Les manifestations de masse contre les atteintes aux droits humains du gouvernement d’Aleksandar Vučić entrent dans leur cinquième semaine consécutive, avec des milliers de personnes qui les rejoignent dans cinq villes de Serbie en plus de la capitale Belgrade.
Les manifestations ont démarré après que Borko Stefanović, le président du parti politique la Gauche serbe, et créateur de la coalition d’opposition Alliance pour la Serbie, a survécu à une tentative d’assassinat le 23 novembre, quand des voyous brandissant des barres de fer l’ont frappé ainsi que deux autres militants de la Gauche serbe, dans la ville de Kruševac en Serbie centrale.
Le mouvement de protestation s’est amplifié après une autre tentative d’assassinat, contre le journaliste Milan Jovanović le 11 décembre.
Chaque samedi depuis fin novembre, des milliers de personnes bravent le froid glacial pour descendre dans les rues de Belgrade avec le slogan “arrêtez d’ensanglanter les chemises” (#STOPkrvavimkošuljama). Ce slogan est né après la conférence de presse pendant laquelle Sefanović a montré sa chemise tachée de sang à un rassemblement suivant l’agression du 23 novembre. Le 5 janvier, de grandes manifestations se sont tenues pour la première fois à Novi Sad, Niš et Kragujevac, trois grandes villes de Serbie, ainsi qu’à Kuršumlija et Požega, plus petites.
Un autre slogan de manifestation, “un sur cinq millions” (#1od5miliona), fait allusion à la récente déclaration de M. Vučić qu’il ne donnera suite à aucune revendication même si cinq millions de personnes devaient rappliquer dans les rues. La Serbie compte environ six millions d’habitants.
« Au rassemblement de Belgrade ce soir contre le président serbe Aleksandar Vucic, les manifestants ont fait partir des fusées éclairantes, porté des banderoles, et même écrit dans la neige “Vucic voleur”, au son des sifflets. »
Comme un air d’années 1990
Pour la première fois depuis les années 1990, la contestation unit les opposants de gauche et de droite du gouvernement actuel dans la crainte partagée d’une chute du pouvoir dans la dictature et le fascisme.
La ressemblance des événements avec ceux qui ont fait perdre le pouvoir à Slobodan Milošević (dont Vučić, alors un radical de droite, a été ministre de l’information) en 2000 n’a pas échappé à certains, dont la journaliste Biljana Stepanović, qui a tweeté deux photos côte à côte :
Un autre slogan vu à la fois dans la presse et sur les médias sociaux était “c’est le début” (#počeloJe), un cri d’espoir que les manifestations grossissent en un mouvement dans tout le pays semblable à celui de la fin des années 1990.
Dans les dix dernières années, Aleksandar Vučić s’est donné l’image de marque rénovée d’un centriste modéré en prônant du bout des lèvres l’intégration de la Serbie dans l’Union européenne, ce que ses opposants affirment n’être qu’un camouflage de ses tendances autoritaires croissantes en interne et de sa servilité envers le Kremlin.
Jusqu’à présent, il a fait peu de cas des manifestations. Tandis que les médias gouvernementaux tentent d’en minimiser la dimension et l’importance, Vučić quant à lui a nargué ses opposants en évoquant une élection surprise qui, avec le contrôle quasi total du parti sur l’État, ne peut que lui donner la victoire. Les chefs de l’opposition ont déclaré qu’ils boycotteraient une telle décision.
Dans un entretien avec Balkan Insight, les organisateurs des manifestations ont dit que leur gain principal est d’avoir “réveillé la jeunesse serbe de son apathie” sans faire directement campagne pour que l’opposition prenne la place du gouvernement actuel. L’opposition fait nettement profil bas dans les manifestations, par crainte de s’aliéner les citoyens apolitiques ou les militants de la société civile.
Pendant ce temps, le public a tourné en ridicule la désinformation tentée par les médias gouvernementaux. Avec un accès internet, les gens peuvent voir par eux-mêmes ce qui se passe, grâce aux vidéos et photos prises en direct sur les lieux.
Tweet : « Hier le cortège était conduit par les travailleurs de la santé qui refusent de suivre des cours intensifs d’allemand et de passer le prochain Noël au loin. Ils veulent rester ici parce que la Serbie est leur et notre pays.
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Enfin, dans une lettre ouverte adressée à M. Vučić, les protestataires écrivent que ses opérations de dénigrement ne les intimideront pas.
« On vous a donné mandat pour être le président de tous les citoyens, et pas pour charger tous ceux qui osent penser avec leur cerveau. Vous voulez des sujets et non des citoyens. C’est pourquoi vous avez maintenant des colonnes [de gens] qui ne veulent pas vivre dans la société de votre création. »