Le monde entier, pas seulement l’Amérique, est responsable de l’Irak

Ali Al-Mawlawi

, par OpenDemocracy

 

Ce texte, publié originellement en anglais par OpenDemocracy, a été traduit par Amélie Boissonnet, traductrice bénévole de rinoceros.

 

La relance économique et humanitaire de l’Irak ne pourra pas aboutir tant que ses dilemmes politiques resteront mal compris de la communauté internationale.

À la fin du mois de septembre 2010, les dirigeants politiques du monde se réuniront à New York pour discuter des avancées des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Cinq ans avant l’échéance de 2015, les nations Unies redoublent d’efforts pour que gouvernements et militants de la société civile s’engagent à relever les défis qui jalonnent le chemin du prochain sommet sur les OMD.

Le mois dernier, le gouvernement irakien et la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (MANUI) ont publié un rapport conjoint sur les avancées de l’Irak vers la réalisation des OMD, identifiant d’importantes lacunes. Le rapport souligne que malgré des progrès considérables dans la promotion de l’égalité entre les genres, la réduction de la faim et de la mortalité, l’Irak marque un certain retard dans d’autres domaines, tels que l’accès à l’éducation primaire et la lutte contre le chômage.

Alors que l’Irak a presque atteint la parité filles-garçons dans l’éducation, le taux de scolarisation à l’école primaire n’est que 77%, contre 92% chez le voisin turc. Le chômage des jeunes représente à présent le double de la moyenne nationale de 15%, et un évaluation de ses objectifs de santé publique donne des résultats mitigés. Certes, le taux de vaccination contre la rougeole a grimpé de 70% en 2007 à plus de 90% en 2009, et le paludisme a été presque complètement éradiqué, aucun cas indigène n’ayant été rapporté en 2009 alors qu’on en recensait 39 000 en 1995. Mais même si la mortalité infantile continue de chuter, elle reste parmi les plus élevées dans la région.

Le rapport évoque à peine le 8e OMD, qui appelle au développement des partenariats globaux pour le développement en facilitant l’accès au marché pour le commerce, en réduisant l’endettement et en partageant les nouvelles technologies. Il mentionne seulement des améliorations dans l’accès aux technologies de télécommunication, sans aborder la nécessité d’un effort international concerté pour répondre aux problèmes de développement de l’Irak.

Similairement, la MANUI a signé en mai de cette année un Plan cadre des Nations unies pour l’aide au développement (UNDAF) avec le gouvernement irakien, lequel définit, pour les cinq années à venir, une stratégie coordonnée de fourniture de l’aide des Nations unies visant à garantir que l’Irak remplisse ses obligations envers les OMD. Le plan a pour priorité le renforcement de la gouvernance et la croissance économique, en s’appuyant sur des programmes anti-corruption et de modernisation du secteur public, mais il élude soigneusement la question de l’impact des forces étrangères qui continuent d’entraver le développement en Irak.

L’importance de la réintégration de l’Irak dans la communauté internationale ne saurait être sous-estimée. Après une décennie d’isolement, et bien davantage d’années d’arrogance du régime dictatorial, les Irakiens se trouvent dans l’incapacité de reconstruire leur pays sans l’expertise de la communauté internationale, et ceci pour deux raisons majeures. D’une part, la fuite des cerveaux due à l’exode de milliers de professionnels forcés à l’exil politique durant le règne de Saddam, et la détérioration des infrastructures de bases qui a résulté des sanctions, rendant l’Irak dépendant d’investissements étrangers pour mener à bien la reconstruction du pays.

D’autre part, et plus sérieusement encore, les problèmes politiques et économiques restent prisonniers d’un jeu de rapports de force orchestré par des acteurs extérieurs. Les six mois de marchandage entre blocs politiques irakiens concurrents qui ont suivi les élections parlementaires de mars 2010 peuvent paraître, à première vue, imputables aux seules chamailleries des élites politiques irakiennes. En réalité, cette confusion résulte en grande partie de l’influence des voisins de l’Irak sur les priorités politiques des partis, qui se sont éloignés de l’intérêt national.

Cette influence sur les négociations pour former le prochain gouvernement fut bizarrement illustrée peu après l’annonce des résultats définitifs de l’élection, lorsque la quasi-totalité des figures politiques (à l’exception, fait intéressant, du premier ministre) entreprirent des visites-éclair frénétiques dans la région, dans le but de présenter leur vision du nouveau gouvernement aux soutiens potentiels. Ces tournées virent se former les couples les plus improbables, avec une visite sans précédent du Conseil Suprême soutenu par l’Iran à Riyad pour rencontrer le Roi Abdullah, alors que la liste séculaire de Ayad Allawi s’asseyait à la table de Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran. Cette mascarade a donné l’impression que les politiciens irakiens étaient plus préoccupés par la bénédiction des gouvernements étrangers que par leur propre électorat, ce que le public irakien n’a pas apprécié.

Contrairement à ce que certains politiciens et décideurs politiques ont suggéré, plutôt que d’intervenir comme médiateur entre des blocs politiques irakiens dans l’impasse, le Conseil de sécurité des Nations unies pourrait jouer un rôle constructif, à la fois en limitant la pression externe des intérêts étrangers sur l’Irak, et en renforçant de l’intérieur la souveraineté du pays.

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que d’autres États membres influents, peuvent utiliser le levier diplomatique pour faire pression sur les voisins de l’Irak et les forcer à couper court au financement officieux des partis politiques irakiens, et de se concentrer plutôt sur les flux de terroristes et d’armes qui traversent leurs frontières.

Aider l’Irak à se renforcer en interne peut aussi lui permettre de résister par lui-même aux pressions externes. Sept ans et demi après la chute du régime de Saddam, l’Irak reste régi par le Chapitre VII de la Charte des Nations unies – un statut réservé aux États parias qui constituent une menace pour la paix et la sécurité internationales. En posant des restrictions à l’équipement de l’armée, à l’importation de certains produits chimiques et d’autres marchandises, ce statut restrictif fait obstacle aux efforts de renforcement interne de l’Irak, bien qu’il ait déjà ratifié plusieurs conventions de paix.

Le Chapitre VII maintient également le fardeau de la dette, qui continue d’entraver la reprise économique du pays. 5% du revenu total du pétrole revient au Koweït, en compensation de l’invasion d’il y a vingt ans ; l’Irak a déjà payé à son voisin 30 milliards de dollars US et en doit toujours plus de 22 milliards. S’ils étaient réinjectés dans l’économie nationale, ces fonds permettraient d’accélérer la réalisation des OMD en Irak à travers des investissements dans les infrastructures, ravagées par la guerre, et une amélioration du niveau de vie.

L’Irak a des différends frontaliers avec l’Iran sur le canal Shat Al-Arab, et des revenus potentiels sont perdus parce que le problème de la propriété des champs pétrolifères partagés avec ses voisins reste irrésolu. Comme la Turquie continue de limiter le débit fluvial du Tigre et de l’Euphrate, l’Irak est confronté au risque d’une crise de l’eau qui briserait définitivement tout espoir de restauration de son secteur agricole.

Tous ces problèmes requièrent des solutions internationales. De nombreux observateurs internationaux ont critiqué la politique du Président Obama en Irak, déplorant le retrait irresponsable des États-Unis à un moment critique pour l’Irak. Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est l’illusion que le succès de l’Irak est de la seule responsabilité des États-Unis. L’engagement de l’Irak à accomplir les OMD peut devenir le socle d’un effort diplomatique multilatéral concerté du Conseil de sécurité, visant à résoudre les nombreux problèmes qui entravent le potentiel de stabilité et de développement durable du pays.

Dans son allocution à la nation marquant la fin des opérations de combat en Irak, Obama a déclaré que les États-Unis avaient « payé un prix énorme pour mettre l’avenir de l’Irak entre les mains de son peuple ». Dès lors que l’Irak n’est plus sous le contrôle d’un dictateur brutal, la communauté internationale doit s’engager davantage avant que les Irakiens puissent prendre fermement en main leur propre destin.

Ali Al-Mawlawi, chercheur irakien, travaille pour un think-tank indépendant basé à Bagdad, l’Institut Irakien pour la Réforme Économique.