Palestine : la paix par le droit

Palestine : notre responsabilité historique et politique

, par CDTM 34

Ce texte, rédigé en juin 2008 par Bernard Ravenel, historien et journaliste, Président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine reste d’actualité.

Les nouvelles de Palestine nous racontent une guerre rampante, de « basse intensité » mais de plus en plus meurtrière. En fait c’est la guerre « tout court ». Mais c’est une guerre particulière : s’y affrontent non pas les armées de deux États ennemis mais une des armées les plus puissantes du monde et un peuple occupé. Une guerre fondamentalement asymétrique, paradigme de l’affrontement Nord-Sud.

L’escalade militaire à Gaza, continuée au Liban, relancée à Gaza montre à la fois que c’est une situation d’urgence et que le problème du conflit israélo-palestinien non seulement n’est pas réglé mais s’est aggravé du fait de la stratégie américano-israélienne au Moyen-Orient. Avec la Palestine, il y a deux autres peuples arabes soumis à la guerre israélo-américaine, l’Irak et le Liban, sans oublier la Syrie dont le Golan est toujours occupé par Israël. Sans oublier surtout l’Iran menacé d’un bombardement de ses installations nucléaires ce qui déclencherait une crise de dimension mondiale.

Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la situation n’a été aussi grave. À partir de la Méditerranée orientale, le monde est face à la « guerre infinie » qui prévoit une dimension nucléaire, une guerre potentiellement destructrice de toute la planète, comme réalité et comme menace proche, une guerre présentée comme légitime et prolongeable à merci, qui s’accompagne d’une militarisation de la vie civile : tout ceci à partir de la non-solution de la question palestinienne, mère de tous les conflits comme l’a défini Romano Prodi...

Par conséquent la paix devient un objectif stratégique. On ne peut pas ne pas chercher à tâtons quelles peuvent être les voies les plus efficaces, sur les plans politique, institutionnel et juridique d’une paix « juste » aujourd’hui réalisable.
En même temps, aujourd’hui, le questionnement est simple : oui ou non Israël doit-il restituer les Territoires occupés en 1967 ? Oui ou non la révolte désespérée des Palestiniens ne cessera-t-elle que si se constitue entre les deux nations une situation de justice avec deux États et des garanties réciproques ?

Certes par son enchevêtrement de douleurs et d’injustices passées et présentes, la question israélo-palestinienne ne ressemble à aucune autre. Elle nécessite en particulier pour l’Europe, du fait de ses responsabilités politiques, historiques et morales, une approche très articulée. Une approche qui renvoie à l’histoire du Moyen-Orient contemporain et de son rapport à l’Europe.

Le besoin d’histoire

Pour parler du drame de la Palestine et en envisager l’issue, point n’est besoin d’évoquer le destin de cette « terre promise à deux peuples », comme si la Palestine était une anomalie échappant aux dynamismes des autres nations et de toutes les formations sociales. Ce serait une offense de plus faite aux Palestiniens qui ont d’abord droit à l’histoire c’est-à-dire d’historiciser leur propre choix d’être un pays souverain et disposant alors de son pouvoir de décision sur ses propres affaires intérieures et extérieures.

Tout commence avec l’apparition dans l’histoire du Moyen-Orient contemporain de la Palestine avec ce nom et ses limites physiques qui sont encore celles d’aujourd’hui.

Le sort de la Palestine, comme des autres territoires arabes qui cessèrent de faire partie de l’Empire ottoman après la défaite dans la Première Guerre mondiale, fut décidé selon une politique coloniale classique : sans consulter les populations intéressées.

Tout au plus en négociant avec quelques notables comme Hussein, Chérif de la Mecque, à qui on fit la promesse - non tenue - d’être le souverain d’un royaume arabe unifié...

Accédant aux sollicitations du mouvement sioniste, le gouvernement britannique, première puissance impériale et coloniale, parlait de la Palestine mais non des Palestiniens. La Déclaration Balfour de 1917 se limitait à établir qu’une fois satisfait le principe d’un « foyer national » pour les juifs, « les droits civiques et religieux des communautés non-juives existantes en Palestine » seraient garantis - sauf que les non-juifs n’étaient pas une réalité résiduelle. Cette formule bizarre de tutelle pour les droits de l’écrasante majorité de la population de la Palestine anticipe les futures négations et le refoulement progressif des Arabes-Palestiniens de leur terre. Terre où doit alors s’installer une population d’immigrés poussés par un rêve messianique traduit en pratique politique à partir du projet de Théodore Herzl, pour remédier aux pogroms contre les juifs en Europe centrale et orientale.

À partir de ce moment, pour les Palestiniens va se constituer l’idée nationale à travers un passage douloureux de la « nation arabe » globale à la spécificité de la Palestine. Les nationalistes pan-arabes voyaient la Palestine comme « Syrie méridionale ». Pendant ce temps, dépouillés de leurs terres, les Arabes de Palestine connaissent des phénomènes d’urbanisation, de prolétarisation et de radicalisation inconnus dans le reste du monde arabe. Et au moment de délibérer et de décider de l’avenir du mandat britannique, il apparut normal, « naturel », de se rapporter d’abord au cadre arabe régional avant de se référer à la nation palestinienne. Avec cette démarche le partage de la Palestine entre juifs et arabes décidé par l’ONU le 29 novembre 1947 ne pouvait que rester sur le papier. Ce furent alors les gouvernements arabes voisins qui disputèrent à l’État Juif l’espace et la souveraineté de ce qui était attribué à « l’État arabe de Palestine »....

Dans un système qui admet seulement les États, la Palestine aura payé au prix fort l’absence d’un État même faible.

Où et comment construire l’État palestinien ?

L’expulsion qui accompagne l’indépendance d’Israël a lourdement pesé dans l’histoire du mouvement national palestinien. Quel était le territoire et la fraction de peuple sur lesquels la direction du mouvement devait viser pour se soustraire à la tenaille entre Israël, la politique des États arabes et les effets de la guerre froide ?

Pendant des années, Yasser Arafat a cru - s’illusionna - pouvoir faire émerger le futur État palestinien à partir des communautés de Palestiniens les plus sacrifiés et donc les plus prédisposés à l’action, et même à la lutte armée : en Jordanie et au Liban. Le « Septembre noir » d’Amman en 1970 et l’issue désastreuse de l’insertion de la cause palestinienne dans les fragiles mécanismes constitutionnels du Liban ont été autant d’erreurs stratégiques mais qui s’expliquent aussi par les conditions de division et de dispersion de la Palestine et des Palestiniens.

Formellement, la lutte des Palestiniens avait un caractère transnational mais dans les faits, elle subissait les pressions des divers pays où agissait l’OLP sans que celle-ci parvienne à définir un projet politique crédible. Il aura fallu attendre l’Intifada de 1987 pour que la Palestine rentre en Palestine. C’était la première fois depuis la révolte des années trente. Pour la masse et les « élites » des Territoires occupés, la priorité était de créer l’État palestinien là où avait pris corps une société qui, à la différence du microcosme désagrégé des camps de réfugiés, était dotée d’une économie, d’écoles et d’universités, d’une classe moyenne et d’une opinion publique active.

Yasser Arafat exalte alors les « enfants des pierres issus du sein de notre peuple aimé ». En même temps, la dynamique du soulèvement populaire non armé a créé des contradictions sociales et politiques nouvelles avec une OLP installée à Tunis depuis son expulsion du Liban en 1982. À Gaza l’islam politique se diffuse comme alternative au nationalisme occidentalisant de l’OLP.

Mais le mérite d’Arafat aura été, à partir de l’exil, de personnifier la Palestine comme symbole de l’unité des différents « morceaux » de la nation palestinienne et comme dirigeant retournant, après les accords d’Oslo et la paix de Washington en 1993, sur le sol de Gaza, Jéricho, Ramallah. C’est pour cette raison qu’Ariel Sharon s’est toujours acharné contre Abu Ammar orchestrant sa liquidation politique et bientôt physique. Et puis ce fut la division entre Gaza et Cisjordanie. Outre le rôle du Hamas dans l’opposition, cette division a une autre origine : les modalités du retrait des soldats et colons israéliens de la bande de Gaza en 2005.

Le refus de faire participer l’Autorité nationale palestinienne (ANP) alors dirigée par Abu Mazen et le Fatah, aux opérations de dégagement de Gaza, ajouté à l’incertitude sur l’avenir de la Cisjordanie, a fait du « retrait unilatéral » mené par Sharon non pas une avancée vers la paix mais une déclaration de guerre. Israël faisant connaître aux « modérés » comme Abu Mazen sa décision et son pouvoir de tracer les frontières tout seul.

Alors tout le projet de l’OLP / Fatah s’effondre sans qu’émerge une nouvelle stratégie crédible. Confronté à l’épreuve électorale en 2006 le Fatah, mais aussi les autres forces politiques de l’OLP, perdent les élections face au Hamas. C’est la fin d’une phase historique.

L’arrivée, démocratique, du Hamas au pouvoir justifie alors pour Israël le blocus de Gaza, les arrestations en masse de députés et de ministres palestiniens, les incursions quasi quotidiennes des avions et des tanks avec l’Étoile de David.

On en est là en 2008. Toute l’histoire de ce siècle depuis la Déclaration Balfour jusqu’à aujourd’hui, en passant pas l’imposition du plan de partage en 1947 et par la conférence de Madrid en 1991 où les Palestiniens devaient être représentés dans la délégation... jordanienne, montre que la question palestinienne aura été caractérisée par la volonté constante d’Israël, soutenu en cela par l’Occident, d’empêcher par tous les moyens la représentation directe du peuple palestinien pour que celle-ci défende ses droits sur la scène internationale.

La responsabilité politique et morale de l’Europe : faire appliquer le droit

Parler d’hypocrisie de ceux qui, États-Unis, Europe, Israël, avaient exigé des élections démocratiques comme condition préalable à d’éventuels accords est superflu. Aujourd’hui l’extrême gravité de la situation au Moyen-Orient transformée en poudrière qui risque à tout instant de s’embraser impose, après l’échec de la médiation américaine, tant dans le processus d’Oslo que dans celui dit d’Annapolis, une initiative européenne.

Or l’Europe - et même cette partie de l’Europe qui a toujours exprimé la culture du droit et de la légalité - par inertie, par impuissance, par manque de courage surtout, démontre n’avoir pas compris la véritable portée de ce conflit et continue à tâtonner, à annoncer, sans même exprimer un mot de condamnation claire pour les crimes de guerre d’Israël. Elle continue à considérer Israël comme un sujet au-dessus du droit et de la légalité. Elle envisage même de donner à Israël un statut privilégié de membre externe de l’Union européenne (comme ce fut fait pour l’OTAN par les États-Unis ).

Cette attitude équivaut à une auto-renonciation de la part de l’Europe à jouer un rôle politique autonome non seulement au Moyen-Orient mais dans toute la zone méditerranéenne. L’Europe perd ainsi son droit à la parole si aujourd’hui elle ne parle pas clairement parce qu’aujourd’hui, il faut faire tout ce qui n’a pas été fait en Palestine à partir de 1948 pour empêcher que la stratégie de « faits accomplis » ne dégénère en tragédie irréparable.

L’Europe doit d’abord proposer des mesures d’urgence pour arrêter l’escalade militaire israélienne et protéger les populations palestiniennes. D’où la nécessité d’une force de protection et d’interposition à Gaza et en Cisjordanie avec un mandat clair de l’ONU, d’où la nécessité d’appliquer le droit international exprimé par l’ONU. Ce qui signifie que l’Europe doit proposer un mécanisme de négociation embrassant l’ensemble des problèmes politiques de la paix au Moyen-Orient, mais à commencer par le facteur principal de guerre : l’occupation israélienne de la Palestine.

Mais l’Europe sous la direction de N. Sarkozy n’est pas disposée à s’orienter dans ce sens. D’où, pour la société civile euro-méditerranéenne, l’interpellation et la pression politique permanentes et fortes auprès des acteurs politiques de tous les pays euro-méditerranéens.

Se poser un objectif plus modeste c’est refuser de se mettre à la hauteur des enjeux : la paix par le droit international ou la guerre dont les effets ne se limiteront pas au Moyen-Orient.