Le Forum social mondial à la croisée des chemins

Janvier 2005

, par WALLERSTEIN Immanuel

Officiellement, le Forum Social Mondial cherche à rassembler ceux qui s’opposent à la "globalisation néolibérale" et à l’"impérialisme sous toutes ses formes". Le Forum se veut un "espace ouvert" et non un mouvement. Ce principe très original est assez controversé parmi les participants du Forum même.

Historiquement, les principaux mouvements antisystémiques de la seconde moitié du dix-neuvième siècle et des deux premiers tiers du vingtième siècle, ce qu’on nomme la "vieille gauche", avaient développé une stratégie politique généralement appelée la stratégie des deux étapes : d’abord, arriver au pouvoir de l’Etat et, ensuite, transformer le monde. Cette stratégie s’est développée comme la meilleure voie pour que les mouvements populaires, qui étaient au départ faiblement organisés, survivent et aient un impact important sur la politique nationale et mondiale.

Bien qu’au début ces mouvements aient subi la répression d’autorités hostiles, entre 1945 et 1968 ils se renforcèrent et la première étape de la stratégie des deux étapes connut un succès spectaculaire dans le monde entier. Dans une majorité de pays, les mouvements antisystémiques arrivèrent au pouvoir de l’Etat. Un tiers du monde était gouverné par des partis communistes. Un autre tiers, le monde pan-européen, vit l’arrivée au pouvoir de partis sociaux-démocrates (ou leurs équivalents). Dans ces Etats-là existait bien sûr la possibilité d’alternance du pouvoir, mais les partis qui exercèrent ce pouvoir le firent dans une situation où l’opposition conservatrice acceptait l’idée de base des sociaux-démocrates, à savoir l’Etat-providence, et seule la manière d’y arriver prêtait à discussion. Le dernier tiers du monde, le Sud, vit l’ascension au pouvoir des mouvements nationalistes de libération en Asie et en Afrique et celle des mouvements populistes en Amérique latine.

En somme, les mouvements antisystémiques étaient parvenus au pouvoir de l’Etat. Le problème fut l’incapacité de ces mouvements à réaliser effectivement la seconde étape, c’est-à-dire transformer le monde. Là est l’explication essentielle de la révolution mondiale de 1968. Dans chacune des trois zones du système mondial, pays après pays, eurent lieu des soulèvements de divers types. Une caractéristique commune à tous les soulèvements fut l’accusation des révolutionnaires contre la "vieille gauche" : vous nous aviez promis la transformation sociale quand vous arriveriez au pouvoir ; vous n’avez pas tenu cette promesse. Le monde continue d’être profondément injuste, dans le système-monde et à l’intérieur de nos pays ; nos systèmes politiques ne sont pas vraiment démocratiques ; il existe une caste privilégiée (une nomenklatura) à l’intérieur de nos régimes. Cela a changé beaucoup moins que ce que vous aviez dit.

Les divers soulèvements de 1968 (de 1966-1970 en réalité) furent réprimés. Néanmoins, la désillusion qui les avait nourris ne fut pas éliminée. Durant les trois décennies suivantes nous assistons à l’effondrement, l’un après l’autre, de la majorité des régimes qui arrivèrent au pouvoir à l’apogée des mouvements antisystémiques. La chute de l’Union Soviétique en 1991 marqua simplement le sommet symbolique de ce rejet des régimes de la "vieille gauche". Après 1968, le problème pour les forces mondiales antisystémiques fut de trouver comment faire face à leur propre reconstruction, et en particulier, comment réviser leur stratégie politique historique.

Il y eut trois tentatives principales pour formuler une stratégie distincte de celle de la "vieille gauche" qui finit par être considérée, dans chacune de ses variantes centrales, comme une stratégie vouée à l’échec ou dépassée. Ce furent les multiples maoïsmes, la "nouvelle gauche" et les mouvements de droits de l’homme [1]. Chacun d’entre eux, à sa manière, a montré qu’il n’était pas en mesure de se différencier de la stratégie de la vieille gauche comme ils l’avaient affirmé au début. Et aucun ne réussit à atteindre le niveau de mobilisation que la vieille gauche avait atteint durant son apogée après 1945. Vers la fin du vingtième siècle, il existait un éventail de différents mouvements à travers le monde et aucun d’entre eux ne paraissait avoir la capacité d’impact attendue. Chez les activistes, et de toutes parts, existait un climat de mal-être généralisé. Et ceux-là au pouvoir dans le système-monde semblaient très bien réussir.

Ceci est l’arrière-plan de ce que la presse mondiale appellera plus tard le "mouvement anti-globalisation" et que l’on connaît aujourd’hui (dans des langues autres que l’anglais) sous le terme de mouvement altermondialiste. Quand a-t-il commencé ? Cela est difficile à indiquer. Il y a trois moments symboliques de ce mouvement et tous se déroulèrent en Amérique : la révolte des zapatistes (EZLN) au Chiapas en 1994, les protestations d’activistes contre la rencontre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Seattle en 1999 et le premier Forum Social Mondial à Porto Alegre en 2001.

La révolution zapatiste a délibérément commencé le premier jour de mise en vigueur du Traité de Libre Echange d’Amérique du Nord (le NAFTA ou ALENA) le premier janvier 1994. Les zapatistes ont fait leur apparition en tant que bras militaire et organisé des peuples indigènes du Chiapas, continuant une lutte de 500 ans pour la terre et l’autonomie. Il y a trois caractéristiques importantes de la lutte zapatiste : 1) La demande de droits pour les peuples indigènes, sans intention d’obtenir le pouvoir à Mexico. 2) Le positionnement de ces demandes dans le champ général de la lutte mondiale, incluant évidemment la lutte contre la globalisation néolibérale (de là le choix symbolique de se soulever contre les autorités mexicaines le jour même du lancement de l’ALENA). 3) L’ambition d’obtenir, et ils y parvinrent, un large appui international à leurs luttes, ce qui fit du mouvement un modèle pour des mouvements ailleurs dans le monde.

La protestation à Seattle eut lieu cinq ans plus tard, durant ce que l’on considérait devoir être une réunion décisive pour l’OMC. Elle eut cinq caractéristiques marquantes.

  1. La manifestation s’est présentée comme un affrontement direct avec la globalisation néolibérale et les institutions chargées de la mise en place de ce qui s’appelle (depuis au moins une décennie) le Consensus de Washington.
  2. Elle a consisté en actions directes et disruptives.
  3. Elle fut le fruit d’une alliance insolite entre les mouvements de la "vieille gauche" (par exemple la fédération de syndicats états-uniens, la AFL-CIO), les mouvements de la "nouvelle gauche" (par exemple les environnementalistes) et des groupes anarchistes.
  4. Les manifestants étaient majoritairement états-uniens. Et bien que l’on puisse remarquer que cela fut lié au lieu des événements, les Etats-Unis, ce détail démontre néanmoins que l’altermondialisme peut avoir une base populaire aux Etats-Unis, et qu’il s’agissait d’un peu plus qu’un mouvement enraciné exclusivement ou presque dans le Sud.
  5. De plus,la manifestation a atteint son objectif central, en dépit de tous les obstacles. Elle a perturbé efficacement la réunion de l’OMC et celle-ci ne put pas remplir ses objectifs.

Des activités disruptives similaires lors de réunions mondiales ailleurs dans le monde suivirent l’événement de Seattle. Ce fut à ce moment que les altermondialistes changèrent leurs priorités et établirent le Forum Social Mondial comme une réponse au Forum Economique Mondial de Davos. La première réunion du FSM eut lieu dans la ville brésilienne de Porto Alegre en 2001. Porto Alegre fut choisi pour deux raisons importantes : un climat favorable assuré par les autorités locales, et pour le fait qu’il s’agissait d’une ville du Sud, ce qui garantissait un rôle important au Sud dans les délibérations. Le FSM s’est réuni deux autres fois à Porto Alegre (en 2002 et 2003) et à Mumbai (Inde) en 2004. La prochaine réunion aura lieu à Porto Alegre et pour 2007 on a annoncé qu’elle aurait lieu quelque part en Afrique. Le nombre de participants a considérablement augmenté. Bien qu’il soit difficile de le préciser, il semble que la participation ait augmenté de 10 000 participants environ en 2001 à peut-être 100 000 en 2004.

A ses débuts, le Forum a adopté le principe d’"espace ouvert". Au centre de ce concept on trouve l’idée qu’aucune posture politique ne prédomine au sein du FSM, à part l’engagement minimum d’opposition à la globalisation néolibérale et à l’impérialisme sous toutes ses formes. Ainsi, le FSM n’adopte pas de résolutions et ne coordonne pas d’activités politiques. Le FSM n’est pas un mouvement. Ni même un mouvement de mouvements. Il se définit comme une famille de mouvements, et cette famille s’efforce d’être globale. Bien qu’il demeure des distorsions quant à la participation des différentes parties du monde, le FSM est déjà probablement plus global que n’importe quelle autre confluence historique antérieure aux mouvements antisystémiques. En particulier, le Nord n’a déjà plus dans son fonctionnement le rôle écrasant qu’il avait dans les structures antisystémiques précédentes. De plus, une priorité organisationnelle importante du FSM est d’étendre son invitation à tous les groupes non représentés, surtout à ceux du Sud.

On peut ainsi dire que, d’un côté, le FSM a été un succès. En peu d’années la participation active a énormément augmenté, tant numériquement que géographiquement. Le FSM a réussi à attirer l’attention de la presse mondiale et il fait contrepoids au Forum Economique Mondial qui est bien plus ancien et mieux financé. Il a réussi à devenir l’espace central de rencontre des actions antisystémiques dans le système-monde. Et, pourtant, il y a une sensation omniprésente d’incertitude quant à son futur chez ses plus chauds partisans.
Le FSM affronte trois sortes principales de critiques. La première provient des forces centristes mondiales, dont certaines ont assisté aux réunions du FSM bien qu’elles aient peu de poids dans cette instance. Ce groupe pense que le FSM n’est ni pratique ni concret dans son orientation. Ce groupe considère que le FSM doit tenter un dialogue avec le Forum Economique Mondial (FEM) et avec plusieurs autres institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC) sur des programmes spécifiques qui soulagent d’une certaine manière la souffrance (du SIDA, par exemple), qui améliorent les perspectives du supposé développement durable et éliminent la pauvreté. Ce groupe considère que le FSM est trop immergé dans la publication sur divers sujets et qu’il offre une plateforme publique à des groupes irrationnels, et même pour certains d’entre eux dangereux.

Il est sûr que le FSM a résisté à toutes les suggestions lui proposant de négocier des accords (dans les coulisses) avec ceux qui sont représentés à Davos. De fait, après un débat initial et peu satisfaisant, le FSM ne se décide pas à engager plus avant les discussions avec le FEM (comme il lui fut suggéré plusieurs fois). Le FSM considère que de telles discussions ont peu d’importance et qu’y entrer atténuerait seulement la force et l’impact du FSM comme structure mondiale. Le FSM est un espace ouvert, mais il l’est seulement pour ceux qui s’opposent spécifiquement à la globalisation néolibérale et à l’impérialisme sous toutes ses formes. Il est très douteux que l’on puisse trouver à Davos un participant qui serait disposé à agir à partir de cette prémisse.

Une critique plus significative faite au FSM vient de divers groupes héritiers de la "vieille gauche". Par exemple, à Mumbai, un groupe d’organisations, originaires principalement d’Inde mais provenant aussi d’autres endroits, a organisé une espèce de contre-forum, sous l’hypothèse que le FSM avait été à l’origine subordonné aux ONGs occidentales et qu’il s’agissait d’une structure "objectivement" contre-révolutionnaire. Ce groupe s’est refusé à participer au FSM. Cependant, certains, y compris au sein du FSM, partagent ce point de vue, quoique sous une forme atténuée.

Les critiques de ce groupe sont multiples : le FSM dit qu’un autre monde est possible ; il devrait dire que le socialisme est l’objectif. Le FSM est un forum ouvert ; en conséquence de quoi il n’est que bavardage. Il ne s’engage pas dans l’action ; il est donc intrinsèquement inefficace. Il accepte de l’argent de fondations et organisations non gouvernementales ; donc il se vend. Il ne permet pas aux partis politiques de participer : il exclut ainsi des groupes clés. Il ne permet pas la participation de groupes impliqués dans des actions violentes : mais la violence est légitime pour les groupes opprimés qui n’ont pas d’autre alternative.

Toutes les affirmations initiales sur le FSM sont exactes. Mais les conséquences, présentées après le point-virgule, sont rejetées par le FSM. Il y a aussi une variante critique de la part de quelques activistes de base et de personnes inspirées par la tradition anarchiste. Elle est quasiment le contraire de la critique de la "vieille gauche". Elle dit que le FSM est de fait une nouvelle internationale avec une hiérarchie cachée qui prend les décisions importantes. Mais au final, cette variante dit la même chose que la variante de la "vieille gauche". Les leaders du FSM usent de leur autorité pour trahir les militants.

Le dernier groupe de critiques provient de l’intérieur même du FSM. D’une certaine manière, les critiques internes sont des versions diluées des critiques externes des forces centristes mondiales, la "vieille gauche" hostile et les groupes anarchistes. Mais il y a deux critiques supplémentaires substantielles provenant de l’intérieur du FSM.

La première est que, alors que l’idée de l’espace ouvert est louable, depuis un certain temps elle finit par lasser. Année après année s’expriment les mêmes idées. Inévitablement, les gens se fatigueront du processus et les structures disparaîtront. La seconde critique est que, alors que l’idée d’une structure horizontale et non hiérarchique est méritoire, d’une manière ou d’une autre des décisions importantes finissent par être prises. Qui prend les décisions et comment ? Les critiques disent qu’il n’y a pas suffisamment de transparence dans le processus de prise de décisions, et qu’il devient donc antidémocratique.

Finalement, il y a un autre phénomène interne à observer. Du fait qu’il y a beaucoup d’espace pour l’articulation spontanée, certaines organisations se sont réunies dans le cadre des conférences mondiales. Et ces groupes ont adopté des résolutions, pour leur compte, et planifié des activités politiques spécifiques. Mais il a été difficile pour les moyens de communication mondiaux de distinguer ces réunions de celles du FSM. A tel point que ces réunions tendent à discréditer le concept voulant que le FSM en tant que tel ne développe pas de positions ou d’actions politiques. C’est là une tension non résolue.

Les critiques internes ont généré un débat intense à l’intérieur du FSM. Le résultat a été que, récemment, le Secrétariat International a envoyé une lettre dans le réseau d’organisations participant au FSM dans laquelle il dit que le FSM projette de faire des changements importants dans le format du cinquième FSM en 2005. La lettre esquisse un processus d’agglutination "volontaire et auto-organisée" d’événements de telle manière que les "axes thématiques" des réunions"émergent de la consultation...et ne soient basées sur aucune décision du Conseil International ou du Secrétariat". Ce changement se présente comme une avancée importante dans le concept d’espace ouvert. Ce nouveau processus est destiné à contrecarrer la critique de l’insuffisance démocratique interne dans les processus du FSM, ainsi que l’idée que les occasions d’échange entre personnes aux idées similaires ont été rares du fait de la nature historiquement dispersée des réunions.

Cependant, un facteur qui est peut-être au moins aussi important que la restructuration interne pour le futur du FSM est le contexte dans lequel opère le FSM. Pour en juger, on doit évaluer les tendances au sein de la structure géopolitique mondiale. Aujourd’hui existent trois fractures majeures, deux anciennes et une essentiellement nouvelle : des conflits entre les grandes puissances, le conflit entre le Nord et le Sud, et la lutte pour la nature du futur système-monde qui émergera de la crise structurelle de l’économie-monde capitaliste. Chacune de ces fractures a sa propre dynamique, mais sa trajectoire est étroitement liée à celle des deux autres [2].

La première fracture est celle qu’il y a entre les trois principaux centres d’accumulation du capital, ce qu’on appelle la Triade : Etats-Unis, Europe occidentale et Japon. Ils sont dans une concurrence aiguë, concurrence qui s’accroît de jour en jour. La seconde fracture est celle existant entre le Nord et le Sud. Dans cette division, les trois membres de la Triade constituent le Nord. Enfin, il y a une fracture entre les partisans de l’esprit de Davos et les partisans de l’esprit de Porto Alegre. Cette dernière division n’est pas géographique mais idéologique et alimentée par les intérêts de classe. C’est la fracture la plus importante et, cependant, celle qui attire le moins l’attention des médias. Le problème pour les partisans de l’esprit de Porto Alegre est de savoir dans quelle mesure ils peuvent éviter d’être balayés par les priorités des deux autres fractures, et s’ils peuvent ou non, grâce à leur action collective, modeler les effets des deux autres fractures avant d’être modelés par elles.

Le conflit Davos-Porto Alegre n’est pas axé sur les vertus et les défauts de la globalisation néolibérale, bien qu’il soit très souvent envisagé ainsi, y compris par les participants des deux groupes. Il ne tourne pas non plus autour du capitalisme comme système-monde, puisque le capitalisme comme système-monde vit une crise structurelle et disparaîtra dans les 20 ou 50 prochaines années [3]. Le conflit a à voir avec ce qui remplacera l’économie-monde capitaliste comme système historique. Il s’agit de savoir si nous devons passer à un système différent qui maintienne une caractéristique cruciale du capitalisme sa nature hiérarchique, inéquitable, polarisante- ou si nous devons aller vers un nouveau système-monde qui soit relativement démocratique et égalitaire.

C’est une question complexe. Et aucun des deux côtés n’a développé avec clarté les paramètres organisationnels et structurels du nouvel ordre social. Pour le moment, la division est bien plus d’ordre émotionnel que basée sur des paradigmes alternatifs. Mais dans cette lutte, il n’y a pas de doute que l’unique expression sérieuse des forces qui constituent l’esprit de Porto Alegre est le FSM lui-même. Comme il n’y a pas non plus de doute qu’il n’y a pas d’alternative plausible au facteur organisationnel clef de cette structure : le forum comme espace ouvert.

Cependant, ce qui déterminera la capacité de l’espace ouvert à servir l’objectif de transformer le monde dans un sens plus démocratique et égalitaire est la manière dont le FSM pourra développer des mécanismes pour concilier un espace ouvert et une activité politique réelle et concrète. Ce ne sera pas facile, et les réformes promises par le FSM pour 2005 en sont à peine au commencement. Personnellement, je crois que la clef pour une solution est de promouvoir et créer un espace institutionnel pour de multiples alliances et activités politiques dans le FSM, sans faire d’aucune d’entre elles une activité propre du FSM. L’espace ouvert devrait servir aux participants non seulement pour l’échange de points de vue et l’analyse, mais aussi pour l’échange sur les résultats effectifs des modes alternatifs d’action politique dans le système-monde.

Un espace ouvert n’est pas, et n’eut jamais vocation à l’être, un parapluie pour tous. Le FSM réunit seulement ceux qui sont contre la globalisation néolibérale et l’impérialisme sous toutes ses formes. C’est un grand parapluie mais il est très loin d’être infini. Il y a des marges extérieures pour l’inclusion. Le FSM devrait être un espace ouvert pas simplement pour débattre sur des sujets et des formes d’action alternative, mais aussi pour stimuler l’expérimentation de ces formes alternatives par ceux qui veulent les essayer. Ces formes d’action peuvent non seulement être des formes différentes mais aussi mêler des espaces différents. Certains peuvent être au niveau mondial, régional, d’autres transversaux et certains plutôt locaux. Nous le faisons déjà, bien entendu. Mais le FSM doit intégrer consciemment à l’intérieur de sa structure organisationnelle des interactions entre ces différentes activités. Tant que le débat restera entre compagnons de route et non entre défenseurs de la foi pure, cette interaction ne peut que renforcer le rôle central du FSM dans la transformation mondiale.

Le second élément clef de l’espace ouvert est qu’il soit réellement ouvert, c’est-à-dire totalement transparent. Il y a eu plus de zones d’ombre dans le fonctionnement du FSM que ce qui était souhaitable. La plus grande partie du processus de prise de décisions devrait se faire dans un verre de cristal, visible par tous. Cela servira à contenir ceux qui pourraient prétendre "s’approprier" le FSM et changer son caractère fondamental. Cela doit servir à conforter ceux qui participent, ceux qui comme nous avancent dans la construction d’un système-monde plus démocratique avec un forum plus démocratique. Une idée simple pourrait être d’enregistrer sur vidéos toutes les réunions du Conseil International et de les diffuser dans le réseau. On court le risque que cela engendre de longs discours pour les caméras, mais cela a le mérite de permettre à tous de connaître les sujets des débats et d’impulser la contribution des personnes.

En somme, oui à l’espace ouvert ; à condition que l’on s’assure, à la fois, que le FSM se transforme en un espace institutionnel de rencontre d’alliances multiples entre différentes actions politiques et qu’il y ait aussi un grand développement de la transparence dans les travaux du FSM lui-même.

Est-ce que cela sera suffisant pour assurer la survie du FSM et son rôle central dans la lutte mondiale pour la transformation ? Personne ne peut en être sûr. C’est un point de départ qui devra être réévalué dans cinq ans. Il est très possible que dans les cinq prochaines années, que ce soit du fait de conflits immédiats dans le système-monde ou du fait de divisions internes au FSM, celui-ci s’effondre. Je ne pense pas que cela arrivera, mais cela est sûrement possible. Ce dont je suis sûr c’est que sur ce point il n’existe aucune alternative plausible au FSM comme acteur mondial représentant ceux qui luttent pour l’esprit de Porto Alegre ou qui sont engagés de quelque manière que ce soit dans la création d’un système-monde démocratique et égalitaire. Ou nous faisons en sorte que le FSM fonctionne ou nous sombrons avec lui.

Notes

[1"Las nuevas rebeliones antisistémicas : ¿un movimiento dos movimientos ?" (Les nouvelles révoltes antisystémiques : un mouvement deux mouvements ?), Contrahistorias, n°1, 2003, sept.2003-fév.2005, 77-86

[2Utopística, o opciones históricos del siglo XXI. (Utopistique , ou options historiques du XXIème siècle) México : Siglo XXI de México, 1998

[3"Bienvenidos a la anarquía global" (Bienvenue dans l’anarchie globale), New Left Review, n°22, sept-oct. 2003,5-12