La lutte pour la survie et la justice climatique en Afrique du Nord

À la croisée des chemins entre l’économie verte et les droits de la nature

, par SOLON Pablo

Près de mille dauphins gisent, morts, sur la plage. Cinq milles pélicans ont également été trouvés morts. Quelle est la cause de ce massacre ? Plusieurs explications sont avancées. Certains disent que c’est l’exploration pétrolière en mer alors que d’autres estiment que ces oiseaux ont péri à cause de la disparition de leur nourriture principale, c’est-à-dire les anchois, due au réchauffement soudain des eaux côtières, une conséquence du changement climatique. Quelle que soit l’explication, le fait est que pendant les derniers mois, la côte péruvienne est devenue un témoin silencieux de ce que le système capitaliste fait à la nature.

Durant la période de 1970 à 2008, le système planétaire a perdu 30% de sa biodiversité. Ce pourcentage s’élève à 60% dans les zones tropicales. Ceci ne se produit pas par hasard ; c’est le résultat d’un système économique qui chosifie la nature et la considère simplement comme une source de richesses naturelles. Pour les capitalistes, la nature est essentiellement un objet à posséder, à exploiter, à transformer et, plus particulièrement, dont il faut tirer profit.

Sur cette photo, datée du 6 avril 2012, des représentants officiels se tiennent près de carcasses de dauphins, au bord de la plage Pimentel à Chiclayo au Pérou.

L’économie verte triche avec la nature en tirant profit de cette dernière

L’humanité est au bord d’un précipice. Au lieu de reconnaître que la nature est notre foyer et que nous devons respecter les droits de tous les êtres de la communauté terrestre, les entreprises transnationales sont en train de promouvoir plus de capitalisme sous la désignation ambiguë « d’économie verte ».

Selon les défenseurs de cette désignation, l’erreur que le capitalisme aurait commise (et qui serait à l’origine des diverses crises actuelles) est que les marchés libres ne sont pas allés assez loin. « L’économie verte » viendra donc intégrer entièrement la nature à son capital. Les promoteurs de cette économie s’empressent d’identifier les fonctions spécifiques des écosystèmes et de la biodiversité qui pourraient être tarifées et ramenées au marché mondial comme du « capital naturel ».

On peut lire dans un rapport d’Ecosystem Marketplace une description, d’une franchise brutale, des raisons qui motivent les partisans de l’économie verte :

« Etant donné leur énorme impact sur nos vies quotidiennes, il est étonnant qu’on n’accorde pas une plus grande attention, voire plus de budget, aux services éco-systémiques. Les écosystèmes offrent des trillions de dollars autour de l’eau potable, de la protection contre les inondations, des terres fertiles, de l’air pur, de la pollinisation et du contrôle des maladies, pour ne citer que quelques exemples. Ces services sont essentiels pour maintenir des conditions de vie adéquates et sont offerts par les plus grands services publics au monde. La valeur et l’ampleur des ces services éco-systémiques sont bien supérieures à tout ce que les autres services (électricité, gaz et eau) pourraient réaliser un jour. En plus, l’infrastructure (ou bien les actifs durables) qui génèrent ces services sont simplement des écosystèmes sains.
Alors, comment peut-on se procurer cette infrastructure extrêmement précieuse et obtenir ses services ? De la même façon que nous l’avions fait pour l’électricité, l’eau potable et le gaz naturel : nous payons pour ces services. »

L’objectif n’est pas seulement de privatiser des biens matériels qui proviennent de la nature, comme le bois des forêts, mais aussi de privatiser les fonctions et les processus de la nature, de les désigner en tant que services environnementaux sur lesquels on met des prix pour les intégrer au marché. Dans le même rapport, les auteurs ont déjà estimé les valeurs annuelles de ces services environnementaux.

Pour illustrer cela, prenons l’exemple phare de « l’économie verte » : la Réduction des Emissions imputables à la Déforestation et à la Dégradation des forêts (REDD). L’objectif de la REDD est d’isoler l’une des fonctions des forêts, voire leur capacité à capturer et à stocker le carbone, puis de mesurer les quantités de CO2 qu’elles pourraient séquestrer. Une fois que la valeur du stockage potentiel du carbone de telle forêt est estimée, des crédits de carbone sont émis et vendus aux pays riches et aux grandes entreprises qui les utilisent pour compenser, ou acheter et vendre, des autorisations pour des activités polluantes dans les marchés de carbone. À titre d’exemple, si l’Indonésie, qui souffre d’un taux de déboisement de 1.700.000 hectares par an, ne déboisait que 1.500.000 hectares l’année prochaine, elle pourrait vendre sur le marché REDD des crédits de carbone pour les quantités de CO2 stockées par les 200.000 hectares restants.

En théorie, la REDD offre une incitation monétaire pour ne pas déboiser. En réalité, les entreprises qui achètent des crédits de carbone peuvent rejeter dans l’atmosphère les quantités de CO2 qu’elles ont payées. En d’autres mots, les crédits de carbone sont des permis de pollution pour les riches. En outre, les pays qui réduisent leur déboisement sont les seuls à pouvoir mettre des crédits de carbone sur le marché. De ce fait, si une région a toujours préservé ses forêts, elle ne sera pas capable de vendre de crédits de carbone pour réduction de déboisement. Alors pour se préparer à la REDD, on voit aujourd’hui dans certaines parties du Brésil, par exemple, des arbres qui sont coupés dans le but d’accroître la déforestation pour que la future « réduction » de déboisement et pour que les montants des crédits de carbone sur le marché soient plus élevés.

La REDD est simplement le visage de « l’économie verte » pour les forêts. Le système entier triche avec la nature en tirant profit de celle-ci. Imaginons alors le scénario catastrophique dans lequel la même logique est appliquée à la biodiversité, à l’eau, au sol, à l’agriculture, aux océans, à la pêche et ainsi de suite. Il convient également d’ajouter la proposition d’utiliser la géo-ingénierie et d’autres technologies pour exacerber l’exploitation, la manipulation et la perturbation de la nature afin de créer de nouveaux marchés spéculatifs.

Journée mondiale d’action contre la Conférence des Pollueurs (COP) des Nations unies, le 3 décembre 2011 à Durban en Afrique du Sud.

Pour encourager une telle agression de la nature, les capitalistes ont d’abord qualifié leur économie cupide « d’économie verte ». Ensuite, ils font dire aux gouvernements, à court d’argent, que le seul moyen d’obtenir les milliards de dollars nécessaires pour la préservation, entre autres, de l’eau, des forêts, de la biodiversité et l’agriculture serait d’avoir recours à des investissements privés. Mais le secteur privé n’investira pas ses profits - accumulés à partir de l’exploitation de la main-d’œuvre et des biens matériels de la nature - sans des mesures incitatives. Les gouvernements doivent donc leur offrir ce nouveau business qui consiste à tirer profit des processus et fonctions de la nature.

La plupart des promoteurs de « l’économie verte » sont très francs à ce sujet : s’il n’y a pas de tarification (valorisation) de certaines fonctions de la nature ainsi que des nouveaux mécanismes de marché et des garanties pour leurs profits, le secteur privé n’investira pas dans la biodiversité et les service éco-systémiques.

« On ne commande à la nature qu’en lui obéissant »

« L’économie verte » sera réellement destructive car elle est fondée sur le principe que l’application des règles du marché sauverait la nature. Comme l’a dit le philosophe Francis Bacon : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. »

Au lieu de mettre un prix sur la nature, il faut plutôt reconnaître que les humains font partie de cette nature et qu’elle ne peut être réduite à un bien à posséder ou à un simple fournisseur de ressources. La planète est un système vivant, elle constitue notre foyer et représente une communauté d’êtres et de parties d’un système entier, qui sont interdépendants. La nature possède ses propres règles, gouvernant son intégrité, ses interactions, sa reproduction et sa transformation. Ce sont des règles qui ont bien fonctionné pendant des millions d’années, et les États et la société doivent les respecter et assurer qu’elles prévalent et qu’elles ne soient pas perturbées. Cela signifie qu’il faut admettre que la Terre-Mère a des droits.

Les scientifiques et chercheurs n’ont pas cessé de nous dire que nous faisons tous partie du système terrestre qui inclue l’atmosphère, la biosphère, la lithosphère et l’hydrosphère. Nous, humains, nous ne sommes qu’un élément de la biosphère. Alors comment se fait-il que nous soyons les seuls à avoir des droits et que tout le reste est considéré comme du matériel au service de la vie humaine ? Parler d’équilibre au sein du système terrestre veut aussi dire parler des droits de toutes les composantes de ce système, des droits qui ne sont pas les mêmes pour tous les êtres et composantes puisque ceux-ci ne sont pas identiques. L’idée que seuls les humains puissent jouir de privilèges alors que les autres êtres vivants ne seraient que des objets constitue ainsi la pire erreur.

Pourquoi devrait-on respecter les lois des êtres humains et pas celles de la nature ? Pourquoi appelle-t-on celui qui tue son voisin un criminel mais pas celui qui est responsable de l’extinction des espèces ou celui qui contamine une rivière ? Chacun de nous tous, et absolument tous, compte sur la vie du système terrestre. Il existe une contradiction dans la reconnaissance exclusive des droits pour les humains, tandis que le reste du système terrestre est réduit à une opportunité commerciale au sein de « l’économie verte ». Dans un système interdépendant, les êtres humains ne sont qu’un élément de l’ensemble ; alors, ce n’est pas possible de reconnaître des droits seulement pour la composante humaine sans provoquer un déséquilibre du système. De ce fait, il est nécessaire de reconnaître et d’appliquer de manière effective les droits de la nature afin de garantir les droits humains et de rétablir l’harmonie avec la nature.

La nature ne pourra pas être assujettie aux volontés des marchés ou des laboratoires scientifiques. La réponse, pour notre avenir, ne réside pas dans les inventions scientifiques qui tentent de tromper la nature, mais dans notre capacité à écouter celle-ci. Les sciences et les technologies peuvent accomplir beaucoup de choses, y compris la destruction même du monde existant. Il est temps d’arrêter la géo-ingénierie et toutes les manipulations artificielles du climat, de la biodiversité et des semences. Les humains ne sont pas des dieux. Le système capitaliste est hors contrôle et, comme un virus, finira par tuer le corps qui le nourrit, ce qui endommagera le système terrestre et rendra la vie impossible pour les humains. Il faut renverser le capitalisme et développer un autre système fondé sur la Communauté de la Terre.