À l’approche de la conférence COP17, Durban « la sale » rédige un manuel du greenwashing climatique

Par Patrick Bond

, par LINKS

Ce texte a initialement été publié en anglais et il a été traduit par Emmanuelle Gibert, traductrice bénévole pour rinoceros.

La ville qui accueillera le sommet international COP17 en novembre-décembre va-t-elle se ranger ? Un rapport de l’Académie des sciences d’Afrique du Sud (l’Assaf), publié le 23 août et intitulé « Towards a Low Carbon City : Focus on Durban » (« Vers une ville à basse consommation énergétique : la cas de Durban »), permet de vérifier si les nouveaux dirigeants municipaux sont des éco-blanchisseurs qui tentent de cacher des politiques économiques de forte consommation énergétique derrière de belles paroles, comme l’ont fait leurs prédécesseurs.

Le maire de Durban, James Nxumalo, qui sera appuyé par un nouveau gérant de la ville qui n’a pas encore été nommé, deviendront-ils sérieux quant à la menace qui pèse sur nous (et dont les principales industries sont responsables) résultant des émissions de gaz à effets de serres démesurées ? Inutile de mentionner encore une fois les futures catastrophes : augmentation du niveau des mers, tempêtes d’une extrême violence, inondations qui submergeront le réseau de drainage des eaux pluviales décrépi de Durban, glissements de terrain sur nos collines, sécheresse qui entraîneront de nouvelles vagues de « réfugiés climatiques » en provenance de la région et qui se dirigeront vers une population xénophobe, la perturbation des chaînes alimentaires et autres catastrophes à venir.

Cependant, ce que l’on peut appeler le « négationnisme des mesures d’atténuation » en Afrique du Sud est un problème non négligeable. Non seulement le ministre de la Planification, Trevor Manuel, a annoncé la semaine dernière qu’il attendait des pays du Nord qu’ils versent plus de 2 milliards de dollars par an à l’Afrique du Sud dans le cadre du Fonds Vert pour le Climat qu’il copréside (alors qu’en réalité c’est l’Afrique du Sud qui a une énorme dette climatique envers l’Afrique, étant donné notre taux de CO2/PIB/habitant record à l’échelle mondiale) , mais l’Assaf cherche à persuader les politiques que Durban peut « assurer sa réputation en tant que ville phare d’Afrique du Sud en termes d’actions visant à changer les conditions climatiques » [sic].

Élément manquant dans cette analyse : la dépendance au carbone de plus en plus importante de Durban.

Ce n’est que mensonge, car l’étude de 262 pages de l’Assaf se garde bien de mentionner et critiquer les subventions publiques sans précédent octroyées aux secteurs à fortes émissions de carbone, comme le transport aérien longue distance, le maritime, les infrastructures de carburants fossiles, l’extension autoroutière et le tourisme international.

Par exemple, l’étude ne nous dit rien des 35 milliards de dollars que les planificateurs « de retour » ont en tête pour l’Afrique du Sud : déplacement de résidents du quartier de Clairwood, qui est là depuis 140 ans, afin de permettre une plus grande expansion du vaste port (et de la pollution de ses navires), une nouvelle autoroute qui conduira à de nouveaux terminaux de containers, et des bâtiments pour l’industrie pétrochimique très toxique (y compris le projet de doubler la circulation du pétrole à travers un nouveau pipeline allant à Johannesburg en passant par les quartiers noirs), l’expansion de l’industrie automobile, et le chantier d’un nouveau port immense sur le site de l’ancien aéroport. Pas un mot de tout cela.

L’Assaf ne parle pas des dommages causés par la construction de l’aéroport international King Shaka, qui a coûté 1,2 milliards de dollars, réalisée un peu trop tôt et trop loin de la ville, ni, hormis une vague référence dans le chapitre sur le gouvernement, du stade Moses Mabhida généralement vide qui a coûté 430 millions de dollars, construit pour la coupe du monde de 2010, juste à côté d’un stade de rugby de classe mondiale qui aurait dû être utilisé. Durban a failli être récompensée par une offre qui aurait déstabilisé le climat pour les Jeux olympiques de 2020, avant que le cabinet sud-africain, dans un rare instant de bon sens en juin dernier, ne choisisse de se retirer de la concurrence.

Tous ces investissements de grande envergure ont sans aucun doute fait de Duban une « ville phare d’Afrique du Sud en termes d’actions visant à changer les conditions climatiques », mais pas dans le sens où l’Assaf le dit.

Les scientifiques de l’Assaf n’ayant pas eu l’audace de faire une analyse complète, ils semblent trop intimidés pour parler de ces graves erreurs en bonne compagnie, et plus encore pour remettre en ordre les habitudes des entreprises de Durban dépendantes du carbone. Pourtant, cacher la dure réalité des émissions de gaz toujours en augmentation dans les secteurs qui rendent notre ville extrêmement vulnérable n’a pas de sens quand les taxes sur le carbone entrent finalement en vigueur, et si l’on tient compte du fait que Durban est tellement loin des principaux marchés internationaux et qu’il y a des conséquences négatives sur le tourisme.

D’un côté, il y a les noms des plus gros émetteurs de gaz de Durban, d’après les statistiques de consommation d’électricité de la ville : l’usine de papier Mondi, les raffineries de pétrole Sapref et Engen, Toyota, Frame Textiles et les centres commerciaux de Gateway et Pavillion. Mais le plus gros contributeur au changement climatique dans la ville par le biais du réseau national d’énergie produite par des centrales au charbon est la terrible fonderie de manganèse, totalement oubliée dans l’étude de l’Assaf bien que le rapport annuel publié récemment par la société Assore le conçoive : « la consommation d’électricité est l’élément qui contribue le plus à l’empreinte carbone d’Assmang, et l’énergie provient du réseau d’Eskom, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne Cato Ridge Works. »

Ce n’est pas non plus dans le chapitre de l’Assaf sur « le contexte national » que nous apprenons que l’Afrique du Sud est en train de construire les troisième et quatrième plus grandes centrales au charbon du monde ; Kusile et Medupi d’Eskom, avec 3,75 milliards de dollars empruntés à la Banque mondiale malgré une forte opposition de la part de la société civile.

Pas un mot non plus sur les accords tarifaires particuliers concernant les régions de l’apartheid, qui ont permis à BHP Billiton et Anglo American Corporation d’obtenir les prix les plus bas du monde en électricité (0,02€/kW/h), environ 1/8 de ce que paient les foyers ordinaires. On ne parle pas non plus des millions de pauvres en Afrique du Sud, qui n’ont pas l’électricité, et ne peuvent pas payer la hausse de 130 % qu’Eskom a imposé en 2008 afin de financer les générateurs de la centrale au charbon.
Ce sont des gouffres bien trop profonds, même pour les éco-blanchisseurs les plus qualifiés, comme Debra Roberts, directrice municipale de l’adaptation climatique, pour pouvoir être dissimulés, et c’était tout à son honneur qu’elle a plaisanté en disant « vous voulez me faire renvoyer pour avoir déclaré publiquement que j’étais d’accord avec vous » quand, lors de l’inauguration du Centre international des Congrès, j’ai attiré l’attention sur ces « gouffres financiers présents dans la salle ».

Le directeur exécutif de l’Assaf, Roseanne Diab, a répondu que l’objectif principal concernant les solutions d’atténuation devrait être centré sur le transport routier anarchique des marchandises, ce qui d’après elle pourrait permettre de réguler la qualité de l’air ambiant. Ce serait vrai si l’Afrique du Sud disposait du Clean Air Act américain, qui considère l’émission des gaz à effets de serre comme une source de pollution, ce qui n’est pas le cas de l’Air Quality Act sud-africain. Et cela aiderait également si la municipalité avait un centre de gestion efficace pour lutter contre la pollution de l’air, mais en mars dernier celui-ci a été dépourvu d’une grande partie de son personnel par le gérant municipal et n’est plus pris au sérieux au jour d’aujourd’hui.

Et ici, au cœur de la pétrochimie en Afrique du Sud d’où j’écris, nous, les habitants du Sud de Durban, sommes toujours les principales victimes, y compris l’école primaire de Settlers, avec un taux d’asthme à 52 %, le plus élevé du monde. J’ai passé une heure vendredi soir dernier (26 août) sur Houghton Road à Clairwood, où Mervyn Reddy, secrétaire de l’association des résidents locaux, avait organisé un blocus des transports routiers, réunissant 100 personnes dans le but d’empêcher les conducteurs de camions de se prendre pour Michael Schumacher en faisant des courses dans le quartier. Après 10 décès causés par des camionneurs fous du volant, qui peut en vouloir à cette communauté de se révolter ?

Durban poursuit le commerce du carbone

Ce que Reddy sait, mais que l’Assaf ne dit pas, c’est que les émissions de CO2 qui menacent le climat sont également responsables de destructions socio-écologiques bien plus immédiates. Par exemple, l’Assaf promeut avec enthousiasme la transformation du méthane des décharges en électricité à la tristement célèbre déchetterie de Bisasar Road de Durban, sans remarquer (comme le font la plupart des articles académiques) que le plus important « mécanisme de développement propre » d’Afrique est en réalité l’un des principaux cas de racisme environnemental lié au commerce de carbone, digne d’un article en première page dans le Washington Post en 2005, le jour où le Protocole de Kyoto est entré en vigueur.

Situé dans un quartier noir pendant l’apartheid, Bisasar Road, la plus grande décharge africaine, aurait dû être fermée lorsque Nelson Mandela est arrivé au pouvoir, puisque les brochures du Congrès National Africain en avait fait la promesse lors des élections de 1994. Cependant, en partie grâce à l’encouragement de la Banque mondiale, Bisasar est devenu le plus gros centre d’échange de carbone et pollue encore le secteur aujourd’hui, sans aucune perspective de fermeture avant 2020, quand le site sera rempli. Une semblable décharge dans le nord de Durban, La Mercy, a également été l’objet d’un projet de transformation de méthane en électricité financé par la Banque mondiale, mais l’Assaf a reconnu ne pas avoir su extraire correctement le gaz.

Dans son enthousiasme pour un tel financement, l’étude publiée par l’Assaf oublie aussi que la COP17 sera témoin de la fin du traité de Kyoto, qui réglemente ce type d’investissements liés au commerce du carbone dans des villes comme Durban. La fin du seul traité multilatéral imposant une réglementation concernant le climat est principalement due à l’intransigeance de Washington, et il est réconfortant, pour les gens comme nous qui vivons à Durban, de savoir que des centaines de personnes ont été arrêtées à la Maison blanche au cours des deux dernières semaines, pour demander au gouvernement américain de refuser les sables bitumeux usagés canadiens. Par solidarité, les militants pour la justice de Durban vont manifester devant le consulat américain à l’ouest de l’hôtel de ville mercredi après-midi, aux heures de pointe.

Les scientifiques de l’Assaf recommandent allègrement la mise en place de « mécanismes innovants de financement fondés sur le marché » tels que « le marché volontaire du carbone », tout en minimisant les fraudes en termes d’émissions de gaz, la corruption, la spéculation et les faillites désormais monnaies courantes à travers le monde. Étant donné que même le rapport des services comptables du gouvernement américain publié en février 2011 a révélé que, pour que de telles compensations de marchés volontaires du carbone soient considérées comme réelles, il faut une preuve d ’« additionnalité », mais « c’est difficile car cela consiste à déterminer la quantité de gaz qui aurait dû être émise sans les avantages apportés par le programme de compensation ». Des études laissent supposer que les programmes existants ont récompensé des compensations qui ne faisaient pas preuve de complémentarité. »

Quant à mesurer la quantité de CO2 sur les marchés volontaires, « il est difficile d’estimer la quantité de carbone stocké et de gérer le risque que le carbone puisse être libéré plus tard, par exemple, par le biais d’incendies ou de changements dans la gestion territoriale ». De plus, la vérification des compensations est un défi parce que « les développeurs de projets et les acheteurs sont parfois peu sollicités pour donner des informations précises ou pour enquêter sur la qualité des compensations ».

Durban soucieuse de l’environnement ?

Malheureusement, l’Assaf croit en quelques autres « fausses solutions » en réponse à la crise climatique, comme les biocarburants (Durban est un producteur majeur de canne à sucre) et la co-incinération de pneus dans les fours à ciment. Soulignons également que le GAO vient de publier un rapport confirmant l’analyse par des scientifiques progressistes du Groupe ETC attestant que les meilleures technologies de « l’ingénierie climatique » (la géotechnologie, les nanotechnologies, les biocarburants, et la biologie synthétique) sont « actuellement immatures, et comportent souvent des conséquences potentiellement négatives... Les technologies de l’ingénierie climatique ne proposent aujourd’hui aucune solution viable au changement climatique mondial. »

Un autre fait inquiétant réside dans l’accent mis par l’Assaf sur le changement de comportement de la population, qui risque d’évoluer vers une mentalité visant à rejeter la faute sur les victimes, comme, par exemple, dissuader l’installation de chasses d’eau aux personnes pauvres, afin d’éviter l’utilisation accrue d’électricité à la station d’épuration. Mme Diab ajoute que « nous devons encourager les gens à cesser d’utiliser leurs voitures et de commencer à utiliser les transports publics », mais elle ne dit rien sur la manière dont les fonctionnaires municipaux laissent une société capitaliste « de copinage », Remant Alton, privatiser et détruire notre système municipal de transport en commun.

Le rapport de l’Assaf n’est pas totalement un désastre puisqu’il encourage au moins Durban à « produire et acheter localement » à une époque où les modèles commerciaux dépendent bêtement du cours des devises et ne sont pratiquement pas liés aux avantages comparatifs rationnels entre les économies concurrentes. Le rapport condamne l’expansion urbaine et la planification post-apartheid de manière générale, tout en approuvant le principe du « pollueur payeur », qui, s’il est mis en place, permettrait d’améliorer radicalement l’environnement de la ville. Tout cela paraît plutôt évident, mais que peut-on espérer de cette mise en œuvre si l’on considère qu’elle sera faite par nos dirigeants « pro-pollution » ?

Selon Debra Roberts, « une ville soucieuse de l’environnement, c’est une ville à basse consommation énergétique, l’économie verte offre des opportunités concernant autant l’atténuation des changements climatiques que l’adaptation, et favorise une nouvelle forme de développement urbain qui assure l’intégrité écologique et le bien-être des habitants. »

C’est exact. Cependant, si Roseanne Diab a raison de dire que la « sensibilisation du public » est une barrière non négligeable quand il s’agit de la plus grande crise à laquelle l’humanité ait été confrontée, les scientifiques de l’Assaf contribuent aujourd’hui à ce problème, avec leur blanchiment écologique insipide et aveugle du climat de Durban.

Patrick Bond dirige le Centre for Civil Society UKZN et est l’auteur du livre intitulé Politics of Climate Justice (UKZN press), à paraître.