Trêve au Yémen : l’espoir est-il permis ?

, par The conversation , ZAKKA Antoine

Ces dernières années, le conflit au sein de la république du Yémen fait périodiquement la une des actualités internationales. Avec une superficie de 527 970 km2, légèrement inférieure à celle de la France, le Yémen continue d’attirer les convoitises par sa position hautement stratégique. Situé au sud de la péninsule arabique, ce pays partage à son nord près de 1 500 km de frontières terrestres avec l’Arabie saoudite et à l’ouest 290 km avec le sultanat d’Oman.

Ses 1 100 km de côtes entre le golfe d’Aden et la mer Rouge font de sa pointe sud, à travers le détroit de Bab-el-Mandeb, un point de passage majeur du commerce international. En effet, cette zone maritime qui sépare la Corne de l’Afrique de la péninsule arabique, constitue l’une des plus importantes routes maritimes mondiales, traversée par pas moins de 21 000 navires chaque année. Environ 11 % du pétrole mondial transporté par voie maritime transite par cette route, ce qui fait du détroit de Bad-el-Mandeb le quatrième passage maritime mondial concernant l’approvisionnement énergétique.

Bref retour historique

Sanaa. Photo Stefan Geens CC BY-SA

Avec 30 millions d’habitants, le Yémen est le second État le plus peuplé de la péninsule arabique après l’Arabie saoudite. Constitué à 60 % de sunnites, essentiellement présents dans le sud, le pays comporte une forte minorité chiite, d’environ 40 % de la population, se trouvant pour la plupart dans le nord. Il est à noter que le Yémen repose, en partie, sur une structure de tribus, caractéristique souvent surexploitée à des fins politiques.

Cette situation particulière est l’une des explications au fait que ces soixante dernières années, le territoire yéménite a quasiment été de manière continue en conflit, soit à travers des guerres civiles, soit par des interventions étrangères, notamment de l’Arabie saoudite.

La république du Yémen actuelle provient de l’unification, en 1990, de deux États : la République arabe du Yémen (Yémen du Nord), pro-occidentale, proclamée en 1962, et la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud), régime marxiste indépendant né en 1967. La ville de Sanaa a été choisie pour être la capitale de ce nouvel État unifié.

Malgré cette unification, une partie de la minorité chiite du pays a continué par la suite à se sentir exclue du processus décisionnel du pouvoir. C’est ainsi qu’apparaît dans les années 1990, dans le Nord-Ouest du pays, le mouvement houthiste, groupe issu du zaydisme, une branche du chiisme.

Ce sentiment de marginalisation va aboutir à une insurrection des houthistes en 2004 dans la province du Saada (Nord-Ouest du pays), suite à l’arrestation et à l’assassinat d’un nombre important de leurs chefs. Ce conflit, connu sous la dénomination de « Guerre de Saada », va durer jusqu’à 2010. Le début des printemps arabes l’année suivante va également atteindre le Yémen, forçant le président Ali Abdallah Saleh, en poste depuis 1990, à démissionner en février 2012.

Un conflit militaire dévastateur

La date du commencement du conflit actuel au Yémen diffère selon les belligérants. Pour les partisans du pouvoir, c’est la prise de contrôle d’une importante partie du nord du pays et surtout de Sanaa par les rebelles houthistes en septembre 2014 qui a constitué une déclaration de guerre et a suscité, en réaction, la constitution en mars 2015 d’une coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite. Pour les houthistes, c’est l’ingérence étrangère, essentiellement des pays du Golfe, afin d’asseoir la domination des sunnites au Yémen, qui constitue le point de départ de ce conflit.

Les premiers bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite – qui comprend principalement les autres pays du Golfe, l’Égypte, la Turquie, la Jordanie et le Maroc – sont effectués en mars 2015 dans le cadre de l’opération « Tempête décisive ». Celle-ci, qui avait pour objectif principal de renverser l’insurrection des houthistes, va se terminer en avril de la même année avec le commencement de l’opération « Restaurer l’espoir ».

Face aux actions de cette alliance, les houthistes peuvent compter sur le soutien logistique et financier de l’Iran, assistance qui n’a fait que s’accroître avec le temps. Le Yémen est ainsi devenu un territoire d’affrontement de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran en vue d’accroître leurs influences respectives au Moyen-Orient.

Après sept années de conflit, le bilan actuel est estimé à près de 380 000 morts, dont la majorité due à des conséquences indirectes du conflit, telles que la malnutrition et les maladies. Il faut ajouter à cela des millions de déplacés à l’intérieur du pays. Pour les ONG locales et internationales, il s’agit tout simplement d’une « guerre ignorée ».

La négociation d’une trêve, une lueur d’espoir ?

La date du 2 avril 2022 marque une avancée majeure en vue d’une pacification du conflit. Depuis ce jour, en effet, une trêve est entrée en vigueur dans le pays pour une période de deux mois. Annoncée la veille par l’envoyé de l’ONU au Yémen, Hans Grundberg, cette trêve inclut l’arrêt total des combats, l’ouverture des routes maritimes depuis les ports aux mains des houthistes et des liaisons aériennes depuis Sanaa, ainsi qu’un échange de prisonniers.

De plus, le président Abdrabbo Mansour Hadi, alors en poste depuis 2012 et en exil en Arabie saoudite depuis 2015, a indiqué le 7 avril, lors d’un discours télévisé, transférer ses pouvoirs à un Conseil de direction présidentiel dirigé par Rachad al-Alimi. Cette instance de transition, qui a pris ses fonctions le 19 avril, aura pour principale tâche de négocier avec les houthistes une issue pacifique au conflit, tout d’abord à travers une prolongation de la trêve.

La libération par la coalition saoudienne de 163 prisonniers houthistes effectuée le 6 mai se trouve également être en accord avec la trêve conclue par les belligérants.

Une situation humanitaire catastrophique

Dans ce contexte, le Yémen est considéré comme étant l’un des pays les plus pauvres au monde, le plus pauvre du Moyen-Orient. L’ONU estime que désormais plus de 75 % de la population yéménite nécessite de l’aide pour pouvoir vivre décemment, voire même pour juste survivre. La trêve constitue alors un sérieux marqueur d’espoir pour faire décroître la crise humanitaire dans le pays.

Pour autant, même si les diverses dispositions de la trêve ont pour impact direct d’améliorer les conditions de vie et l’acheminement des aides, seule une réelle prolongation durable de ce cessez-le-feu et l’attribution d’un montant important de donations internationales pourront permettre au pays de s’éloigner du gouffre. Ainsi, les Nations unies estiment que 4,3 milliards de dollars d’aides sont nécessaires pour la seule année 2022 afin d’aider 17 millions de personnes.

La situation actuelle au Yémen reste extrêmement fragile. Son évolution va en grande partie dépendre de l’issue des négociations conduites actuellement en vue de la fin de la trêve prévue le 2 juin. Quoiqu’il en soit, l’Arabie saoudite souhaiterait progressivement réduire son implication directe dans ce conflit, celle-ci nuisant sérieusement à son image.

Trois principales perspectives à la situation actuelle sont à envisager. La première constituerait à ce que la trêve soit reconduite pour plusieurs semaines ou mois, afin de préparer de réels pourparlers de paix. Le début de ce processus de fin du conflit dès la fin de la trêve actuelle serait l’objet d’une seconde perspective possible. Enfin, la troisième possibilité serait une reprise totale du conflit et l’aggravation certaine d’une situation humanitaire déjà catastrophique dans le pays. Même si la première de ces perspectives est celle actuellement privilégiée, il demeure qu’un rapide retournement de situation est plus que probable dans cette région du monde.

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Cet article a été publié le 26 mai 2022 sur le site The Conversation sous licence CC BY-ND 4.0