« La relocalisation concerne le retour au pays d’origine de n’importe quel service de l’entreprise […] antérieurement délocalisé et ce quelque soit le pays dans lequel la délocalisation a été faite [1] ».
Définition développée
Pour Catherine Mercier-Suissa, la dialectique relocalisation/délocalisation dépend de la « [...] relation entre mobilité des entreprises et attractivité des territoires » et implique un niveau d’analyse qui soit à la fois transversal et multidisciplinaire [2].
Comme le soulignent G.Azam et Ph. Mühlstein, « La délocalisation des activités est devenue dans l’imaginaire néolibéral la condition de l’efficacité économique et de l’amélioration du bien-être ». Or, aujourd’hui « La crise financière, qui éclate en même temps que les déséquilibres écologiques explosent, révèle comment cette utopie menace l’existence même des sociétés, dont les ressources humaines, sociales et naturelles ont été systématiquement pillées. […] Le territoire, sous la forme des États ou des collectivités locales, lieu traditionnel d’exercice du pouvoir politique et de la démocratie, a été considéré comme une rigidité, un obstacle à l’utopie du grand Marché […] L’un des dogmes libéraux est que le libre-échange et l’augmentation des transports sont indispensables à la croissance économique […] En réalité, l’accroissement des déplacements de marchandises n’est pas un fait inéluctable, mais une caractéristique du régime d’accumulation actuel du capital ; il est l’un des piliers sur lesquels ont reposé les gains de productivité de ces dernières décennies dans l’industrie et la grande distribution [3]. […] La possibilité de multiplier à faible coût les flux incite à délocaliser la production, en scindant la chaîne productive en autant de maillons que nécessaire pour les situer, au cas par cas, en des lieux choisis afin de minimiser les charges sociales, fiscales ou environnementales.[…] C’est pourquoi la relocalisation des activités doit être pensée comme une reterritorialisation de celles- ci, comme un projet d’autonomie politique des sociétés, comme un moyen de réponse aux questions cruciales : que produire, comment produire, comment répartir la richesse ? La relocalisation est alors l’expression des limites politiques, sociales, écologiques à l’expansion généralisée et l’affirmation de la nécessaire socio-diversité pour assurer la durabilité d’un monde commun à l’échelle de la planète [4] ».
On peut dés lors identifier certains facteurs qui amènent des entreprises à relocaliser tout ou partie de leurs activités qu’elles avaient autrefois délocalisées pour des raisons de coût salarial, parmi lesquels :
– des problèmes de qualité du produit final et impact négatif des délocalisation en terme d’image de marque ;
– des questions de coût : « L’intérêt économique de la délocalisation se modifie en fonction de l’évolution des salaires des pays dans lesquels les activités ont été délocalisées, du coût de transport directement liés au prix de l’énergie, des modifications des techniques de production notamment l’automatisation, des aides des pouvoirs publics qui prennent en compte les coûts pour la collectivité des obligations sociales, du chômage, etc. [5] », mais aussi les tarifs douaniers à l’importation ou les politiques de quotas ;
– d’autres ayant trait à la rationalisation de la production : les défauts de coordination avec le personnel situé à l’étranger, une inadaptation des compétences du personnel étranger par rapport à une innovation technologique, un durée de transport trop longue du fait d’une perturbation des infrastructures, etc.
Les fluctuations du cours du pétrole, notamment dans la perspective de sa raréfaction pourrait ainsi être un des facteurs stratégiques de relocalisation. La relocalisation peut également être pensée comme une volonté pour les dirigeants d’intégrer une démarche de Responsabilité Sociale des Entreprises ou une approche bilan carbone.
Ainsi, du point de vue des altermondialistes, la relocalisation peut constituer l’un des instruments de lutte contre les dégâts sociaux et environnementaux de la mondialisation néolibérale, en contribuant à la préservation du tissu économique et du lien social dans les territoires en contribuant à rapprocher les lieux de production et de consommation. Ainsi, comme le rappelle le labo de l’ESS : « Par le développement des circuits courts et des filières de produits solidaires et responsables (bio…), par la mobilisation de l’épargne locale sur des projets locaux, par l’expérimentation de monnaies complémentaires favorisant l’activité territoriale ou encore par la mise en place de pôles de coopération territoriaux, etc., l’ESS peut contribuer à la relocalisation de certaines activités économiques et à la création d’emplois sur les territoires [6] ».
Et Azam et Mühlstein de préciser : « La relocalisation doit pour cela répondre à trois exigences à prendre en compte simultanément :
– L’arrêt de la dévalorisation généralisée du travail humain […] ;
– Le droit des peuples à la souveraineté alimentaire et à une alimentation saine […] ;
– La lutte contre les destructions environnementales […] »
Ils préconisent pour cela : « Les politiques douanières doivent être des moyens modulables pour répondre en même temps aux exigences d’emploi, d’impact sur l’environnement, de satisfaction des besoins sociaux et de redéfinition des rapports Nord-Sud. Cela suppose l’abandon du dogme du libre-échange et une réforme radicale de l’OMC et de la politique douanière de l’Union européenne.
Les accords commerciaux ne doivent plus être indépendants du respect des droits humains, sociaux et environnementaux. De même, les services publics doivent être reconnus comme un moyen irremplaçable pour nourrir les territoires. […] Reconquérir les services publics et en créer de nouveaux, en assurer une véritable gestion démocratique, constituent des préalables pour une relocalisation de l’économie tout comme l’arrêt des politiques dites d’« ajustements structurels » (ouverture des frontières, privatisation des services publics, orientation de la production vers les exportations, etc.) imposées aux pays du Sud par les organisations financières internationales, notamment le Fond Monétaire International (FMI).
Un statut mondial pour les biens communs, comme l’eau, les ressources non-renouvelables, le vivant, la connaissance, en les déclarant hors-marché, devrait stopper le pillage des pays du Sud et favoriser un recentrage des activités. […] La relocalisation doit être au contraire le moyen d’inventer de nouvelles articulations entre le local et le mondial, entre le social et l’environnemental, entre l’universel et le particulier. Elle est en même temps une condition indispensable à la maîtrise des flux de transports, des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre [7] ».
Exemples
« Un yaourt fait en moyenne un “voyage” de 3000 km avant d’arriver dans nos assiettes, et consomme de ce fait beaucoup plus d’énergie qu’un yaourt produit à la laiterie locale […]. On imagine bien qu’une fois les transports devenus chers, le yaourt de 3000 km deviendra un luxe. Il faut donc que les liens économiques et sociaux se resserrent, ne serait-ce que pour trouver à distance raisonnable ce qu’on va aujourd’hui acheter jusqu’en Chine. Certains n’hésitent pas à dire que le choc pétrolier qui s’annonce sonnera le glas de la mondialisation [8] ».
Historique de la définition et de sa diffusion
Rappelons qu’une première définition de la relocalisation avait été donnée par E.M Mouhoud en 2006, comme le souligne Jacques Belbenoit-Avich « Mouhoud (2006, p.39) donne deux sens à la notion de relocalisation. Au sens strict, il la définit comme étant "le retour dans le pays d’origine d’unités productives, d’assemblage ou de montage antérieurement délocalisées sous diverses formes dans les pays à faibles coûts salariaux". Au sens large, il définit la relocalisation comme étant "le ralentissement du processus de délocalisation vers les pays à bas salaires, c’est à dire la remise en cause des décisions de délocalisation ou la non-délocalisation dans les secteurs sensibles à la compétition par les coûts" [9]. Mais selon ce dernier « prendre uniquement ces unités productives est trop limité » c’est pourquoi il préconise de considérer [...] « l’ensemble des services de l’entreprise (et non uniquement d’unités productives, d’assemblage ou de montage antérieurement délocalisées sous diverses formes) [10] ».
Par ailleurs, selon Wikipédia « E.M. Mouhoud (2008) distingue quatre phases de relocalisations :
– Celle de la fin des années 1970, qui conduit les multinationales américaines surtout dans l’industrie électronique et les semi-conducteurs.
– Celle des firmes allemandes, dans les années 1980-1990, motivées par des facteurs symétriquement inverses à ceux qui ont motivé les délocalisations : réduction des coûts unitaires grâce à l’automatisation et la robotisation des segments de fabrication et d’assemblage d’une part et la réduction des coûts de transports et de transaction en général d’autre part.
– Celle du milieu des années 1990 correspond à des stratégies d’optimisation du cycle du produit dans les industries informatiques, des télécommunications et de la téléphonie mobile.
– Celle qui émerge depuis les années 2000 dans les services et l’industrie manufacturière. Ces cas restent marginaux par rapport à l’ampleur des délocalisations [11] ».
Utilisations et citations
« S’il est difficile de dire quel sera le degré d’une telle relocalisation, il paraît certain que les différentes productions et services se rapprocheront du consommateur (commerces et services de proximité, vente directe, valorisation des ressources locales ou régionales, production d’énergie moins centralisée, etc.).
[…] Un autre enjeu de taille est de produire l’alimentation plus près et avec moins d’énergie.
Cela ne signifie pas que les échanges à grande échelle cesseront (il existait déjà des échanges “internationaux” à la fin de l’Age de Pierre), mais que la dimension locale retrouvera une importance significative.
[…] La relocalisation ne sera pas seulement une conséquence du pic pétrolier, mais ce sera aussi une nécessité pour éviter une désorganisation trop poussée de nos économies et de nos sociétés, en leur rendant suffisamment de résilience.
[…] Moins d’énergie, c’est probablement la disparition de nombreux métiers, mais aussi un besoin de main d’œuvre plus grand dans certains secteurs (agriculture, btp, etc.), le retour de certaines industries disparues (textile, sidérurgie), le développement et l’apparition de nouveaux métiers (systèmes énergétiques, systèmes de recyclage, écoconstruction etc.).
Un enjeu important de la transition à venir sera la requalification de la population active, bien qu’il soit aujourd’hui difficile d’anticiper où seront les besoins, les activités nouvelles et l’ampleur de la requalification.
[…] La relocalisation n’est pas une invitation à un retour vers un passé idéalisé.
[…] La transition vers un monde plus local et moins gourmand en énergie n’est pas non plus un processus de rêve : elle sera probablement difficile, longue et incertaine. D’où la nécessité de la préparer pour qu’elle se déroule le mieux possible. C’est l’objectif de cette initiative et du concept de transition [12] ».
Toutefois, « Les cas de relocalisations sont marginaux par rapport à l’ampleur des mouvements de délocalisations, mais il existe toujours un décalage temporel entre les deux mouvements » - E.M Mouhoud (2006, pp.39-40) [13].
Pour certains, « On relocalise par conviction et stratégie entrepreneuriale, pas pour des aides », renchérit Vincent Gruau, directeur du fabricant de mobilier de bureau Majencia [14].
Par conséquent, pour l’heure « [...] les choix de localisation des entreprises restent, en effet, propres aux complexités de leur marque, de la concurrence qu’elles rencontreraient en France ou à l’étranger et dépendraient encore de la particularité de la production en fonction des secteurs. […] Outre l’argument commercial « Made in France », « Le retour au bercail des entreprises nationales est surtout un phénomène véhiculé par une « remontée politique qui argue le protectionnisme [15] ».
Dés lors, pour le labo de l’ESS, il serait envisageable de « moduler l’octroi des aides publiques aux entreprises en fonction des critères sociaux et écologiques », parmi lesquels figure la relocalisation de la production. [16].