Direction la communauté de Huaccoto pour étudier le "boom" de l’activité minière artisanale

A partir de cette semaine, je poursuis mon travail de terrain dans la communauté de Huaccoto, située dans le district de Colquemarca. J’ai choisis d’approfondir mes recherches dans cette communauté spécifiquement, pour plusieurs raisons, d’abord d’ordre stratégique, ensuite d’ordre pratique.

Peut être un mot sur Colquemarca, avant de vous parler de la communauté. C’est le district qui a le plus changé depuis la pandémie et le "boom" de l’activité minière artisanale. Depuis plusieurs décennies, les hommes de Chumbivilcas migrent pour trouver du travail, car l’économie locale est particulièrement déprimée. La plupart allaient vers la ville, mais un très grand nombre allaient vers les centres miniers informels : Secocha et Caylloma dans la région voisine d’Arequipa, La Rinconada a Puno, ou encore La Pampa dans la région amazonienne de Madre de Dios. Avec la pandémie, tous ces sites ont fermé, et en ville impossible de travailler. C’est l’époque de l’exode urbain, où des milliers de personnes sont rentrées à pied jusque dans leur village d’origine. Dans le cas de Chumbivilcas, tous ces "retournants" sont rentrés chargés de savoir-faire pratique dans le secteur minier, d’un capital économique non négligeable, et de contact avec des investisseurs. Bloqués sur place, dans l’impossibilité de se déplacer du fait du confinement, s’ennuyant à mourir, un certain nombre d’entre eux ont commencé à explorer le territoire communal... et sont tombés, littéralement, sur des mines d’or, de cuivre, et de plomb.

Depuis 2020, le visage du district de Colquemarca a radicalement changé. Le petit bourg auparavant silencieux et vide est aujourd’hui traversé par des centaines de camions tous les jours. Les maisons en briques de terre crue sont systématiquement remplacées par des maisons en ciment et en brique. La taille du village a doublé en quelques années. Les montagnes alentours sont percées d’une quantité infinie de trous desquels les mineurs extraient des tonnes de roches tous les jours. Dans les parties plates (la pampa), ce ne sont même pas des mines souterraines, mais des mines à ciel ouvert, avec un paysage désolant fait de terre retournée et de machinerie lourde. Si l’activité minière informelle se développe partout dans le sud des Andes péruviennes depuis la pandémie, Colquemarca est vraiment une plaque tournante. C’est là aussi qu’on retrouve le plus grand nombre de grossesses adolescentes (des jeunes filles qui se mettent en couple avec des mineurs venus d’autres contrées) et, surtout, que se développe avec le plus de force la prostitution et la traite de personnes. Bref, Colquemarca est un cas d’étude particulièrement stratégique.

Dans ce cadre, la communauté de Huaccoto est intéressante. Selon ce qu’on me dit, entre 60 et 80% des hommes de la communauté travaillent dans les mines du mont Choquechampi, l’un des quelques grands sites miniers du district (avec la pampa de Choccoyo, la propriété privée de Chapina, et les communautés de Huininquiri et de Yanque dans la partie haute). Ensuite, parce qu’elle est en conflit avec la propriété des anciens hacendados Morales, qui cherchent à récupérer les terres communautaires du fait de la présence de grandes entreprises minières transnationales qui pourraient être intéressées par les richesses du sous-sol : les luttes pour la terre, qui n’ont pas été complètement résolues par la Réforme Agraire de 1969, sont ravivées par les promesses de richesse minière. Et enfin, tout simplement, parce que j’ai déjà un certain nombre de contacts dans cette communauté.

L’année dernière, lors de mon passage par des activités organisées par l’association de femmes victimes de stérilisations forcées, j’avais fait la rencontre de Guillermina, la présidente de l’association à Colquemarca. Lors de mon passage par ce district à l’occasion de l’anniversaire de Colquemarca, elle avait proposé de m’héberger une petite semaine. Or, lorsqu’elle m’a amenée jusqu’à sa maison, quelle n’a pas été ma surprise de constater que, dans son jardin, elle a des "quimbalete", ces grosses pierre pour moudre la pierre qu’utilisent les mineurs artisanaux. Il se trouve que ses enfants gèrent une entreprise minière familiale qui emploie une vingtaine de personnes, l’une des rares de la communauté. Ensuite, j’ai rencontré, par le biais de l’association de femmes stérilisées, Luz Marina, une dame d’une soixantaine d’année absolument adorable. Son fils est membre d’une organisation sociale de défense des intérêts de Chumbivilcas, et son mari est président de l’association de mineurs informels de la communauté : autant vous dire qu’ils ont des choses à raconter. Enfin, je me suis liée d’amitié avec une jeune femme, Lisbeth, 24 ans, psychologue, féministe, et mère de deux enfants trop choux. C’est l’un de mes rares contacts avec qui je peux parler de la situation des femmes, réfléchir avec elle, discuter de la situation. Son amitié est vraiment clé pour mon travail, car elle a accès à des histoires de vie nombreuses et peut me les restituer avec une analyse critique des plus intéressantes.

Je vais passer dix jours chez Luz Marina, l’aider à effeuiller le maïs, apprendre à faire du fromage, m’occuper de sa petite fille pendant que son fils travaille à la mine et sa belle-fille comme cuisinière sur le site de construction d’une route. L’idée est d’essayer de comprendre comment l’économie de la communauté a changé depuis ce boom minier extrêmement récent ; et comment ces changements ont affecté les rapports sociaux de sexe. J’aurai l’occasion de participer à l’Assemblée communale, d’écouter les débats, de discuter avec les femmes puis avec les hommes, d’observer la division sexuelle du travail au quotidien, le type d’outils et de technologie utilisés par chaque groupe social, etc.

La suite au prochain épisode !