La lutte pour la survie et la justice climatique en Afrique du Nord

La révolution et le changement climatique en Egypte

Un entretien avec Mahienour El-Massry

, par EL-MASSRY Mahienour

Cet entretien réalisé par Mika-Minio Paluello avec Mahienour El-Massry, une révolutionnaire égyptienne, tourne autour de la menace climatique qui pèse sur Alexandrie, sa ville natale, et le contexte plus large des luttes de justice climatique et environnementale en Egypte. El-Massry compte des années d’expérience, soutenant les communautés et les travailleurs qui se trouvent dans la ligne de mire de la pollution. Plus récemment, elle a examiné les impacts du changement climatique sur les paysans pauvres du Delta du Nil.

El-Massry est une fervente opposante au régime militaire ainsi qu’aux Frères musulmans. Après le coup d’Etat et l’arrivée de l’armée au pouvoir durant l’été de 2014, elle a établi des structures de soutien pour les refugié(e)s syrien(ne)s et palestinien(ne)s, confronté(e)s à la persécution. En mai 2014, elle a été emprisonnée pendant six mois pour avoir organisé une petite manifestation à l’extérieur de la salle d’audience où se tenait le procès des deux policiers qui ont tué Khaled Saïd. Après une courte remise en liberté, elle a été de nouveau condamnée à 15 mois de prison en mai 2015 pour avoir protesté contre les Frères musulmans en 2013.

Mahienour El-Massry travaillant avec les communautés qui sont dans la ligne de mire du changement climatique sur le Delta du Nil.

Cet entretien a été mené en avril 2014, lors d’une visite chez les cultivateurs de mangue et de goyave, près d’Idkou sur le Delta du Nil.

Mika : J’ai entendu parler de vos voyages dans le Delta du Nil et de vos rencontres avec les paysans dont les champs sont devenus salants. Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a poussé à vous engager dans les questions climatiques ?

Mahienour : Je suis d’Alexandrie et j’ai toujours su que notre ville pourrait être touchée par les effets du changement climatique. Nous avons grandi en voyant les blocs de béton qui protégeaient le littoral. Mais c’est seulement en faisant des recherches sur le changement climatique et la migration avec Shora Esmailian que j’ai compris à quel point ces questions sont très importantes. J’ai réalisé aussi l’ampleur de la destruction potentielle de la nature et comment la violence du changement climatique est modelée par la classe dirigeante, sans se soucier des vies des pauvres et des petits paysans les plus touchés et ruinés.

Alors, je me suis rendue compte que les blocs de béton à Alexandrie n’existaient pas dans les régions démunies comme Baheri. Toutes les défenses côtières ont été réalisées pour défendre les riches. On peut constater la même chose dans les autres régions comme Dumyat et Rass El-Barr. Les constructions de protection sont bâties afin de défendre les stations touristiques, les usines des entreprises, l’infrastructure pétrolière et les installations militaires. Sûrement pas là où les gens ordinaires vivent.

Mika : Est-ce que vous avez le sentiment que les gens sont en train de se mobiliser autour des voies justes et radicales pour faire face au changement climatique ?

Mahienour : J’ai entendu beaucoup de gens dire que "le changement vient de l’extérieur et on ne peut rien faire. Il faut juste faire avec".

Mais il existe des exceptions, particulièrement près des usines, où les populations perçoivent le rôle que jouent le pouvoir et la classe dominante. La communauté de Wadi Al-Qamar, par exemple, vit à côté d’une grande usine de ciment, détenue par Lafarge et Titan, des entreprises française et grecque, respectivement.

Il y a une grande pollution, beaucoup de jeunes enfants sont atteints d’asthme et d’autres maladies bronchiales. Par conséquent, la communauté s’est battue pendant des années pour faire installer des filtres par les propriétaires. Lafarge et Titan ont refusé et ne voulaient pas, non plus, fournir un soutien médical, bien qu’elles obtiennent des subventions gouvernementales pour les combustibles et l’électricité. Alors, les travailleurs ont fait une grève en février 2013, demandant des traitements médicaux. La police a attaqué les protestants et a lâché ses chiens ; deux ouvriers ont été jetés du deuxième étage, puis arrêtés. Ils n’ont pas été autorisés à voir un médecin en prison, en dépit de leurs fractures. On a dû lutter avec force pour obtenir leur libération.

Aujourd’hui, la cimenterie de Lafarge est en train de procéder à une transition au charbon, ce qui signifie encore plus de pollution et de maladies avec des conséquences climatiques pires, qui auront pour effet la dégradation de la santé publique, particulièrement ici en Egypte. Dès lors, les gens du Wadi Al-Qamar s’organisent pour protester.

Mika  : L’Egypte sera profondément transformée par le changement climatique dans les prochaines vingt années. Personne ne sait exactement de quelle manière : mais il est clair que des millions de personnes souffriront, particulièrement les petits paysans, les pêcheurs et les pauvres qui vivent dans les villes. C’est facile de se sentir impuissant surtout avec toute la répression en Egypte et la loi contre les manifestations. Est-ce que vous gardez espoir pour l’avenir vis-à-vis du changement climatique ?

Mahienour  : Ça dépendra de la manière avec laquelle nous confronterons le changement climatique. Notre réponse sera-t-elle guidée par l’élite ? Une élite qui ignore le peuple au moment où elle prétend lui parler et le représenter. Les petits pêcheurs et les fermiers seront les plus touchés parce qu’ils ne sont pas organisés dans des syndicats ou des collectivités ; ce qui rend difficile leur tâche de faire pression et d’exiger un monde meilleur.

Les coopératives d’agriculteurs existent mais elles ne font que distribuer les engrais et acheter du matériel, en négligeant l’aspect organisationnel et en éliminant les espaces de dialogue sur l’économie et la politique. Un nouveau syndicat a été créé pour les agriculteurs, mais les gens du Nil, avec qui j’ai parlé, ne le connaissent pas.

La révolution du 25 Janvier 2011 avait donné aux gens beaucoup d’espoir. Aujourd’hui, ils ont peur du régime, surtout qu’il revient avec davantage de brutalité. Les militants doivent réfléchir aux erreurs commises durant la révolution, voir comme nous avons tenu à rester accrochés à nos slogans grandioses, au lieu de diviser notre travail un peu plus afin de pouvoir coopérer avec les ouvriers, les paysans et les pêcheurs et s’ancrer davantage au sein d’autres populations. Ceci aurait pu permettre la création d’un Front de décence qui serait en mesure d’affronter les attaques de l’État sur les différentes communautés et groupes. Nous étions plutôt isolés, permettant ainsi aux militaires et à la police de nous appréhender l’un après l’autre.

Nous n’avons pas suffisamment de racines parmi les communautés. J’entends les gens dire : "Vous parlez de justice sociale, vous avez de bons slogans. Mais on ne vous a pas vus avant, pour soutenir notre lutte. Pourtant nous menons cette lutte depuis longtemps".

Cependant, nous ne devons pas être paralysés par nos erreurs. Nous devrons les inclure dans notre réflexion, apprendre à faire mieux et avancer ensuite. Nous devons rester optimistes car nous n’avons pas d’autres choix.