Des activistes autochtones forgent une transition juste vers les énergies renouvelables

, par Truthout , LADUKE Winona

Des activistes autochtones et des jeunes façonnent une vision claire de la transition nécessaire afin de nous guider vers un futur environnementalement juste - et beaucoup d’entre elles et eux s’apprêtent à rejoindre la cause. A travers le pays, le mouvement Sunrise et des groupes autochtones de justice environnementale reprennent un pouvoir politique en retrait avec un souffle nouveau. Même les Démocrates en parlent. La politique du Green New Deal est au Congrès, mais sous-jacent à cela est le besoin plus grand d’une stratégie de transition juste – un plan soutenant les salarié·es en sécurisant des emplois utiles et importants car de profonds changements structurels sont appliqués à la façon dont les humain·es interagissent avec leur environnement.

La transition est inévitable, mais pas la justice. Ce sont les bases. « Une transition juste » est une stratégie pour un changement adapté à une économie qui soit durable, équitable et juste pour tout le monde.

Panneaux solaires, dans l’État de Utah. Photo : ricketyus (CC BY 2.0)

Fairbanks est un lieu où une transition juste pourrait bien voir le jour. Oui, Fairbanks, en Alaska – le cœur du complexe militaro-industriel de l’État et des champs pétroliers de Prudhoe Bay. Ceci n’est pas Berkeley, en Californie. C’est une ville multiraciale, en majorité dû au fait que l’armée y est plus diverse que la population d’Alaska elle-même. Lors du jour le plus froid du mois à Fairbanks, une journée clémente à - 1,5 °C, l’organisation de justice sociale autochtone Native Movement a rassemblé des centaines de leaders autochtones ainsi que des économistes, urbanistes, écrivain·es et visionnaires afin de parler de la future économie, et ont basé leur stratégie sur l’économie traditionnelle. Après tout, c’était le plan d’origine du Green New Deal.

« Kohtr’ elneyh » signifie « Nous nous souvenons » en Benhto « Kenaga », la langue élémentaire Tanana Dene Athabascan. La phrase fait référence à la connaissance autochtone guidant la transition juste. L’idée d’implémenter ce terme, et de se servir de la connaissance traditionnelle comme gouvernail dans cette tâche de transition juste, viens de Native Movement. Pendant deux jours en Janvier, des visionnaires sont venus parler de l’avenir de leurs communautés, des systèmes de production de nourritures locales aux énergies renouvelables. Il n’est d’autres temps que le temps présent, car le changement climatique continue de faire fondre le permafrost en Alaska.

« La stratégie de la transition juste », nous rappelle Enei Begaye de Native Movement, « soutient les relations enracinées depuis des temps immémoriaux et fait savoir que ce ne sont pas les Humain·es qui gouvernent la Terre, mais plutôt la Terre et les êtres spirituels de la Terre qui ont fondés les relations entre les Humain·es et leur relation à la Terre… Nous reconnaissons que la profondeur de la connaissance autochtone, enracinée dans l’habitat ancestral d’un lieu particulier, apporte des réponses alors que nous cherchons une façon de vivre plus satisfaisante et plus durable. »

Native Movement défie le Saint Graal du pétrole et de l’armée, et il est temps. L’élaboration des frontières a plongé l’Alaska dans une crise culturelle, économique et environnementale continuelle. Avec la découverte des plus grands champs de pétrole en Amérique du nord, l’Alaska a été forcé de négocier légalement avec les Premières Nations, créant l’Alaska Native Claims Settlement Act (« Acte de Revendication Territoriale des Autochtones d’Alaska » - ANCSA) en 1971, réalisant alors la plus grande revendication territoriale des autochtones de l’histoire des États-Unis. Il a été créé afin de fournir à l’industrie pétrolière l’accès aux territoires autochtones. L’ANCSA avait pour but de résoudre les problèmes persistants concernant les revendications territoriales au peuple autochtone en Alaska. Il fit l’effet d’un bombe dans l’industrie pétrolière et causa la destruction du style de vie des Premières Nations. L’exploitation du pétrole a provoqué le relâchement de millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Et ce n’était pas une bonne idée.

L’ANCSA a transformé les politiques autochtones et a ainsi largement ouvert la porte à ce que l’Alaska crée à plein régime son économie frontalière. Prudhoe Bay, ou Sagavanirktok, est le joyau de l’exploitation pétrolière en Alaska. S’étendant sur plus de 80 milles hectares (80937), la capacité de production de barils de pétrole est estimée à 25 milliards. En plein essor, l’administration Trump espère continuer à prospérer dans la Réserve Nationale de la Faune Sauvage Arctique (Arctic National Wildlife Refuge), où les Gwich’in et leurs allié·es ont résisté à l’exploitation pétrolière pendant plus de 30 ans. Le programme de Trump suscite un gros problème écologique ainsi qu’en terme d’avenir de la population locale. Après tout, les champs pétroliers et le système de pipeline Trans-Alaska provoque le déversement d’environ 500 produits chimiques et pétrolifères chaque année sur le Versant Nord ; et l’Arctique continue de fondre. Le déversement de pétrole à Prudhoe Bay en 2006 représentait, selon les estimations, l’équivalent de 27000 barils.

Pendant 30 ans, Lizhik Gwat’san Gwandaii Goodlit ou « Le lieu sacré où la vie commença » (de la Reserve Nationale de la Faune Sauvage Arctique à la Baie de Prudhoe) a été menacé par les grandes compagnies pétrolières. Il est l’habitat de la dernière plus grande horde de caribous du continent. Le peuple Gwich’in a survécu grâce à la horde de caribous Porcupine pendant des milliers d’années, pour se nourrir mais également pour des besoins culturels et spirituels. La horde de caribous Porcupine migre vers les plaines de la côte de la Réserve Nationale de la Faune Sauvage Arctique chaque année où les femelles caribous viennent y mettre bas.

L’armée s’est également installée dans cette zone. Après Hawaii, l’Alaska est l’État le plus militarisé en terme d’impact économique du Pentagone. Sept cents sites actifs et abandonnés comptabilisent au moins 1900 zones sensibles toxiques. Cinq sites Superfund sur sept dans l’État sont le résultat de la pollution militaire. Les 700 sites de défense anciennement utilisés en Alaska racontent l’histoire de la Guerre Froide et de toutes celles qui ont suivi. L’armée détient près de 700 000 hectares en Alaska, et ce n’est pas près de s’améliorer.

Enfin, prenez le dernier plus grand et le plus inutile projet minier de l’histoire de l’Alaska, la Mine Pebble, une énorme mine d’or située à la source de la Baie de Bristol, la ferme d’élevage de saumon la plus productive des États-Unis. Après maints rejets de l’Agence de Protection Environnementale d’Obama (EPA) et une opposition massive des citoyen·nes, l’EPA de Trump pourrait essayer d’autoriser un autre projet qui ne devrait jamais voir le jour.

Et pourtant, face à la violence de l’histoire coloniale de l’Alaska, les communautés autochtones font briller au loin une lueur d’espoir. Beaucoup de village autochtones ont été de ceux qui ont le moins bénéficié de l’industrie des énergies fossiles et des infrastructures de pays développé, en dépit du fait que ce sont les richesses et les ressources autochtones qui ont servies à construire l’Alaska. Désormais les tribus anticipent la future économie. Prenez les îles Pribilof. Les villages Aleut, « où est né le vent », s’étendent sur plus de 1500 km depuis Anchorage. Le prix de la production d’électricité y est entre 22 et 58 centimes par kilowatts heure. Ce qui est pour certain·es très cher dans une région particulièrement froide. Aleuts connaît des vents très forts - de classe 7, le taux le plus élevé, avec des bourrasques allant jusqu’à 240 km/h. Nécessité faisant loi, et pendant les deux dernières décennies, les îles Pribilof ont travaillé avec la puissance du vent, érigeant des turbines de petite et moyenne tailles afin de combler leurs besoins, ou du moins compenser l’utilisation de diesel.

En période de changement climatique, l’Alaska fait mal. Les impacts climatiques sont amplifiés dans l’Arctique ; et Kivalina, Shishmaref et nombres d’autres villages sont submergés par l’océan. Les ours polaires sont affamés. La glace n’est pas bonne, c’est-à-dire que les ours polaires ne peuvent pas attraper les phoques car elle ne se forme pas ou ne supporte pas le poids des ours. Ils ont besoin de glace épaisse, ce qui ne se produit pas à cause du changement climatique. La montée du niveau de la mer provoque l’inondation de villages le long de la côte maritime de l’Alaska. Dans le village de Newtok, le niveau de l’océan a tellement augmenté que la mer arrive à quelques mètres de leur maison et de forts vents amènent les vagues jusqu’au seuil de leurs portes. Le coût pour déplacer les villages autochtones qui y étaient installés depuis des siècles se compte en centaines de millions de dollars. Ce qui est fatal. Il est grand temps de se préparer à agir, maintenant.

La nourriture de base en Alaska se trouve soit dans les buissons, soit dans l’océan. Ce qui est totalement chamboulé avec ce changement climatique. Alors que les villages d’Alaska font plus que jamais face à l’insécurité alimentaire, le changement climatique apporte la possibilité d’une agriculture arctique. Fairbanks a désormais deux semaines supplémentaires pour cultiver avant l’arrivée du gel, et alors que la Norvège, l’Islande et d’autres pays scandinaves avancent vers une plus vaste agriculture, l’Alaska s’apprête à suivre. A Fairbanks, le nombre de jours sans gel a quasiment doublé depuis le début du 20ème siècle, rapporte Milan Shipka, directeur de la Station d’Expérimentations Agricoles et Forestières à l’université Fairbanks d’Alaska. « La possibilité de travailler le sol a commencée deux semaines plus tôt que ce à quoi chacun s’attendait », dit-il.

L’Alaska comprend plus de 750 fermes travaillant sur 335 000 hectares de terres agricoles. L’industrie a contribué pour plus de 48 millions de dollars à l’économie en 2014. Et plus encore, ces fermes peuvent cultiver de la nourriture pour les villages, et pas seulement pour l’argent. Ce qui fait partie de la transition juste. Les villages autochtones recherchent des serres pouvant fonctionner toute l’année, se chauffant depuis des sources chaudes naturelles, et travaillant avec de la lumière continue afin de cultiver pour l’avenir.

L’Alaska n’est qu’un des endroits où les dirigeant·es de Premières Nations se tournent vers la prochaine économie. En Juin 2018, lors d’un rassemblement au Centre Larry Casuse pour les Libertés d’Albuquerque, les dirigeant·s autochtones ont dévoilé les principes fondateurs du Red Deal (l’Entente Rouge), et posent les questions suivantes : « Imaginez si nous avions plus d’un trillion de dollars pour investir dans le système de santé ? Pour augmenter les salaires des enseignant·es afin qu’ils et elles puissent fournir une éducation gratuite et de qualité pour tou·tes ? Pour réparer les routes et fournir un service de transports publics sécurisés et accessibles à tou·tes ? Pour investir dans des programmes de revitalisation de grande envergure dans chaque Nation autochtone sur le continent ? »

Dans le territoire du Lakota, berceau du fructueux travail du Développement des Communautés de la Thunder Valley (Vallée du Tonnerre), se trouve le collectif NDN. Une centrale de jeunes architectes, économistes et dirigeant·es autochtones. Ils et elles appellent à ce que le mouvement plus vaste non seulement désinvestisse les énergies fossiles mais aussi qu’il crée une stratégie économique qui « atteigne le niveau zéro d’émissions de gaz à effets de serre par une transition juste et responsable pour toutes les communautés et travailleur·ses. » De plus, le collectif maintient que « chaque projet ou programme du Green New Deal impactant nos terres et peuples doit avoir une direction autochtone, agir en transparence, et en partenariat collaboratif. »

De la même façon, le Native Movement d’Alaska se bat pour une transition menée par des autochtones et qui soit enracinée dans des pratiques et valeurs sociales autochtones associées à une stabilité à long terme.

« Si le but de l’Economie Régénérative est le rétablissement écologique, la résilience des communautés et l’équité sociale, alors les ressources doivent être acquises par régénération. » Le Native Movement a écrit dans un document de conférence. « Nous devons construire plutôt qu’épuiser les sols. Nous devons utiliser les forêts et les rivières de façon à ce qu’elles subviennent à nos besoins, mais à une échelle et à un rythme adapté aux écosystèmes. En d’autres termes, nous devons nous souvenir et revenir à des moyens de connaissances basés sur la Terre. »

Le département des énergies estime que la puissance du vent des terres autochtones pourrait satisfaire jusqu’à 32 pourcent de la demande totale en électricité des États-Unis. De plus, la production en énergie solaire des terres autochtones pourrait générer assez d’électricité pour alimenter le pays jusqu’à deux fois plus. C’est ça, la prochaine économie.

Les implications sont immenses, son potentiel également. Une économie post énergies fossiles voit le jour à travers le continent. La réserve de Standing Rock a publié en ligne le plus grand projet d’énergie solaire du Dakota du Nord. Le Blue Lake Rancheria, au nord de la Californie, est en tête en matière d’électricité solaire et de stockage. La réserve White Earth manufacture des panneaux solaires thermiques (8th Fire Solar) pour chauffer les foyers ; et dans la réserve Navajo, une centrale à charbon historique fournira de l’énergie solaire en utilisant le réseau construit pour le charbon, dans le cadre du projet Kayenta Solar Project II. Le commencement est proche, et c’est une économie verte, réparatrice, basée sur des valeurs et connaissance autochtones.

Lire l’article original en anglais sur le site de Truthout