Le 1er décembre, une pluie torrentielle s’est abattue dès l’aube, inondant plusieurs quartiers de Franco da Rocha, au nord de la région métropolitaine de São Paulo. Les rues étaient ainsi bloquées, les commerces fermés et les bus ont dû emprunter un autre trajet pour circuler en ville.
« Il était difficile de connaître l’état du réseau de transport public lorsque la ville était inondée », relate Amanda Ferreira, une étudiante de 20 ans. « Le seul moyen d’obtenir des informations était de se renseigner auprès des personnes piégées par les inondations et de celles qui rentraient chez elles ».
La difficulté d’accès à l’information s’explique aisément. Franco da Rocha ne possède actuellement que deux moyens de communication et s’inscrit comme un « quasi-désert médiatique », comme l’indique le dernier Atlas de l’Information, qui évalue le nombre de médias présents dans les villes brésiliennes depuis 2017.
Cette année, outre le fait de constater que 30 millions de Brésiliens ne bénéficient pas d’une presse locale, l’étude réalisée par Projor (Institut pour le Développement du Journalisme) s’est penchée sur les villes peu couvertes par les médias : les « quasi-déserts médiatiques ».
« Je découvre ce qui se passe à Franco da Rocha sur les réseaux sociaux et, parfois, sur la page Facebook de la mairie. Et comme beaucoup d’informations circulent grâce au bouche à oreille, nous ne savons jamais si elles sont fiables ou non », explique Amanda.
« Nous voyons, par exemple, que le site de la mairie ou la page d’un(e) maire sur un réseau social constitue la principale source d’information pour se renseigner sur un lieu donné. Et ça, ce n’est pas du journalisme », note Angela Pimenta, présidente de Projor. « Le risque majeur pour ces villes est que les informations fournies ne respectent pas de protocole journalistique, ne s’ouvrent pas à la contradiction, ou puissent être totalement fausses, incomplètes, ou biaisées, ce qui s’apparente à de la désinformation ».
Des déserts médiatiques ou presque
Plus d’un million de personnes, dans la région métropolitaine de São Paulo, sont susceptibles de ne pas disposer d’un média d’information couvrant leur municipalité. Au moins 10 villes comptent deux moyens de communication (portail Internet, radio ou TV) qui couvrent la vie municipale.
Trois villes ne possèdent aucun média local : Vargem Grande Paulista (50 000 habitants), au sud-ouest de la région, Pirapora do Bom Jesus (18 000) à l’ouest et Biritiba Mirim, commune de 31 000 habitants située dans la région d’Alto Tietê.
Dans la région de Biritiba, à l’est de São Paulo, la menace d’un « désert médiatique » existe, bien qu’elle ne soit pas encore d’actualité. « Nous recevons suffisamment d’informations de la part du groupe de la ville sur WhatsApp. Comme la ville ne possède aucun journal, j’achète le Diário de Mogi », commente Maria Aparecida Nunes, 73 ans, qui vit depuis au moins 30 ans à Biritiba.
Aux abords de la ville, Ferraz de Vasconcelos, autre cité de 188 000 habitants, se retrouve dans la même situation : elle ne détient que deux journaux.
L’alternative à cette pénurie de médias réside donc dans les réseaux sociaux. « Nous avons l’habitude de suivre les comptes des journaux de la région [établis dans d’autres villes] et ceux de Ferraz, ainsi que la TV Cenário. Je suis également ceux des conseillers municipaux », dit Renan Santos, 20 ans et étudiant.
« Les seules informations que je lis concernant Ferraz sont sur Facebook. Je m’informe habituellement sur le compte ‘Salve Ferraz’ », indique Juan Pedro Morales, 26 ans et analyste informatique.
Les inégalités, qui affectent également la communication, sont au cœur du problème. La région de São Paulo recense plus de 1000 médias d’information. Toutefois, 76% d’entre eux sont basés dans la capitale. Dans les 38 villes restantes, le taux de médias locaux ne s’élève qu’à 24%. Ces municipalités concentrent néanmoins 40% de la population.
En comparaison, São Paulo possède un ratio de sept médias pour 100 000 habitants. A Franco da Rocha, c’est un média pour 100 000.
« Les gens prennent connaissance de ce qui se passe grâce aux commentaires des utilisateurs », affirme Márcia Pereira Cardoso, 40 ans, qui vit à Franco. « J’utilise Facebook ou WhatsApp, car je n’ai aucun autre moyen de communication. Ce serait bien d’avoir un journal à la radio ou à la télévision qui parle de la ville », dit-elle.
« Je ne lis jamais le journal car j’y découvre des informations dont j’ai eu connaissance par des proches. Quand un événement, généralement malheureux, se produit, la nouvelle se répand rapidement », souligne Gustavo Correa da Silva, un électricien de 22 ans.
« Cela signifie que la population n’a pas accès au droit à l’information », résume Ângela qui indique que l’enquête cherchait à donner un aperçu de la situation dans le pays, afin de pouvoir réfléchir à des solutions pour stimuler la création de projets de journalisme local.
L’enquête relève ainsi une corrélation entre l’absence d’informations et de services publics de qualité dans certaines villes, et pointe du doigt une question de rentabilité.
« Nous constatons clairement un lien entre la présence de la presse et l’IDH (Indice de Développement Humain). Les personnes qui éprouvent le plus de difficultés à être informées sont aussi celles qui souffrent du manque d’installations sanitaires, de médicaments, de l’accès à une éducation de qualité, et qui subissent également les ravages de la pollution ».