Interlude : bref passage par la (chaotique) capitale

...et quel passage. La transition de la province rurale la plus reculée de Cusco vers l’immense capitale péruvienne est, disons, haute en couleur. Petit interlude sensoriel -et un peu choquant.

J’avais oublié ce qu’était Lima. Ou peut être que la situation s’est encore tendue depuis mon dernier séjour ? En tout cas, la capitale est plus saturée que jamais. J’ai mis un pied en dehors de l’aéroport, pris le premier bus qui passait, qu’on a déjà eu un accident : l’énorme bus essayait de se faufiler entre deux files de voitures pour passer devant un autre bus qui le bloquait depuis plusieurs kilomètres et l’empêchait de le doubler. Dans une course poursuite effrénée (et hyper dangereuse), en zigzaguant comme des fous, l’autre bus a fini par faire une queue de poisson, arrachant au passage le rétroviseur. Le chauffeur et celui qui fait payer les billets sont tous les deux vénézuéliens : ils se mettent à vociférer qu’ils "sont en règle", que l’autre "les prend pour des cons", mais que "c’est lui qui s’est foutu dans la merde" et "qu’il va payer". On aurait dit qu’ils étaient drogués. Ils descendent du bus au milieu de la 4 voies, commencent à s’empoigner par le col. J’avoue que j’en menais pas large.

Je descends du bus, et en prends un autre, une "combi" c’est à dire un minivan ; je me dis, allez celui-là ça va être cool. Mais non : tout pareil, il se faufile entre les voies, prends des sorties interdites, pousse les gens dehors pour repartir plus vite. Les coups de frein abruptes me font taper la tête contre le siège, et les gens dans le bus ont l’air de serrer les fesses sans rien dire. Les trous dans la route nous secouent dans tous les sens, c’est de la folie.

Je descends trois arrêts avant, parce que l’avenue Arica est en travaux : ils sont en train de construire un train électrique qui devrait soulager le trafic routier. En attendant, c’est encore plus le bazar : tous les piétons se bousculent, la police fait la circulation parce que personne ne respecte les feux de circulation, les gens se jettent sous les roues des voitures pour ne pas attendre une minute et demie ou bien hurlent sur la policière parce qu’elle fait passer les voitures au feu rouge... Le bruit est assourdissant, je sens les regards sur moi, mon sac à dos et mon gros manteau -clairement, c’est visible que j’arrive de province. Ce quartier de Lima n’est pas le plus tranquille, les vols à main armés sont courants (d’ailleurs l’année dernière, je m’étais fait piquer mon portable à la porte de la maison en rentrant un peu trop tard), donc je force un peu le pas.

Chumbivilcas et ses lamas me semblent bien loin.

Mais ces jours-ci, je profite aussi de ce que Lima offre : une énorme diversité culinaire (et qu’est ce qu’on mange bien à Lima ! Le tourisme gastronomique s’est beaucoup développé ces dernières années, et les classes supérieures des différents pays voisins viennent passer un long week-end pour s’empifrer pendant quelques jours) ; des copains géniaux ; et surtout, pour moi, une certaine invisibilité. Sur le terrain, je croise vingt fois par jour des gens que je connais, et je dois constamment être sur le qui-vive. Je sais le moindre de mes faits et gestes observé. Au contraire, à Lima, je peux m’habiller comme il me plaît, aller où je veux, voir qui je veux sans avoir à évaluer l’impact de ce que je fais sur mes relations de terrain. Et j’avoue, c’est vraiment très très reposant. La position de chercheuse sur le terrain implique une tension mentale permanente, une prise de note mentale à chaque interaction, une attention particulière à ce qui je dis, à qui, et comment, etc. Sortir de mon rôle de chercheuse est donc hyper chouette, au moins pour quelques jours.

Et puis surtout... j’organise un peu la présentation du Passerelle en espagnol, lundi prochain, dans la plus grande université publique du Pérou ; le creuset des débats politiques, plus encore qu’intellectuels, y ont lieu. Ça va être un grand moment.