L’irruption des États-nations au Moyen Orient à la fin de la Première Mondiale va bouleverser les peuples qui y vivent. L’empire ottoman et son voisin perse gouvernaient en tenant compte de la grande diversité de la population tant sur les plans ethniques, linguistiques, culturels et religieux, avec une décentralisation importante du pouvoir – même si la fin du XIXe siècle est marquée, avec les Tanzimat [1], par un centralisme accru et une bureaucratisation de l’empire ottoman pour lutter contre les volontés d’autonomie qui émergent. Outre les structures de gouvernance de l’empire, tribus et clans jouent un rôle fort et structurent la société.
Les frontières tracées par les puissances coloniales françaises et anglaises avec les accords Sykes-Picot (1916) vont imposer un découpage qui ne prend pas en compte les structures sociales existantes et la réalité des populations qui se retrouvent de fait obligées d’y vivre. Le modèle de gouvernance basé sur l’État-nation européen est alors importé dans la région, à la fois par les puissances coloniales, mais aussi par la toute jeune république turque. Certains peuples voient alors leurs aspirations à l’autonomie balayées : c’est le cas des Palestinien·nes, et des Kurdes, à qui l’on dénie une existence politique, avec des conséquences exacerbées aujourd’hui.
Parler du peuple kurde de manière générale est une gageure, tant les situations sont diverses au sein des différentes frontières entre lesquelles sont divisé·es les Kurdes. De même, différentes alternatives politiques existent. Ce dossier n’a donc pas vocation à être exhaustif sur le sujet du Kurdistan, il fait le choix de laisser de côté un grand nombre de thématiques et de suivre un fil directeur : le projet de confédéralisme démocratique, comme alternative politique au modèle d’État-nation pour les peuples du Kurdistan. Si nous n’hésiterons parfois pas à élargir la perspective, ce choix nous a semblé cohérent avec les dynamiques politiques de la dernière décennie, notamment dans les régions kurdes de Turquie et de Syrie où il a inspiré différentes mobilisations politiques et sociales de masse, jusqu’à conduire à la formation d’une Administration Autonome au nord de la Syrie, dans la zone communément connue sous le nom de Rojava.