La lutte reprend contre le gouvernement dictatorial de Dina Boluarte

Vous avez probablement suivi ce qui se passe au Pérou depuis début décembre 2022 - ne serait-ce parce que j’en avais parlé en AG et écrit des articles sur le sujet (pour ritimo et Ballast notamment). En bref : l’élection d’un président issu du Pérou rural, autochtone, pauvre et combatif avait provoqué une grave crise politique, qui avait débouché sur sa destitution, son arrestation et la prise du pouvoir par les militaires et l’extrême droite néolibérale. Des manifestations monstres ont suivi, faisant des dizaines de morts, des milliers de blessés et des poursuites juridiques abusives.

En février, les choses s’étaient calmées, par usure et fatigue. Cependant, ce mercredi 19 juin, les principales organisations sociales péruviennes avait appelé à la "Troisième prise de Lima", en référence au fait que les populations les plus mobilisées sont les communautés andines, qui font le voyage jusqu’à Lima pour faire écouter leur voix.

Dans ce cadre, j’ai rencontré plusieurs femmes de Chumbivilcas absolument incroyables qui m’ont raconté leur éveil politique avec ces mobilisations. Tout d’abord, je remarque que l’identification au président Castillo - victime du racisme hyper violent de la capitale et de l’élite politique et médiatique - est un élément fondamental pour elles. D’une part pour des questions symboliques : il parle comme nous, s’habille comme nous, il nous représente. D’autre part, ses promesses électorales, comme l’accès gratuit à l’université, a fortement mobilisé : les femmes notamment, inquiètes pour le futur de leurs enfants, avaient massivement voté pour lui. Sa destitution est vécue comme la négation de leur vote, et du fait qu’elles se sont senties, pour la toute première fois de leur existence, représentées dans les plus hautes sphères de l’État. Elles exigent donc la liberté pour Castillo (qui est emprisonné abusivement depuis décembre 2022) et sa restitution. Cette exigence m’interpelle, car la plupart des gens dans les villes demandent de nouvelles élections. Or, ces femmes expliquent qu’il n’y a aucun·e candidat·e qui pourraient faire l’affaire : de nouvelles élections reviendraient à revenir à l’époque pré-Castillo. Seul sa restitution leur semble acceptable, une position bien plus tranchée politique que tout ce que j’ai pu écouter jusqu’à présent.

Elles racontent également que les mobilisations contre Dina ont été un espace de politisation intense pour elles. Certaines sont descendues à Lima avec leur délégation : elles ont rencontré des femmes d’autres régions du pays, ont appris à porter leur pollera [jupon traditionnel] avec fierté, ont affirmé leur discours politique ; mais surtout, elles ont occupé l’espace public de la capitale. Et cela les a profondément impacté. Le fait de mâcher des feuilles de coca sur la Place San Martin, haut lieu des luttes politiques nationales située dans le centre ville de Lima, est évoqué avec une fierté très claire. Celles qui sont restées dans la province de Chumbivilcas racontent que la participation dans les Ollas Comunes [marmites communes], soutien alimentaire essentiel aux mobilisations, a également été un facteur clé. Les femmes réunies entre elles discutent de politique en épluchant les patates, écoutent la radio ou regardent sur les réseaux sociaux (notamment Facebook, Tik Tok et whatsapp) ce qui se passe à Lima ; elles comptent les morts, les blessé·es, s’indignent, et s’organisent. Elles sont présentes dans tous les espaces de soutien à la lutte, dans les manifestations dans les centres urbains de la province, et sur les blocages de route. On me raconte également que si les femmes sont généralement discriminées et exclues des mouvements politiques, cette fois-ci leur présence a été sollicitée et encouragée par les dirigeants masculins.

Ce 19 juillet, donc, un appel était formulé à "Prendre Lima". Les organisations sociales sont assez affaiblies à Chumbivilcas, pour toute une série de raisons qui impliquent la néolibéralisation de la politique et la présence d’activités minières qui corrompt les dirigeants, entre autres. Ce 19 juillet donc, sur la Place d’Armes de Santo Tomas (capitale provinciale), après avoir défilé et manifesté, la "masse" a élu le nouveau Comité de Lutte pour les semaines à venir. A Lima, les mobilisations ont déjà été assez impressionnantes : ils et elles ont presque réussi à atteindre le Congrès, cible privilégiée de la rage collective. On compte déjà six blessé·es. Mais cet appel du 19 juillet n’est que l’antichambre du gros des mobilisations qui auront lieu lors des fêtes nationales, du 27 au 30 juillet. C’est à cette occasion que Dina Boluarte, la dictatrice en chef, prendra la parole pour la première fois en tant que Présidente dans le traditionnel Discours à la Nation. Et cela, une grosse partie du peuple péruvien ne l’accepte pas. Partout dans les Andes en particulier, les organisations sociales, les syndicats et les communautés paysannes s’organisent pour descendre à Lima, d’une part, et pour organiser un blocage radical ("paro seco") de leur région.

Dans le cas de Chumbivilcas, la situation géographique est clé : le Corredor Minero, une route spécialement tracée pour l’usage des méga projets miniers située dans trois provinces adjacentes (Cotabambas, Chumbivilcas et Espinar), est un axe névralgique de la politique économique néolibérale. Bloquer cette route, c’est attaquer la base matérielle du pouvoir en place. Cependant, cette route est d’ors et déjà hyper militarisée. Plusieurs contingents de la Police Nationale Péruvienne (PNP) et des militaires sont déployées à différents points de la route, une sorte de menace à la population : si vous osez vous attaquer aux entreprises minières transnationales, la réponse se fera à balle réelle. Évidemment, une population qui se trouve être la grande perdante des réformes économiques néolibérales des années 1990, n’a pas grand chose à perdre. Véritablement, j’ai la sensation que nous ne percevons pas la valeur de notre propre vie de la même manière. Ils et elles iront au combat, quitte à se confronter aux mitrailleuses et aux tanks de guerre. Avec plusieurs camarades de Chumbivilcas, donc, nous sommes en train d’organiser des Brigades de Premier Secours, afin de préparer les gens à la répression des gaz lacrymogènes, en coordination avec les institutions de santé (qu’une amie à moi préside, en tant que cheffe de service) afin que des ambulances soient prêtes. Au cas où.

De mon côté, j’accompagne le nouveau Comité de Lutte, comme faire se peut. Une membre m’a d’ors et déjà demandé de l’aider à mobiliser les organisations de femmes, car cette tâche est souvent plus délaissée par les dirigeants masculins. Je ferai de mon mieux pour documenter la lutte, faire entendre leurs voix, mettre en contact avec des médecins et des avocats.

La lutte ne fait que commencer.