« L’économie sociale et solidaire est une économie au service d’un autre développement. On parle aujourd’hui d’économie sociale et solidaire pour faire référence aux entreprises et aux associations dont la finalité est davantage tournée vers la plus-value sociale ou environnementale que vers la recherche du gain financier. Cette utilité sociale, difficilement évaluable, est au cœur du projet économique des organisations de l’économie sociale et solidaire.
Le terme « économie sociale et solidaire » est une expression groupée qui apparaît dans les années 1980, et est plus fréquemment employée dans certains pays que dans d’autres [1] En effet, certains acteurs et chercheurs estiment en France, comme dans d’autres pays, que l’Économie sociale et l’Économie solidaire désignent des approches différentes. Cependant, nombre d’acteurs, sensibles à la nécessité de faire mouvement, cherchent à rapprocher ces acteurs [2]. Ainsi, on utilise le terme Économie sociale et solidaire pour souligner ce qui unit ces deux réalités, plutôt que ce qui le sépare. Cela n’empêche pas la reconnaissance de certaines nuances dans les approches.
[3] ».
Définition développée
La définition de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) renvoie à une multiplicité d’acteurs et d’activités (voir : utilisations de la notions), aux contours parfois très flous, comme le note Matthieu Hély : « Dans les rares textes où les auteurs se risquent à donner une définition, on reste sceptique et perplexe face à son caractère normatif et performatif : « composante spécifique de l’économie aux côtés des sphères publiques et marchandes, l’économie solidaire peut-être définie comme l’ensemble des activités économiques soumis à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel ; elle contribue ainsi à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens ». Suffisamment imprécise pour être revendiquée par une multitude d’acteurs allant des « entrepreneurs de morale » du monde associatif aux entrepreneurs « sociaux et citoyens » du monde capitaliste et suffisamment performative pour laisser penser que les pratiques qu’elle regrouperait sont autonomes, l’« économie solidaire » semble ainsi avoir été élaborée pour donner une illusoire homogénéité à un champ aussi hétérogène qu’hétéronome [4] ».
Ainsi, « le développement de l’économie solidaire ne va pas sans poser des questions, notamment aux sociologues et théoriciens du travail. Les problématiques soulevées interrogent souvent le concept d’utilité sociale des organisations et des emplois de l’ESS.
La responsabilité et l’impact social de toute structure employeur semble une évidence : pourquoi l’ambition éthique et les principes humanistes devraient-ils être réservés aux seules structures du tiers secteur ? Par exemple chaque entreprise devrait avoir pour objectif de dépasser la logique du profit et s’engager pour une meilleure prise en compte de sa Responsabilité Sociétale et Environnementale. Mais comment éviter que cet engagement serve d’alibi, de caution morale à un capitalisme décomplexé…
C’est le risque d’instrumentalisation, qui accompagne l’engouement actuel pour le « développement durable ». Combien de grands groupes ont créé récemment leur fondation, combien d’entreprises subventionnent de « l’entrepreneuriat solidaire », combien proposent à leurs salariés du mécénat de compétence ? Au delà de l’impact en terme d’image, afficher les valeurs de l’économie solidaire peut aider dans certains contextes à « capter des marchés » dans des secteurs à dimension sociale, mais néanmoins concurrentiels…
S’ajoute à cela l’exigence de qualité qui pose à la fois la question de l’évaluation de l’utilité sociale, et de la reconnaissance pour la structure. Comment juger la qualité, estimer l’utilité sociale d’une institution : la qualité n’est pas garantie par les principes ou par le caractère « non lucratif », et ne peut se mesurer en terme de rentabilité non plus.
Encore plus complexes sont les enjeux liés aux services publics et au rôle de l’Etat.
En effet, les structures de l’ESS, par exemple les mutuelles, prennent en charge des services pour pallier une carence ou une faiblesse de l’Etat (dans les domaines de la protection sociale, du handicap par exemple). La délégation à un organisme de droit privé, d’un service public, relève d’un processus de privatisation, même s’il se trouve masqué par la notion consensuelle d’Economie Sociale et Solidaire. C’est pour cette raison que certains dénoncent la fragilisation des services publics comme un effet pervers du développement de l’ESS, avec aussi pour corollaire la précarisation globale des emplois. Un sociologue comme Matthieu Hély fait un lien direct entre la réduction du nombre de fonctionnaires en France ces dernières années, qui rend toujours plus difficile l’accès aux postes de la fonction publique, et la forte augmentation de l’emploi associatif, des emplois aidés ou à temps partiel. Le mode de financement, souvent subventionné, des projets comme des postes, renforce l’insécurité et l’incertitude, et font paradoxalement des organismes de l’ESS (en particulier des associations) les premières victimes des politiques de remise en cause des services publics.
[5] ».
Selon ses propres termes, il convient donc de « [...] réinscrire le développement du travail associatif dans le contexte social et historique de la remise en cause démographique, idéologique et juridique des fondements de l’emploi statutaire de droit public. En effet, contrairement à l’illusion selon laquelle l’essor des activités associatives permettrait de dépasser les antagonismes entre l’Etat et le marché, il est urgent de rappeler que cet essor n’est que le résultat d’une politique de brouillage des frontières entre privé et public […]
[…] le développement croissant du travail associatif (salarié, bénévole et celui plus particulier des « volontaires associatifs » [6] n’est au fond que le fruit du double processus de la « privatisation » du public et de la « publicisation » du privé [caractérisé par] la « privatisation » du public, au sens que lui donnent les juristes en termes d’affaiblissement du droit administratif [... et ] un travail historique de délégitimation des missions de l’Etat social et de légitimation de l’entreprise dans sa contribution à la production des biens publics. [...] Si la notion « d’économie sociale et solidaire » connaît actuellement du succès c’est sans doute en raison de sa faculté à dissimuler les stratégies d’adaptation les plus diverses au processus de privatisation du public et de publicisation du privé [7] ».
« La professionnalisation de l’ESS et son développement font que l’on s’y réfère de plus en plus comme à un secteur d’activité générateur d’emploi plutôt qu’à un mouvement alternatif porteur de valeurs et de principes. [8] ». Un des défis pour l’avenir sera probablement de concilier activité économique et innovation sociale mais également de consolider la dimension solidaire et politique tout en continuant d’affirmer le dynamisme sur le plan entrepreunarial. « A l’international, c’est la mise en réseau et l’émergence d’une initiative internationale qui constitue de plus grand challenge. A l’heure où la crise financière provoque les prises de conscience et où la nécessité d’une économie à visage humain est plus que jamais prégnante, les projets locaux pourront-ils porter la voix d’un discours politique commun et favoriser la mise en place d’une régulation économique internationale plus équitable ? [9] ».
Utilisations et citations
Dans une conception large de l’Économie sociale et solidaire (ESS), ayant vocation à réunir les expériences qui se réclament tant de l’Économie sociale comme de l’Économie solidaire, il est possible de regrouper de nombreux domaines :
– Ainsi, « En France, l’« insertion » est un domaine privilégié de l’ESS : parce que le travail est générateur de revenus mais aussi au cœur du processus d’intégration sociale, l’Insertion par l’Activité Économique est le mode privilégié d’accompagnement des personnes en situation d’exclusion ou de précarité. De nombreuses entreprises d’insertion conjuguent à la fois un objectif solidaire ou citoyen (la culture d’un potager Bio et la vente directe au consommateur par exemple), et un fonctionnement à forte utilité sociale (embauche de personnes en situation d’exclusion, accompagnement social des salariés) [10] »
– « La consommation responsable est également une composante de l’ESS, le consommateur et l’entrepreneur citoyen partageant alors la même conscience écologiste et les mêmes principes d’équité et de promotion sociale [11] »
– « Dans le domaine monétaire on voit également des expériences locales qui suppriment la médiation de l’argent pour réinventer l’échange : les SEL (Système d’Échange Local) ou RERS (Réseau d’Échanges Réciproques de Savoirs).
– D’autres initiatives cherchent à redonner du sens aux transactions financières aux moyens de finances et de placements solidaire : un placement d’épargne finance ainsi un investissement dans des activités à forte utilité sociale : insertion par l’emploi, insertion par le logement, développement durable ou solidarité internationale. Les épargnants font le choix de destiner une partie de leur épargne à des fins éthiques et solidaires (exemple : http://www.autonomieetsolidarite.fr/index.html) [12] ».
« Partout dans le monde, l’économie sociale, sous des formes diverses, participe du développement économique et social, spécialement sous la forme coopérative[…]
La conclusion de l’ouvrage « Produire de la richesse autrement » (CETIM, 2008) met en exergue leurs points communs :
– le contexte local qui influence leur développement et leur pérennité (et les rend difficilement exportables) ;
– la recherche d’autonomie pour les structures et leurs membres, qui en fait en premier lieu un outil de lutte contre l’exclusion sociale ;
– la promotion et la réappropriation de la démocratie par le mode de gestion ;
– l’émancipation des femmes actrices et levier de développement ;
– la vision à long terme et l’ancrage dans une culture de résistance.
Dans le champ des relations commerciales internationales, l’essor du commerce équitable et les pratiques de voyages ou de tourisme solidaire participent également d’une volonté de réduire les inégalités Nord Sud, d’exprimer une solidarité intercontinentale. Ils répondent à une exigence d’équité et de réciprocité dans les échanges. La multiplication des projets locaux et leur développement à l’international contrastent avec la dérégulation de l’économie mondiale et le libéralisme débridé : ainsi émerge le besoin et l’envie de partage et de mise en réseau pour espérer un jour travailler à un changement global [13] ».