Burundi : conflits ethniques et violations des droits humains

Un pays plusieurs fois meurtri par des conflits ethniques

, par Forum Réfugiés

La crainte actuelle d’une instrumentalisation ethnique du conflit politique

L’histoire du Burundi est marquée par de violents affrontements ethniques, opposant Hutus et Tutsis. La crainte aujourd’hui est de voir le conflit être instrumentalisé : le CNDD-FDD au pouvoir est issu d’une rébellion hutue, marginalisé pendant des années par des dirigeants tutsis. La guerre civile de 1993-2006 (l’accord de paix signé en 2000 n’a pas permis d’éradiquer totalement les violences) a fait 300 000 morts et opposait une majorité hutue et une minorité tutsie. L’accord de paix prévoyait notamment que l’armée soit composée d’autant de membres hutus que tutsis.

Le gouvernement, et en particulier Pierre Nkurunziza, ont été accusés ces derniers mois d’instrumentaliser le conflit afin de faire passer la lutte politique au second plan. Au lendemain de la tentative de coup d’État, plusieurs officiers ont été arrêtés et interrogés pour leur éventuelle implication : la majorité étaient Tutsis. Cela a ravivé des tensions au sein de l’armée et participé du développement d’un climat de suspicion. Certains discours appelant au désarmement des quartiers contestataires ont été particulièrement virulents et font rappeler de mauvais souvenirs à une population lasse des conflits meurtriers et fratricides.

L’histoire du Burundi mais aussi de son voisin, le Rwanda, rend cette instrumentalisation particulièrement dangereuse et inquiétante.

Retour sur l’histoire du Burundi

Le Burundi est peuplé de 10 millions d’habitants, dont la moitié a moins de 15 ans. Le pays a obtenu son indépendance en 1962 après la scission de la colonie belge Ruanda-Urundi. Le pays était alors peuplé d’environ 85 % de Hutus et de 15 % de Tutsis. Comme dans beaucoup d’autres colonies, l’administration a choisi de s’appuyer sur une catégorie de la population pour gouverner, dans le cas du Burundi sur les Tutsis, pourtant minoritaires. Au moment de l’indépendance, les Tutsis, mieux formés, occupent les postes clés de l’administration et de l’armée. Le Burundi est alors une monarchie. En 1966, une rébellion renverse le roi Ntare V monté sur le trône la même année. Michel Micombare, capitaine au sein de l’armée, s’auto-proclame président de la République. Ses années au pouvoir seront marquées par l’autoritarisme. En 1969, lui et son parti, l’Unité pour le progrès national (UPRONA) sont accusés d’éliminer les élites hutues. En 1971, c’est au tour des Tutsis prônant l’ouverture démocratique et le dialogue interethnique d’être ciblés par la répression. La « politique » du président Micombare attise les tensions communautaires, qui dégénèrent en massacre : en 1972, l’armée, largement composée de membres tutsis, est accusée d’avoir éliminé 100 à 300 000 Hutus. Accusé de corruption, Michel Micombare quitte le pouvoir comme il est arrivé, suite à un coup d’État en novembre 1976 mené par le colonel Jean-Baptiste Bagaza, largement soutenu par l’armée. Ce dernier devient alors président et promet non seulement l’ouverture démocratique, mais également d’œuvrer pour la réconciliation nationale. Cependant, les postes-clés de l’administration et de l’armée demeurent aux mains des Tutsis et l’UPRONA reste le seul parti autorisé.

En 1987, un coup d’Etat écarte Jean-Baptiste Bagaza du pouvoir après une mutinerie au sein de l’armée : Pierre Buyoya lui succède. Ce dernier entreprend une véritable réconciliation nationale. Le gouvernement qu’il forme est composé pour moitié de Tutsis et de Hutus, il fait approuver par référendum la Charte de l’unité nationale du 5 février 1991, date qui devient et est toujours la « Journée de l’unité nationale » et entame un processus de démocratisation du pays par l’adoption d’une nouvelle Constitution qui consacre le multipartisme. Ce processus débouche sur la création du premier parti politique à dominance hutue, le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) et sur les premières élections libres et multipartites du Burundi organisées en juin 1993.

Ces premières élections marquent un tournant dans l’histoire du Burundi, qui se révèle finalement dramatique : Melchior Ndadaye et son parti le FRODEBU remporte les élections. Il devient ainsi le premier président hutu du Burundi et nomme comme Premier ministre une femme tutsie, affichant ainsi son ouverture et sa volonté d’unité. Quelques mois plus tard cependant, dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, Melchior Ndadaye et plusieurs hauts responsables dont des ministres sont assassinés au cours d’un coup d’État. Cet événement déclenche une guerre civile sanglante : en représailles des groupes de civils hutus assassinent des Tutsis, tandis que l’armée, loin de jouer son rôle de protecteur et modérateur, entreprend une politique de répression tout aussi sanglante contre les Hutus. Durant deux ans, le pays vit au rythme des massacres. La vie politique est tout aussi chaotique : élu en janvier 1994, le nouveau président hutu meurt en avril 1994 au côté du président rwandais dans l’attentat visant leur avion. Cet événement marque le début du génocide rwandais. En septembre, un nouveau président intérimaire est nommé au Burundi. Il est démis de ses fonctions le 25 juillet 1996 par un coup d’État, une nouvelle fois mené par Pierre Buyoya.

L’artisan de la démocratisation du pays ne parvient cependant pas à ramener le calme. Les massacres perdurent malgré l’ouverture des négociations, notamment avec le Conseil national pour la défense de la démocratie- Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), parti politique et groupe armé à majorité hutue et principal groupe armé rebelle. En août 2000, des accords sont cependant signés à Arusha après deux ans de négociations. Ils n’effacent pas le bilan de cette guerre, que certains souhaitent voir reconnue comme génocide à l’encontre des Tutsis. Selon diverses estimations, le conflit a causé la mort de 100 à 300 000 personnes, fait plus d’un million de déplacés à travers le pays, et précipité l’exil de 800 000 personnes.

Les Accords prévoient un gouvernement de transition avec deux présidents, l’un issu du FRODEBU (parti à majorité hutue) et l’autre de l’UPRONA (parti à majorité tutsie). Le gouvernement de transition avait pour mission de rédiger une nouvelle Constitution avec les factions rebelles et d’organiser de nouvelles élections démocratiques. En 2004, une nouvelle Constitution est rédigée collégialement avec l’UPRONA, le FRODEBU et les ex-rebelles du CNDD-FDD. Cette Constitution prévoit un gouvernement ouvert à toutes les composantes ethniques : « Il comprend au plus 60 % de ministres et vice-ministres hutus et au plus 40 % de ministres et vice-ministres tutsis. ». Il est précisé que ce gouvernement doit inclure un minimum de 30 % de femmes. Le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur doivent être d’une ethnie différente. L’article 164 de la nouvelle Constitution stipule que « l’Assemblée nationale est composée d’au moins cent députés à raison de 60 % de Hutus et de 40 % de Tutsis, y compris un minimum de 30 % de femmes, élus au suffrage universel direct et de trois députés issus de l’ethnie twa (pygmées) cooptés conformément au code électoral. Le 1er alinéa du même article précise que « si les résultats des votes ne reflètent pas les pourcentages susvisés, il sera procédé au redressement des déséquilibres par cooptation ». Malgré l’appel de certains politiciens à boycotter cette nouvelle Constitution, elle est adoptée par référendum populaire à plus de 90 % de « OUI » le 28 mars 2005 et entre ainsi en vigueur.

Au vu de ces résultats, une évidence longtemps ignorée par certains politiciens se confirme : le peuple burundais est fatigué par la guerre et les tueries et ne souhaite plus qu’un avenir paisible et l’assurance d’un meilleur lendemain pour ses enfants.