Affaire Melissa Alfaro : des féministes en lutte contre l’oubli et l’impunité

Ce jeudi 23 juin à 8h15, un groupe de jeunes femmes se retrouvaient au son des tambours sur la Place San Martin, dans le centre de Lima. Le jugement oral des responsables politiques de l’assassinat de la journaliste Melissa Alfaro Méndez, le 10 octobre 1991, a encore été repoussé ; mais la famille de Melissa et les activistes des droits humains ne se démobilisent pas, et continuent à appeler à ce que la justice soit rendue.

Melissa Alfaro Méndez était une jeune journaliste de 23 ans à la tête du journal "Cambio". Le 10 octobre 1991, elle reçoit dans les bureaux du journal une enveloppe qui contenait 200g d’explosifs de type militaire : elle meurt sur le coup. Son travail journalistique révélait des cas de corruption et de violations des droits humains, ce qui lui a valu, à elle et ses collègues journalistes, de devenir la cible privilégiée du Service de Renseignement Militaire (SIE) alors au main du régime d’Alberto Fujimori.

L’affaire Melissa Alfaro est emblématique des atteintes aux droits humains sous la dictature fujimoriste. Élu en 1990 face à Mario Vargas Llosa, écrivain liménien de droite libérale, Fujimori est un outsider qui semble proche du peuple. Sa victoire en 1990 est une large surprise. Cependant, la rapide mise en œuvre d’un programme d’ajustement structurel particulièrement brutal (le "Fujishock") est suivie, en 1992, d’un auto-coup d’État au cours duquel Fujimori dissout le Congrès, prend la main sur les principaux médias nationaux, procède à des arrestations arbitraires et met également en place un Assemblée Constituante. Les disparitions forcées se succèdent, ainsi que des massacres au main du Grupo Colina, un escadron de la mort responsable de nombreux assassinats au cours des années 1990, comme dans l’université de La Cantuta, dans le quartier liménien de Barrios Altos, ou contre le dirigent syndical Pedro Huillca.

30 ans après, le fujimorisme reste une force politique majeure au Pérou. La fille d’Alberto Fujimori, Keiko Fujimori, a d’ailleurs été trois fois candidate au 2e tour des élections présidentielles, en 2011, 2016 et 2021. Le groupe parlementaire fujimoriste s’emploie depuis des années à entraver la justice pour les victimes de la dictature d’Alberto Fujimori. En ce sens, la famille de Melissa Alfaro Méndez attend depuis 30 ans que les responsables politiques et matériels soient reconnus coupables et écopent d’une sentence à la hauteur de leur crime.

Ce jeudi 23 juin, donc, quelques dizaines de femmes s’étaient réunies Place San Martin pour se diriger vers la Cour Supérieure de Justice péruvienne, et protester contre le (nouveau) report du Jugement Oral contre Alberto Fujimori, sa main droite Vladimir Montesino, et les autres responsables de la mort violente de Melissa Alfaro. Les slogans étaient clairs :

Melissa Alfaro Méndez, PRÉSENTE ! Aujourd’hui, ET POUR TOUJOURS !
Quand une journaliste meurt, ELLE NE MEURT JAMAIS !
Melissa n’est pas morte, ELLE S’EST MULTIPLIEE !
Ni Oubli Ni Pardon, les responsables en prison !
Qu’est ce que nous voulons ? LA JUSTICE ! Quand ça ? MAINTENANT !

Puis elles ont recouvert le parvis de la Cour Suprême d’inscription à la craie : Jugement Oral Maintenant ! Justice pour Melissa ! Melissa Alfaro, présente ! Fujimori va tomber !

Il n’est pas anodin que ce soit des jeunes femmes qui accompagnent la famille de Melissa Alfaro, et des jeunes femmes féministes. Ces dernières années, les féministes sont devenues le fer de lance de la résistance au Fujimorisme : contre la grâce présidentielle qui prétendait le faire sortir de prison où il est depuis 2007 ; pour la reconnaissance et les réparations des 300.000 stérilisations forcées contre des femmes andines et amazoniennes entre 1996 et 2000 ; ainsi que des viols massifs commis par l’armée entre 1980 et 2000, pendant le conflit armé, entre autres.

Le collectif féministe Trenzar a organisé cette "performance" artiviste (mélange d’art et d’activisme) : des jeunes femmes vêtues de noir, portant des miroirs à l’effigie de Melissa, écrivant à la craie le cri pour la justice dans l’espace public.

Autres participantes étaient membres du collectif Tamboras Resistencias, une batucada féministe qui fait des percussions dans les rues un pari politique contre le système patriarcal. Occupant l’espace, accompagnant les luttes pour la justice sociale et environnementale, elles font résonner leurs exigences de justice, de solidarité, de communauté, de transformation et d’égalité dans tout Lima.