre dernier et l’exil forcé qui a suivi, cette région sera bientôt vide d’Arménien·nes ‒ pour la première fois depuis plus de deux mille ans.

Cette tragédie aurait pu être évitée. Le New York Times a récemment écrit, à propos de ce qui se passe actuellement dans le Haut-Karabagh, que « presque personne ne l’avait vu venir ». Rien ne pourrait être plus faux. Les Arménien·nes, ainsi que celles et ceux qui ont suivi le conflit, ont prévenu depuis longtemps que cela arriverait.

La communauté internationale et ses institutions, y compris l’Union Européenne (UE), a certainement laissé faire l’Azerbaïdjan dans ses aventures militaires, ce qui n’a fait que l’encourager.

A l’été 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’est rendue à Bakou eta signé un accord sur la livraison de gaz de l’Azerbaïdjan à l’Europe. Depuis lors, elle a plusieurs fois loué le pays comme un « partenaire énergétique fiable » de l’UE.

Quelques mois plus tard, encouragé par ce soutien, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque, non sur le Haut-Karabagh mais sur plusieurs zones à l’intérieur même de l’Arménie. Depuis, l’Azerbaïdjan occupe plus 100 kilomètres carrés de territoires incontestés et internationalement reconnus de l’Arménie.

L’UE n’a pu qu’appeler à la retenue et a été soulagée lorsque les combats ont cessé deux jours plus tard.

The Zanzegur corridor map via Wikimedia Commons

Inaction mondiale

En décembre 2022, l’Azerbaïdjan a imposé un blocus sur le Couloir de Latchine, l’unique passage entre le Haut-Karabagh et l’Arménie. En février 2023, la Cour Internationale de Justice de La Haye a émis une ordonnance contraignante selon laquelle l’Azerbaïdjan devait immédiatement permettre la libre circulation des personnes et des marchandises dans le Couloir : l’Azerbaïdjan l’a ignorée.

Pendant l’été, la situation a empiré pour les 120 000 habitant·es du Haut-Karabagh, avec de graves pénuries de nourriture, de combustibles et de médicaments. La malnutrition sévit. La situation est devenue si critique que plusieurs organisations ont mis en garde contre un possible génocide.

Au début du mois d’août, Luis Moreno-Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, a rendu un « avis d’expert » dans lequel il a déclaré que les agissements de l’Azerbaïdjan « devraient être considérés comme un génocide au regard de l’Article II (c) de la Convention sur le génocide ».

L’article en question définit un génocide comme, entre autres : « la soumission intentionnelle d’un groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Pendant les plus de neuf mois qu’a duré le blocus, plusieurs dirigeant·es occidentaux·les l’ont condamné et demandé à l’Azerbaïdjan de le lever. Mais aucune mesure contraignante n’est venue appuyer cette demande et il n’y a pas eu de sanctions, ni même de menace de sanctions.

Le gouvernement azéri a bien compris le message : il est possible de provoquer une crise humanitaire envers plus de 100 000 personnes, allant jusqu’à frôler le génocide, sans rien subir d’autre que des condamnations verbales.

Ceci est un nettoyage ethnique

Après la dernière escalade, plusieurs représentant·es de haut niveau de l’UE ont une fois de plus condamné l’usage de la force et émis plusieurs appels. C’est comme s’iels ne voyaient pas ce qui est devant leurs yeux : les condamnations et les appels ne suffisent pas à stopper les plans agressifs d’États autoritaires. Des mesures beaucoup plus fermes sont nécessaires.

Le gouvernement qui gérait ce que l’Arménie appelle l’Artsakh ou la République du Haut-Karabagh, s’est maintenant effondré. Son président, Samvel Shahramanyan, a déclaré que l’État sera officiellement dissous à la fin de l’année. L’ONU a estimé que 88 000 de ses 120 000 habitant·esont déjà fui en Arménie.

L’Azerbaïdjan prétend qu’iels n’étaient pas forcé·es de fuir, et qu’iels ont fui volontairement. C’est très partiellement vrai dans la mesure où aucun soldat azéri ne les a forcé·es à se déplacer.
Mais iels ne fuient pas volontairement. Au contraire, iels ont été poussé·es dans une situation dans laquelle iels n’ont pas d’autre choix. En seulement 30 ans, l’Azerbaïdjan les a attaqués quatre fois.

En 2020, beaucoup d’entre elleux sont resté·es assis·es pendant des semaines dans des abris anti-bombes pendant que l’Azerbaïdjan attaquait avec des missiles et des drones. Cet été, iels ont subi de graves pénuries de nourriture et de médicaments à cause du blocus illégal.

La goutte de trop a été le bombardement de 24 heures, le 19 septembre dernier, qui a finalement conduit la population arménienne à quitter leurs habitations. Dès lors, j’estime qu’il convient d’appeler cela un nettoyage ethnique.

Cinq jours avant l’attaque de l’Azerbaïdjan contre l’enclave, un représentant du gouvernement états-unien a affirmé que les États-Unis n’allaient pas tolérer le nettoyage ethnique du Haut-Karabagh. Maintenant qu’il a eu lieu, Washington semble le tolérer, comme semble l’indiquer l’absence de sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan.

Ce n’est pas fini

Il y a des raisons de continuer à s’inquiéter des plans de l’Azerbaïdjan. Après la suppression des Arménien·nes du Karabagh, le président Ilham Aliyev a répété ce qu’il avait déjà dit, à savoir qu’il considère ce qu’il appelle « l’Azerbaïdjan occidental » comme un territoire azéri historique, que son pays a donc le droit de récupérer.

Par cela, il veut dire l’Arménie. La Turquie a apporté son soutien entier à ces plans. La première cible sera la région sud de l’Arménie, la province de Syunik, que l’Azerbaïdjan appelle Zangezur.

Une action résolue de la part de l’Occident est nécessaire pour garantir que l’agressif régime azéri évite, dans sa chevauchée victorieuse actuelle, de s’embarquer dans de nouvelles aventures militaires. L’UE pourrait élaborer des sanctions contre ce régime, une action demandée par plus de 60 député·es du Parlement Européen issu·es de différents partis.

L’assaut de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh ne doit pas rester sans conséquences. Si le régime de Bakou devait s’en sortir en toute impunité, il serait encouragé à poursuivre son agression contre les Arménien·nes. Cela constituerait un dangereux signal vers les dirigeant·es d’autres États autoritaires.

La leçon de la tragédie qui se déroule dans le Haut-Karabagh est que les condamnations verbales et les appels n’arrêtent pas les agressions de la part d’États autoritaires. Seules des mesures vigoureuses peuvent y arriver.

Lire l’article orginal en anglais sur The Conversation