Burundi : conflits ethniques et violations des droits humains

La mainmise de Pierre Nkurunzia sur la vie politique burundaise

, par Forum Réfugiés

La fin de la guerre civile, le début d’un pouvoir autoritaire ?

Après dix années de guerre civile, la promulgation d’une nouvelle Constitution et deux élections présidentielles, la démocratie a eu du mal à se consolider sur le sol burundais. Les élections communales, parlementaires et présidentielles de 2010 n’ont donné pour résultat qu’une marginalisation de l’opposition, le passage dans la clandestinité des Forces nationales de libération (FNL), dernier groupe rebelle issu de la guerre civile à refuser les négociations et l’émergence de nouveaux groupes armés.

Les élections communales de 2010, qui ont vu la victoire du Conseil national pour la défense de la démocratie- Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), ont été contestées par les partis de l’opposition en raison de fraudes massives. Mais la validité du scrutin n’ayant pas été remise en cause par les observateurs internationaux, la société civile et la presse, les opposants se sont regroupés au sein de l’Alliance des démocrates pour le changement au Burundi (ADC-Ikibiri), regroupant les partis d’opposition désirant annuler le scrutin communal. Ce regroupement a boycotté massivement le reste du cycle électoral donnant ainsi la victoire au parti au pouvoir avec 91 pour cent des voix à la présidentielle, 81 pour cent aux législatives et 94 pour cent aux sénatoriales. Pierre Nkurunziza demeure président de la République du Burundi pour un deuxième mandat.

Les incidents violents qui se sont déroulés lors de la campagne présidentielle ont été le catalyseur de nombreuses violations des droits de l’Homme et notamment de l’arrestation de nombreux opposants entre juin et juillet 2010. De nombreux responsables de l’ADC-Ikibiri ont préféré s’exiler afin d’échapper à cette purge. Le climat politique vicié après les élections de 2010 touche non seulement les opposants mais également les défenseurs des droits de l’Homme et les journalistes harcelés par le pouvoir ou même arrêtés. Faustin Ndikumana, président de Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (PARCEM), a ainsi été emprisonné en février 2012 pour avoir suggéré que le ministère de la Justice était touché par la corruption.

Les élections de 2010 ont mis fin à toute communication officielle entre l’opposition et le gouvernement, la coalition ADC-Ikibiri n’étant pas officiellement reconnue. Certains membres des Forces nationales de libération (FNL) et d’autres opposants se sont repliés en République démocratique du Congo afin de prendre les armes et lutter contre le gouvernement burundais, également à l’origine de violences et d’assassinats à l’encontre de l’opposition.

L’incident marquant de ces dernières années fut le massacre de 39 personnes, à Gatumba situé à 15 km de la capitale, en septembre 2011. Bien que cet acte n’ait pas été revendiqué, le Gouvernement en impute la signature au FNL.

La démocratie s’est vue entachée par un accroissement de la corruption, une justice en manque d’indépendance et un faible contre-pouvoir institutionnel. Sans parler de reprise de la guerre civile, la marginalisation de l’opposition tend à faire naître une rébellion préjudiciable à tous les efforts apportés entre 2005 et 2010 pour l’instauration de la démocratie. Malgré la pression de la communauté internationale, aucune solution pacifique n’a été trouvée afin d’entraver la violence engendrée par cette impasse politique. Les élections de 2015 et ses conséquences rentrent ainsi dans une certaine continuité : celle du non-respect de la démocratie. Parallèlement, le pouvoir de plus en plus autoritaire a participé à une dégradation des droits humains dans le pays.

La dégradation des droits humains

Entre les cycles électoraux de 2005 et 2010, la voie de la reconstruction, de la réconciliation et de la liberté d’expression se construisait à partir de la Constitution qui signait la fin des conflits d’ordre ethnique et le retour des exilés. Mais la crise politique de 2010 a enrayé une bonne partie de ces efforts, et sans que les violences n’atteignent celles rencontrées dans les années 1990, les flambées de violence concentrées sur certains territoires (les quartiers de la capitale Bujumbura et la province environnante de Bujumbura Rural sont les plus concernés) font craindre le pire.

L’impunité pose toujours problème au Burundi. Le gouvernement du président Nkurunziza peine à mettre en place une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et un tribunal spécial qui se chargeraient d’enquêter et juger les crimes graves commis depuis 1962.

Les principales victimes de la crise post-élection 2010 se trouvent être des membres ou ex-membres de l’opposition (Forces nationales de libération (FNL) ou Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) et Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD)) et les présumés auteurs des exactions seraient liés au pouvoir en place, qui ne sont pas inquiétés par la moindre enquête.

Le gouvernement s’en prend également aux défenseurs des droits humains, journalistes et à certaines organisations internationales, au motif qu’ils seraient la voix de l’opposition.
Par ailleurs, au cours de ces dernières années, les droits des lesbiennes, homosexuels, bisexuels et transgenres (LGBT) se sont vus réduits et même le fait de consentir à des rapports sexuels entre personnes du même sexe constitue un crime depuis avril 2009. Deux ans de prison peuvent être infligés à des partenaires consentants de même sexe aux yeux du droit pénal burundais. Même si la loi n’est pas appliquée à la lettre sur le terrain, son existence a accentué la stigmatisation des LGBT.

Malgré la dégradation des droits humains, le peuple burundais et notamment sa société civile très active tentent de maintenir les efforts fournis entre 2005 et 2010 en dénonçant les exactions et les intimidations. Une Commission nationale indépendante des droits humains (CNIDH) a vu le jour en 2011, avec pour mission d’enquêter sur les violations des droits humains et notamment sur les exécutions extrajudiciaires. Dans son rapport d’activité 2015, cette Commission semble ne pas être tout à fait indépendante : les cas de violations des droits humains sont largement sous-estimés par rapport à d’autres sources indépendantes.