L’Amérique Latine et la compétition mondiale pour les minerais stratégiques

Par Monica Bruckmann

, par ALAI

Cet article a initialement été publié en espagnol, et il fait partie d’un dossier intitulé Ressources naturelles et géopolitique de l’intégration sudaméricaine. Il a été traduit par Carole Dautriche, traductrice bénévole pour rinoceros .

Sur l’échiquier géopolitique mondial, la compétition mondiale pour les minerais stratégiques conduira les mouvements des grands consommateurs vers les principales réserves de la planète. La stratégie des puissances hégémoniques comprend une action articulée et complexe destinée à renverser les barrières politiques et économiques permettant un contrôle à long terme de ces ressources.

Cette dynamique ne se limite pas au cadre commercial et donc à la consommation de la production mondiale, mais elle se dédouble nécessairement dans une politique de gestion et de contrôle des réserves mondiales. La plupart des contrats d’exploration et d’exploitation de ressources minières signés entre les entreprises minières (dont une grande majorité possède des capitaux nord-américains, européens et chinois) et les pays latino-américains disposent d’un cadre régulateur qui garantit à ces premières d’importantes périodes d’opération allant de 20 à 40 ans. Voir l’exemple des contrats d’exploitation de gaz naturel signés entre les gouvernements péruviens et chinois entre 2005 et 2006 pour une valeur d’environ milles millions de dollars par l’intermédiaire de contrats et accords d’une durée prévue de 40 ans. Plus récemment en 2010, un accord a été établi entre l’entreprise d’Etat chinoise China Minmetals Corp, à travers sa filiale péruvienne Lumina Cooper SAC pour des investissements s’élevant à 2,5 milles millions de dollars US dans l’extraction de cuivre pendant 20 ans. En 2005, l’entreprise d’Etat chinoise Shengli International Development Co Ltda a signé un accord avec la société d’Etat Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos pour investir 1,5 milles millions de dollars US dans le secteur pétrolier et du gaz pour une durée de 40 ans. Pour plus de détails sur les accords et contrats établis entre la Chine et les pays latino-américains, se référer à l’annexe 2.

Les découvertes de nouveaux gisements et d’importantes réserves de minerais stratégiques influenceront le déplacement d’intérêts géopolitiques d’un pays à un autre ou d’une région à une autre. Une carte dynamique qui actualise en permanence le volume des réserves de minerais en Amérique Latine devient un outil très utile pour prévoir le déplacement des intérêts géopolitiques dans la région ainsi que l’apparition de nouveaux désaccords et conflits sur le continent.

Le graphique 15 fait apparaître l’état des réserves de minerais sélectionnés de l’Amérique Latine, la Chine et des Etats-Unis par rapport aux réserves mondiales en 2009. De toute évidence, les intérêts stratégiques des puissances hégémoniques et émergentes relatifs à ces matières premières ne peuvent pas être uniquement analysés à partir de la consommation de la production mondiale mais principalement à travers un inventaire dynamique des réserves mondiales. Une analyse plus profonde pourrait comparer le comportement historique de la production concernant les réserves de minerais stratégiques dans les pays possédant ces ressources avec l’objectif d’élaborer des taux de drainage/d’épuisement des réserves ainsi que des politiques d’accroissement ou de diminution de la production dans les limites établies à partir de stratégies nationales et régionales d’utilisation de ces ressources. Il s’agit de créer des instruments analytiques servant à la prise de décision ainsi qu’à l’élaboration de politiques publiques des pays et régions producteurs de matières premières qui permettrait une gestion économique plus efficace de leurs propres ressources.

Graphique 15 : Réserves de minerais stratégiques de l’Amérique Latine, de la Chine et des Etats-Unis par rapports aux réserves mondiales – 2009 (Données exprimées en pourcentages) - Voir document Pdf.

Les données illustrent la grande participation de l’Amérique Latine dans les réserves de minerais. En premier lieu, apparaît le niobium, minerai qui continue a être utilisé de manière intensive dans la production de fer et, dans une moindre mesure, dans l’industrie aérospatiale. Par conséquent, il s’agit d’un minerai extrêmement important, non seulement pour les Etats-Unis, mais également pour la Chine qui émerge comme étant le plus grand consommateur de fer dans le monde.

Le lithium est pris en compte dans ce graphique sans compter les dernières découvertes des réserves en Bolivie, à la suite desquelles, l’Amérique Latine devient détentrice de 99% des réserves mondiales (91% en Bolivie, 7% au Chili, 1% en Argentine). En raison de l’importance stratégique que représente ce minerai, comme nous l’avons démontré précédemment, nous pouvons nous attendre à ce que les Etats-Unis exercent une grande pression croissante sur la gestion du lithium en Bolivie assurée par la société d’Etat Comibol (Corporación Minera de Bolivia).

Le rhénium, minerai dont dépendent les Etats-Unis à 79% d’importations d’autres pays, surtout du Chili, possèdent 54% de ses réserves dans la région (Chili et Pérou). Bien que les Etats-Unis détiennent une participation de 16% dans les réserves mondiales de ce minerai, sa production ne pourvoit pas à la totalité de la consommation intérieure.

En raison du volume de cuivre importé par les Etats-Unis et de l’impact qu’il a sur son économie, le cuivre revêt une importance particulière pour l’Amérique Latine : la région détient 48% des réserves mondiales (Chili, 30% ; Pérou, 12% et Mexique, 7%) et environ 44% de la production mondiale (Chili 34% ; Pérou, 8% ; Mexique, 1,6%) d’après des données datant de 2009. La consommation des Etats-Unis en cuivre dépend à 23% d’importations liquides. 21% de ses importations liquides de cuivre provient d’Amérique Latine. Cela signifie que presque tout le cuivre importé par les Etats-Unis émane de la région. D’autre part, la Chine, comme nous le verrons ultérieurement dans ce rapport, qui dispose d’à peine 6% des réserves mondiales et un taux similaire de participation dans la production mondiale, d’après des données de 2008, a consommé 4,81 [1] millions de tonnes métriques de cuivre raffiné, c’est-à-dire, 30% de la production mondiale.

Ce panorama indique que l’Amérique Latine représente un espace vital pour l’approvisionnement en cuivre, tant pour les Etats-Unis que pour la Chine. Alors que le premier affiche une consommation stable concernant ce minerai tout au long des dernières années, la Chine ne cesse d’accroître sa consommation de cuivre d’environ 10% par an [2].

Le graphique 16 fait état de la production de minerais sélectionnés des Etats-Unis, de la Chine et de l’Amérique Latine par rapport à la production mondiale, y compris les importations des Etats-Unis pour l’année 2009 [3] .

Graphique 16 : Production de minerais stratégiques des EU, de la Chine et de l’Amérique Latine par rapport à la production mondiale et Importation pour la consommation des EU – 2009 (Données exprimées en pourcentage) - Voir document Pdf.

Les données offrent un panorama des intérêts états-uniens mesurés à partir de leurs importations de minerais dont la production mondiale provient fondamentalement d’Amérique Latine et de Chine. La demande croissante de la Chine pour les minerais sélectionnés a pour conséquence que celle-ci tend à consommer la totalité de sa production et se voit ainsi dans la nécessité d’importer ces ressources d’autres régions dans le but de diminuer son déficit. Face à cette situation, les Etats-Unis doivent de plus en plus se tourner vers les importations en provenance d’Amérique Latine afin de pourvoir à leur consommation. La trajectoire de la courbe des importations indique que les cas les plus délicats pour les Etats-Unis sont le bismuth, le cuivre, l’étain, le lithium, le niobium, le nickel, l’or, l’argent, le rhénium, le titane et le zinc, par rapport auxquels la production demeure bien inférieure à la demande.

La Chine détient le leadership absolu pour la production de terres rares, ce à partir de quoi elle a développé une politique industrielle spécifique en attirant la production d’appareils de télévision et d’écrans d’ordinateurs depuis la Corée vers son propre territoire. L’Amérique Latine possède le contrôle absolu concernant le niobium et va sur la même voie pour le lithium. Cette situation établit la nécessité urgente d’élaborer une politique régionale d’industrialisation du lithium qui déplace la production de batteries rechargeables des dispositifs électroniques portables du sud-est asiatique vers l’Amérique du Sud. Il va sans dire que cela requiert la création d’un centre important de recherche scientifique et technologique de ce minerai, en plus d’une stratégie d’appropriation d’innovations à partir des centres actuels de production d’équipements électroniques liés à ce minerai. La gestion économique de ces minerais requiert le développement d’équipements de recherche multidisciplinaires dont le champ d’étude doit aller de la recherche géologique pour l’extraction du minerai en question, avec un impact environnemental le plus minime possible, jusqu’à la recherche scientifique propre à développer une technologie de pointe par rapport à la production dérivée de ces matières premières. En raison de l’envergure de ce projet, cela ne peut être développé que dans le cadre d’une politique régionale.