Deux ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, les entreprises dans le viseur des ONG

, par Collectif Ethique sur l'étiquette

Voilà deux ans qu’a été adoptée la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui vise à mieux prévenir les atteintes aux droits fondamentaux et à l’environnement liées à l’activité des multinationales. ActionAid France-Peuples Solidaires, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, collectif Ethique sur l’étiquette et Sherpa, publient aujourd’hui une étude qui dresse un constat inquiétant. Les premiers plans de vigilance que devaient présenter les entreprises en 2018 sont souvent incomplets et parfois même inexistants. Il est urgent que les entreprises se conforment à cette obligation, mais aussi que les autorités françaises rendent cette loi encore plus ambitieuse, à la hauteur des enjeux actuels.

En 2017, la France devient le premier pays à adopter une législation contraignante sur le respect des droits humains et de l’environnement par les multinationales [1]. L’année 2019 sera décisive puisque les premières actions en justice s’appuyant sur cette loi pourront être lancées [2].

Sur les 80 plans de vigilance analysés par nos associations [3], la plupart ne répondent que très partiellement aux exigences de la loi, notamment en termes d’identification des risques de violations, de leur localisation et des mesures mises en œuvre pour les prévenir.

Plus grave encore, certaines sociétés, telles que Lactalis, le Crédit agricole, Zara ou encore H&M n’ont toujours pas publié de plan de vigilance, en dépit de l’obligation légale qui leur est faite.

Certains secteurs sont particulièrement à risques en termes d’atteintes aux droits humains et à l’environnement : industries extractives, secteurs de l’armement, de l’habillement, secteurs agroalimentaire et bancaire. Nous avons donc analysé plus particulièrement les plans de vigilance d’entreprises majeures, telles que Danone, Dassault Aviation, Total, BNP Paribas ou encore Carrefour. Nous avons constaté d’importants manquements au niveau des cartographies des risques. Elles sont pour la plupart insuffisantes, voire inexistantes. Les risques pour les investisseurs ou pour l’entreprise elle-même sont mis en avant au détriment de ceux relatifs aux tiers (les travailleurs, les populations et l’environnement), alors même que la loi est sans équivoque sur cet aspect.

Si la loi est peu ou mal appliquée, il est illusoire d’envisager une diminution des dommages environnementaux ou des violations des droits humains dont sont victimes des travailleurs et des populations à travers le monde. Nous demandons aux pouvoirs publics d’assurer un réel suivi de l’application de la loi et de la renforcer afin que davantage d’entreprises soient visées.

Par ailleurs, cette loi française étant devenue une référence internationale, il est également indispensable que la France œuvre à l’adoption en Europe et dans le monde de normes contraignantes pour toutes les multinationales, permettant enfin un accès efficace des victimes à la justice. Nous demandons à la France de soutenir activement l’internationalisation du devoir de vigilance en contribuant de manière ambitieuse à l’élaboration du traité sur les multinationales et les droits humains actuellement négocié aux Nations unies, et en exigeant de l’Union européenne un soutien ferme à ce processus.

Notes

[1Le texte de la loi relative au devoir de vigilance est disponible ici. Celles-ci ont désormais l’obligation légale d’identifier et de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement qui résultent non seulement de leurs propres activités, mais aussi de celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs avec lesquels ces multinationales entretiennent une relation commerciale établie, en France et dans le monde.

En 2018, les grandes entreprises françaises ont donc été obligées d’établir, de publier et de mettre en œuvre de façon effective leur premier plan de vigilance [[300 entreprises françaises concernées
Adoptée le 21 février 2017, grâce à une importante mobilisation de la société civile, la loi française sur le devoir de vigilance concerne les entreprises implantées en France, qui emploient au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde (en leur sein et dans leurs filiales directes et indirectes). Ces entreprises pourraient être autour de 300, mais aucune liste complète des entreprises soumises à cette loi n’ayant été publiée, malgré plusieurs demandes formulées par nos organisations et des parlementaires auprès du ministère de l’Économie et des Finances, nous ne pouvons donner qu’une estimation.

[2Une loi contraignante
En cas de manquement à ces obligations, la responsabilité civile de l’entreprise peut être engagée devant un juge français, et l’entreprise peut alors le cas échéant être condamnée à réparer le dommage et à indemniser les victimes. Avant tout dommage, si l’entreprise n’établit pas son plan de vigilance, si elle ne l’a pas rendu public ou si elle ne le met pas en œuvre de façon effective, elle peut y être contrainte par le juge, le cas échéant sous astreinte.

[3L’étude à lire ici est publiée par ActionAid France-Peuples Solidaires, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, collectif Ethique sur l’étiquette et Sherpa, membres du Forum citoyen pour la RSE.