Déclaration de l’Assemblée des Mouvements Sociaux

4ème Forum Social Mondial des Migrations, Quito, 8-12 octobre 2010

, par ALAI

 

Cet article a été publié initialement en espagnol dans le n° 460 (novembre 2010) de la revue América Latina en Movimiento, intitulé Migraciones : Hacia la ciudadanía universal. Il a été traduit par Houria Lyoubi, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

« Les Peuples en Mouvement pour une Citoyenneté Universelle : mettre à bas le modèle actuel et construire de nouveaux acteurs ».

1. L’ordre international actuel est caractérisé par une crise structurelle du modèle de civilisation capitaliste, néolibéral et patriarcal.

2. Ce dit ordre mondial est dirigé par de grands groupes et quelques gouvernements qui s’affairent dans le cadre d’une internationalisation et d’une financiarisation du capital et, qui dans leur course au profit démesurée, accentuent la dégradation environnementale et la précarisation du travail. Ce processus implique une aggravation des inégalités du développement et des asymétries au sein même des pays, et entre pays et régions. Ce phénomène va de pair avec l’accroissement de l’inégalité, l’exclusion sociale, la discrimination, le racisme et la xénophobie.

3. La discrimination croissante sur les plans ethnique, racial et de genre reflète de nouvelles politiques de criminalisation des migrants et migrantes de tous âges ; ce qui entraîne une aggravation des phénomènes de militarisation des frontières, de régionalisation et d’externalisation - phénomènes qui ont montré leur visage le plus brutal lors des récents événements en France avec l’expulsion du peuple rom, dans la Vallée de Melilla où les reconduites à la frontière sont constantes, dans les lois passées en Arizona, les milliers de morts aux différentes frontières du monde, les milliers de déplacés climatiques chaque année au Bangladesh, ou encore le massacre de 72 migrants à Tamaulipas au Mexique.

4. La migration forcée est une conséquence du processus de restructuration capitaliste qui entraîne une monopolisation croissante de la production, des services et du commerce global. Ces migrations massives sont dues à la violence des conflits et des catastrophes, à la traite des personnes et au trafic illégal de migrants victimes, à la misère, à l’exclusion et au chômage.

Crise globale et flux migratoires

5. Il s’agit là d’une crise multidimensionnelle du capitalisme : une crise sur les plans économique, financier, énergétique, environnemental et alimentaire. Cette crise illustre l’échec de la globalisation néolibérale, particulièrement sous son aspect financier, avec de graves conséquences sociales et environnementales pour l’ensemble de l’humanité.

6. Dans les pays d’origine, la crise a entraîné une réduction immédiate des flux migratoires, une chute du nombre de retours, et a surtout réfuté le faux paradigme d’un développement fondé sur la migration internationale et sur les transferts d’argent qui en résultent de la part des migrants, paradigme promu ces dernières années par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine du développement, comme pour justifier les politiques d’ajustement structurel et la disparition des politiques nationales de développement économique et social comme priorité des gouvernements nationaux.

7. Les économies du Sud (Afrique, Asie et Amérique Latine) ont connu avant la crise une importante croissance économique basée sur l’exportation de matières premières, qui a ainsi réaffirmé le rôle historique de ces pays en tant que fournisseurs de ressources naturelles et énergétiques. Cette croissance a également impliqué l’expulsion de millions de personnes sans que leur soit donnée la possibilité de profiter du développement économique et social.

8. Le modèle a fonctionné pour le grand capital industriel et financier tant que les économies créditrices étaient en condition de pouvoir absorber cet immense courant migratoire. Aujourd’hui, en revanche, alors que la crise persiste, au Nord la priorité est au rétablissement de la rentabilité des grands groupes. Le caractère non soutenable de ce modèle mondial, un modèle qui met en danger la vie, la reproduction de la vie, l’existence même de l’humanité et de la planète, est donc plus que jamais manifeste.

9. Qui plus est, le changement climatique (conséquence de la dégradation environnementale provoquée par le développement capitaliste) s’impose à nous comme une rude réalité, provoquant des transformations dramatiques pour les écosystèmes et pour la vie de millions de personnes, provoquant également de plus en plus de mouvements migratoires et affectant particulièrement les habitants des zones rurales, côtières et les zones urbaines marginales. Ces personnes vulnérables sont dès lors susceptibles de devenir de nouveaux migrants et réfugiés climatiques, avec un impact potentiel important sur les pays économiquement dépendants. La situation est encore aggravée par le développement de projets de grande ampleur tels que barrages, routes, mines ou encore l’agrobusiness, qui génèrent des déplacements supplémentaires de peuples indigènes, d’afrodescendants et de paysans.

Droits humains et migrations

10. Dans les différentes étapes du cycle économique mondial, la violation des droits humains des personnes migrantes, réfugiées et déplacées est une constante –que ce soit dans les pays d’origine, de transit ou d’arrivée. Le défi majeur est donc de garantir la vie de tous les migrants par la conception et la mise en place de politiques publiques (dans les domaines social, économique, migratoire) qui placent les personnes elles-mêmes au centre de leur conception, et intègrent ainsi les notions de droits humains, de genre et de diversité culturelle – ce qui implique également la participation effective des migrants et migrantes, la responsabilité, l’égalité et la non-discrimination, des mécanismes d’exigibilité, de justiciabilité et de non régressivité.

11. Nous défendons le droit à l’enracinement comme résultat du respect des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, de la libre circulation humaine et du droit au retour, le droit à migrer, mais aussi à ne pas migrer, à ne pas être déplacé et du droit à la paix. Confrontés au fait que les frontières sont devenues des espaces de non-droit, nous nous prononçons en faveur d’une nouvelle convention des Nations unies qui puisse garantir le respect des droits humains à toutes les frontières du monde.

12. Aujourd’hui, les guerres internationales, les conflits armés internes, les violations massives du droit international humanitaire et des droits humains provoquent des déplacements forcés et des flux de refugiés en quête de protection qui affectent la vie de millions de personnes. Les gouvernements nient pour la plupart l’importance de cette crise et imposent leurs modèles de sécurisation et de militarisation des frontières au détriment des droits des personnes déplacées ou réfugiées.

13. Il est nécessaire de porter à la connaissance de tous la situation des différentes formes de migrations, et une attention particulière doit être portée aux femmes migrantes, aux jeunes, en particulier les jeunes filles, aux enfants, aux adolescents. Il faut créer des indicateurs qui rendent compte du respect des droits humains de toutes les personnes migrantes, réfugiées ou déplacées dans les différentes régions et différents pays du monde ; ils doivent aussi rendre compte de la contribution des personnes migrantes, réfugiées et déplacées à leurs pays d’accueil et des coûts engendrés pour leurs pays d’origine.

Diversité, cohabitation et transformations sociaux-culturelles

14. Nous reconnaissons que les migrations internationales, actuellement, génèrent de grands défis en matière de diversité culturelle, d’interculturalité, de muliculturalité et de construction identitaire. Nous partons du principe qu’il n’y a pas et ne peut y avoir de hiérarchie entre les différentes cultures, mais plutôt des relations de complémentarité et de solidarité qui valorisent les savoirs de tous les peuples impliqués dans la dynamique des processus migratoires.

15. En ce sens, il est évident que les gouvernements des pays d’origine et d’accueil, dans la grande majorité des cas, se caractérisent par une quasi absence de développement d’initiatives politiques qui aident à la cohabitation et à la reconnaissance de la diversité. De fait, ce vide est comblé par des organisations de la société civile et par des associations de migrants qui mènent des programmes de soutien et d’appui destinés à ces populations. Il faut mentionner en particulier dans ce contexte que, par exemple, les familles transnationales ne peuvent pas compter sur des politiques claires de la part des gouverements pour favoriser d’une part leur réunification et d’autre part leur pleine participation aux sociétés d’accueil et dans les pays d’origine.

16. Il est très important de prendre en compte les dimensions de genre, d’ethnie, de génération, de classe, de diversité religieuse et de diversité culturelle dans la conception et la mise en place de mesures politiques destinées aux migrants. Ces mesures politiques ne peuvent en effet être appliquées de la même manière à des collectivités et à des individus aux caractéristiques spécifiques. Ces caractéristiques spécifiques concernent les femmes, les jeunes filles, les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, ainsi que les populations afrodescendantes et indigènes, les populations aux pratiques et orientations sexuelles différentes, les personnes en situation de handicap. Ce sont autant de caractéristiques qui les rendent plus vulnérables encore à la discrimination et à la xénophobie. Il est dont indispensable d’adopter des mesures au regard de ces différences, afin de dépasser en pratique ces conséquences néfastes.

Nouvelles formes d’esclavage, d’exploitation humaine et de soumission

17. Dans le contexte de globalisation, d’ouverture accélérée des économies nationales, de démantèlement et privatisation des structures d’État, l’industrie du crime contrôle de plus en plus la traite des personnes et le trafic de migrants, où elle voit un nouvel espace de valorisation de ses activités, créant ainsi de nouvelles formes d’esclavage, d’exploitation humaine et de servitude dans les différents courants migratoires mondiaux. Ceci oblige les différents États à garantir la protection des migrants, réfugiés et déplacés (particulièrement les femmes, les jeunes filles, les enfants, les adolescents et les jeunes) dans le cadre des conventions internationales, à garantir également une collaboration internationale au bénéfice des publics vulnérables afin de combattre efficacement les réseaux internationaux du crime organisé.

18. La féminisation croissante des flux migratoires mondiaux s’explique en grande partie par l’intégration des femmes au marché globalisé du travail domestique et de soins à la personne dans les pays d’arrivée, où elles sont sujettes à une précarisation de l’emploi qui implique tout un processus de dégradation personnelle, avec un impact familial grave dans les communautés d’origine, constituant une des nouvelles formes de servitudes du XXIe siècle. En ce qui concerne la traite à des fins sexuelles, beaucoup de pays appliquent, pour la protection des victimes, les lois migratoires et non les lois de protection recommandées par le protocole de Palerme.

19. Nous en appelons à l’élimination des programmes de travailleurs/travailleuses à durée déterminée ou invités, qui représentent un nouveau genre d’esclavage légal sous couvert de conventions qui rendent légale l’exploitation au travail, violant ainsi tous les droits du travailleur, les droits sociaux et politiques des migrants et migrantes, avec la complaisance des autorités des pays de départ et d’arrivée.

Propositions, revendications et défis

20. En rapport avec le rôle qui incombe à un événement comme le FSMM (Forum social mondial des migrations), l’idée de construire un nouvel paradigme civilisationnel qui garantisse une relation harmonieuse entre les droits des êtres humains et les droits de la Terre Mère, et qui permette de penser et concevoir de nouvelles politiques en matière de développement et de migration, oblige à aller au delà de l’organisation d’événements comme des forums pour passer à une réelle perspective concrète d’apprentissage et à une collaboration mondiale qui permette à son tour le renforcement des organisations de migrants dans les cercles décisionnels et le renforcement de réseaux pour affronter les impacts d’un modèle en crise et construire un nouveau modèle.

21. Ce défi implique, en outre, la mise en place de pouvoirs locaux, régionaux, nationaux et mondiaux qui permettent de gagner progressivement du terrain dans les agendas publics, les programmes et les projets de développement avec un accent particulier sur les droits pleins de tous les habitants de la Terre, à savoir la construction collective d’une Citoyenneté Universelle, associée à un renforcement des organisations des migrants et de leurs communautés d’origine comme nouveaux acteurs de la transformation sociale.

22. Les nouveaux modèles de développement reposant sur une vision globale des droits humains devront concevoir les migrations comme un phénomène avec des impacts positifs et des coûts, qui impliquent donc de concevoir des politiques de développement alternatives qui renforcent les premiers et réduisent les second. Les organisations de migrants, qui ont acquis un rôle social et politique croissant dans leurs pays d’origine et d’arrivée grâce à différentes initiatives solidaires de développement local et de mobilisation politique, pourront désormais agir comme un allié stratégique de leurs propres communautés d’origine dans la réalisation de nouvelles stratégies de développement.

23. Un autre grand défi dans le dynamisme de construction et de renforcement de nouveaux acteurs est l’intégration de la vision des jeunes filles, garçons, adolescents et jeunes, ce qui requiert des stratégies et mécanismes adaptés qui garantissent la prise en compte de leurs propositions et leur participation effective dans le processus de changement.

24. Nous exigeons le respect sans réserve des droits humains des personnes migrantes et la fermeture immédiate de tous les centres de rétention et de détention à travers le monde. Nous exigeons également l’arrêt des rafles qui mènent à la déportation de centaines de milliers de migrants dans les pays de transit et d’arrivée.

25. Nous dénonçons le biais discriminatoire et criminalisateur des médias à l’encontre des populations migrantes, qui incite à la xénophobie et au racisme. Nous exigeons une information objective et fondée sur la réalité.

26. Le FSMM réitère sa vocation de solidarité et de soutien à la cause de tous les peuples du monde, particulièrement à celle du peuple palestinien, son droit au retour et à la condamnation des politiques racistes du gouvernement israélien. Nous soutenons également la cause des peuples sahraoui, kurde et tous les autres peuples qui souffrent de la violence, d’expulsions et de déplacements forcés pour des raisons économiques ou politiques sur tous les continents ; parmi le cas les plus critiques, ceux de la Colombie, du Soudan et de l’Irak.

27. Favoriser le développement d’alliances avec d’autres acteurs sociaux, des syndicats et des institutions académiques progressistes.

28. Nous exigeons que soit signée et ratifiée la Convention internationale de protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, ainsi que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes. Les États parties devront élaborer des rapports réguliers sur leur application effective. Dans le même sens, nous recommandons également la publication de rapports alternatifs de la part de la société civile.

29. Nous exigeons que soit créé dans le cadre des Nations Unies un organisme pour les migrations dans une perspective du respect des droits humains.

30. Nous exigeons l’annulation des accords et des clauses de réadmission et que soit mis un terme aux accords de ce genre entre l’Europe et les pays-tiers, et entre pays-tiers entre eux, pour une meilleure protection des personnes migrantes en cours d’expulsion en application de ces accords.

31. Nous réaffirmons notre engagement dans la construction collective d’un nouveau modèle de civilisation qui privilégie la vie, l’intégration des peuples, l’harmonie entre les femmes, les hommes et la nature, et garantisse la reproduction et la pérennité de l’humanité et de la Terre Mère pour les millénaires à venir.

Pour un monde de droits pour tous, en tout lieu et à tout moment… mettons à bas le modèle actuel et construisons de nouveaux acteurs.

Quito, Équateur, le 11 octobre 2010