Palestine : la paix par le droit

Introduction

, par CDTM 34

Aux racines d’un interminable conflit

Le « conflit israélo-palestinien » qui implique une puissance occupante et un peuple occupé serait-il sans issue ? Pour appréhender cette question et entrevoir les bases d’une solution juste et durable, il est indispensable de remonter le cours de l’histoire jusqu’aux prémices du conflit à la fin du XIXe siècle [1].
De la publication de « L’État des Juifs » par Theodor Herzl, en 1897, jusqu’aux annonces par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou du projet d’annexion de la Cisjordanie occupée, la tragédie vécue par le peuple palestinien continue. Dans le prolongement du colonialisme occidental du XIXe siècle, notamment du colonialisme britannique, et des persécutions en Europe de l’Est, le mouvement sioniste [2] a imaginé le peuplement d’un « foyer national », en Palestine, pour tou·tes les juif·ves de la planète.

Photo de M.K. Ream, 2011.

C’est ainsi qu’en 1948 les Palestinien·nes ont subi la « Nakba » - la « catastrophe » en arabe - avec la création de l’État d’Israël sur la terre palestinienne et le début d’un long processus de dépossession et d’expulsions. Depuis, les dirigeant·es sionistes n’ont jamais voulu partager la terre de Palestine avec ses habitant·es historiques et n’ont eu de cesse d’accaparer leur terre, de les chasser hors de leur pays et d’y installer des populations de confession juive originaires d’autres pays.
Ce processus qui a accompagné la création de l’État d’Israël en 1948 se poursuit au gré d’offensives militaires et de violences perpétuées à l’égard des populations locales. Il se consolide avec la construction de nouvelles colonies protégées par l’armée et par de nombreux murs de séparation, mais dénoncées par la légalité internationale. Depuis la guerre de conquête de 1967, ce sont près de 662 000 personnes juives qui se sont installées dans les colonies en Cisjordanie (qu’elles ont rebaptisées Judée-Samarie) et autour de Jérusalem [3].

L’apartheid d’État

La Loi fondamentale [4] définissant Israël comme « l’État-nation du peuple juif », adoptée par le Parlement israélien (Knesset) le 19 juillet 2018, institue deux catégories de citoyen·nes : d’un côté les juif·ves, de l’autre tou·tes les autres habitant·es. Plusieurs dispositions de ce texte portent atteinte aux droits fondamentaux de quelque 1,8 million de citoyen·nes non juif·ves (environ 20 % de la population) dont l’importante « minorité » arabe. Cette loi fait perdre à l’arabe sa qualité de langue officielle en instituant l’hébreu comme seule langue de l’État d’Israël. En ce qui concerne la nationalité, le mariage, l’accès au travail, les permis de construire, etc., les Palestinien·nes d’Israël sont discriminé·es par les juridictions civiles et militaires israéliennes. Dans les Territoires occupés [5] (qui comptent aujourd’hui 2,5 millions de Palestinien·nes en Cisjordanie et 2 millions dans la Bande de Gaza), l’armée israélienne et la juridiction militaire contrôlent la terre, l’eau, les déplacements et les conditions de travail des Palestinien·nes qui n’ont droit ni au salaire minimum ni aux horaires de travail des citoyen·nes israélien·nes.

Un apartheid renforcé [6]

Richard Falk (Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains en Palestine de 2008 à 2017) et Virginia Tilley, dans leur rapport pour la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (CESAO), qualifient l’ensemble des pratiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien de « régime d’apartheid », selon une argumentation qui se réfère au corpus de droit et de principes internationaux en matière de droits humains. Ce rapport analyse les méthodes utilisées pour contrôler l’ensemble de la population palestinienne, selon les lieux où elle réside. Il conclut qu’Israël maintient un régime d’apartheid par une fragmentation géographique où s’appliquent des méthodes d’administration différentes, visant à diviser et à contrôler les Palestinien·nes :

  • Les Palestinien·nes citoyen·nes d’Israël : les lois réduisent leur capacité à obtenir des droits égaux à ceux des citoyen·nes juif·ves.
  • Les Palestinien·nes de Jérusalem-Est : leur statut de résident·e permanent·e (statut d’un·e étranger·ère ayant un visa à durée indéterminée) entretient les discriminations à leur égard et les maintient dans une certaine précarité.
  • Les Palestinien·nes en Territoire occupé (Cisjordanie et Gaza) : un régime juridique militaire spécifique leur est imposé. En Cisjordanie, un droit particulier s’applique aux colons.
  • Les réfugié·es et exilé·es palestinien·nes sont empêché·es de revenir dans leurs foyers en Palestine (c’est-à-dire tout le territoire de la Palestine sous mandat britannique et actuellement sous le contrôle direct d’Israël).
    De 2010 à 2012, les quatre jurys du Tribunal Russell pour la Palestine [7] ont décrit ce régime de domination et l’ont également qualifié d’apartheid d’après les critères définis par le droit international et les Nations unies [8].
    Le mur construit depuis 2002 sur 700 km (présenté par Israël comme une barrière de sécurité) et les routes réservées aux seul·es Israélien·nes qui sillonnent les Territoires occupés séparent et isolent les communautés palestiniennes entre elles et ravagent leur vie quotidienne.
    À Gaza, la situation est catastrophique et les droits fondamentaux des Palestinien·nes ne sont pas respectés par la puissance occupante. Cette étroite bande de terre entre la mer et le désert est transformée en une vaste prison par le blocus militaire imposé par Israël depuis les élections palestiniennes de 2006 - un blocus à la fois aérien, maritime et terrestre. Les bombardements de la population civile, y compris des écoles et des hôpitaux, y sont fréquents.

Silence de la communauté internationale et impunité d’Israël

L’État d’Israël, pourtant membre de l’ONU en 1949, n’a jamais appliqué une seule des résolutions de cet organe international qui viennent régulièrement lui rappeler ses obligations en tant que puissance occupante à l’égard de la population palestinienne réfugiée et occupée. Israël a, au contraire, entravé la création de l’État de Palestine depuis les Accords d’Oslo de 1993. Sous le patronage étasunien, ces accords avaient conclu à la création d’un État avec, provisoirement pendant le processus de négociation, une Autorité palestinienne élue par les Palestinien·nes. Depuis l’échec des négociations, la société palestinienne continue d’être privée de son droit à l’autodétermination et à la nationalité. Et les questions essentielles (frontières, Jérusalem, retour des réfugié·es) sont occultées.
L’État d’Israël poursuit une politique du fait accompli avec le soutien politique, militaire et économique des grandes puissances, dont les États-Unis, certaines ex-puissances coloniales de l’UE, et même de certains États arabes.
En entrant dans le jeu de la « normalisation » officielle avec Israël, les dirigeants de ces États arabes rompent avec le Sommet de Khartoum et la politique historique arabe des trois « non » (non aux négociations , non à la paix et non à la reconnaissance d’Israël). Cette posture isole d’autant plus les Palestinien·nes sur la scène régionale et internationale.
L’illégalité de l’occupation et de l’annexion, ainsi que les violations des droits humains sont connues et largement documentées, tant par les instances de l’ONU que par de nombreuses ONG internationales. Les enjeux économiques et historiques pour les États-Unis et l’Union européenne au Moyen-Orient peuvent expliquer l’impunité dont bénéficie Israël.

Résistance palestinienne et mouvements de solidarité

La résistance civile et populaire palestinienne n’a jamais cessé. Elle affronte courageusement une puissance militaire écrasante, dotée de moyens financiers colossaux et des technologies sécuritaires les plus en pointe. Depuis l’appel des ONG palestiniennes du 4 juillet 2005 [9], elle a pris de l’ampleur à travers la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) [10] qui s’inspire de celle appliquée à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. La campagne BDS est soutenue par de nombreuses personnalités et associations de solidarité dans le monde. Les mobilisations citoyennes hors de Palestine exigent l’arrêt de l’impunité dont jouissent les gouvernements israéliens successifs, en demandant notamment :

  • la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël qui favorise l’économie militaro-industrielle du pays et de ses colonies (accord d’association, accord de coopération scientifique et technologique, etc.)
  • l’annulation des conditionnalités imposées par l’Union européenne quant à l’aide apportée aux ONG palestiniennes qui sont traitées d’organisations terroristes.

La paix ne se fera que par l’application du droit

La seule voie pour une paix juste et durable est l’application du droit international qui doit mettre un terme à l’un des derniers faits coloniaux du XXIe siècle. Cela doit notamment passer par :

  • la reconnaissance de l’État de Palestine avec sa capitale, Jérusalem-Est, suivant la ligne d’armistice de 1949
  • l’application des résolutions de l’ONU, notamment celle concernant l’article 11 de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 11 décembre 1948 concernant le retour des réfugié·es [11]
  • le respect des conventions internationales sur les droits humains.
    C’est la reconnaissance du peuple palestinien sur sa terre, de son droit à l’autodétermination et à l’égalité des droits qui permettront la construction pacifique des sociétés palestinienne et israélienne.