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Le FDNN ou comment financer les communs numériques pour un internet libre

, par DESCARPENTRIES Simon

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FDNN (ou FDN2), le Fonds de Défense de la Neutralité du Net a été créé en 2009 pour venir en aide aux organismes protégeant cette caractéristique essentielle du réseau des réseaux. Son nom est un clin d’œil à l’association FDN (French Data Network), le plus vieux fournisseur d’accès à internet (FAI) de France encore en activité, lui-même également à l’origine de la Fédération FDN (la FFDN) qui essaime des FAI locaux un peu partout en France.

Cette blague sur les sigles est l’œuvre de Benjamin Bayart, alors président d’FDN, fondateur d’FDNN et d’FFDN, un théoricien et vulgarisateur éclairé des internets et des transformations positives que ce nouveau moyen de communication opère sur la société.

« L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet lui permet d’écrire. »
Benjamin Bayart, 2009

Ce réseau mondial d’ordinateurs donne corps à la notion de liberté d’expression en permettant à n’importe qui de s’affranchir de l’approbation d’un éditeur ou du coût d’une presse pour publier un livre, numérique. En pratique, il suffit de quelques clics pour ouvrir un blog et s’adresser au reste du monde. C’est quand même autre chose que le minitel qui équipait la France et fonctionnait sur un modèle centralisé, facturé à la minute d’utilisation !

Internet permet aujourd’hui les courriels gratuits, la publication et la consultation de vidéos gratuites, l’accès à Wikipedia partout dans le monde... Et même l’auto-hébergement des services que vous utilisez ! (voir toute la collection mise en œuvre par l’association Framasoft)

Internet permet de s’instruire ou d’innover, sans demander la permission...

Tout cela n’est possible qu’avec un réseau d’ordinateurs, un réseau qui connecte tout le monde sans distinction.

C’est ainsi que votre ordinateur est à la fois un outil de consultation du web et de ce qu’y proposent les autres, mais aussi un outil de publication, envoyant des courriels ou hébergeant votre instance de Peertube, [1] chez vous (et alors c’est mieux d’avoir la fibre).

Ce principe de réciprocité des connexions et de transport des flux à la même vitesse dans tous les sens, c’est la Neutralité du Net : « Tous les paquets (de données) naissent libres et égaux en droit ». Ce n’est pas un idéal à atteindre, c’est une réalité à défendre et c’est là qu’FDN2 entre en jeu.

C’est d’abord la Quadrature du Net qui s’est donné cette mission en France et FDN2 a été créée (par l’équipe du bureau d’FDN) pour en porter les finances. FDN2 proposait alors un site web automatisant les collectes de dons par carte ou prélèvement bancaire. Par la suite, d’autres associations ont souhaité profiter des services financiers mis en place, comme l’April.org (l’association française de défense et de promotion du logiciel libre), Framasoft, Globenet, Nos Oignons (une association française s’investissant dans la surcouche Tor d’Internet qui permet l’anonymat, condition de la liberté d’expression) et même Wikileaks.

FDN2 a ainsi géré jusqu’à un demi-million d’euros par an. Mais nombreux sont les adversaires de la neutralité du net et de la liberté d’expression... Les politiques et les journalistes cherchent par exemple à défendre leur monopole sur le temps de parole, les distributeurs de musique ont voulu, avec la loi HADOPI, garder sur le net le contrôle qu’ils avaient sur les disques, sans parler du secret des États et plus récemment celui des affaires... Ce sont particulièrement les attaques contre Wikileaks qui ont posé le plus de problème, entraînant des boycotts par différentes instances financières et mettant à mal la mission d’FDN2.

Lors du blocus extra-judiciaire opéré par Visa et Mastercard contre Wikileaks en 2012, FDN2 a pu maintenir sa porte de collecte de don par carte bancaire grâce à une spécificité française : le GIE Carte Bancaire qui imposait mécaniquement aux géants états-uniens de couper le service à toute la France s’ils voulaient nous couper, nous.

Pendant deux ans FDN2 était le seul moyen de soutenir cette association par carte bancaire, puis notre banque (le Crédit Mutuel) nous a mis un matin à la porte, avec un chèque pour solde de tous comptes dans les mains.

Des comptes ont été rouverts dans plusieurs banques, un guichet CB rétablit, mais cette fois c’est Natixis, prestataire de la BRED, qui a imposé (toujours en dehors de toutes considérations juridiques) la fin d’un service qui était la cible d’attaques (nombreux paiements annulés).
Ne sont plus restés que les virements bancaires (SEPA) (les prélèvements n’ayant pu être rétablis) et les monnaies par chiffrement, Bitcoin en tête. Ces derniers n’ont pas que des qualités, mais ils permettent de se passer d’intermédiaires (et donc de banques) pour réaliser des transactions monétaires. FDN2 utilise aujourd’hui Bisq, un logiciel libre permettant ces transactions de manière décentralisée et entièrement automatique.

Depuis il est devenu un peu plus facile de collecter des fonds pour une association avec HelloAsso, pour un logiciel libre avec Liberapay (qui a connu des déboires comparables aux nôtres et utilise aujourd’hui un prestataire états-unien après la défection de MangoPay / Crédit Mutuel).

L’activité d’FDN2 tourne donc au ralenti, mais les dons collectés sont rigoureusement reversés chaque année aux associations bénéficiaires. Certains dons étant laissés à notre appréciation, une petite cagnotte s’est même constituée. Elle ira soutenir l’initiative de demain pour défendre la Neutralité du Net contre les attaques, qui n’ont pas cessé (voir la déclaration de Patrick Drahi au sénat le 2 février 2022, plaidant pour mettre fin à la Neutralité du Net pour créer des revenus supplémentaires pour les FAI [que vous payez déjà et qui se gavent pour certains jusqu’à investir des milliards dans la téléphonie mobile]).

La liberté d’expression dépend d’un Internet neutre. Cette liberté n’était qu’un idéal théorique avant l’avènement du net et dérange au plus haut point la classe dirigeante. Alors qu’ils se revendent la majorité des journaux entre eux, Internet est une faille dans leur système et ils n’auront de cesse d’en demander le contrôle. À nous de tirer parti de cette liberté pour la préserver, car une liberté ne s’use que si on ne s’en sert pas.

POUR ALLER PLUS LOIN

  • Le site web du Fonds de Défense de la Neutralité du Net : https://fdn2.org
  • Menace sur nos libertés : Comment Internet nous espionne. Comment résister, Robert Laffont, 2013, 245 p. (ISBN 978-2-221-13522-8) (avec Julian Assange, Andy Mueller-Maguhn, Jacob Appelbaum et Jérémie Zimmermann)
  • Intimidations de la CIA sur Wikileaks, conférence au CCC 2020 par Andy Mueller-Maguhn : https://media.ccc.de/v/rc3-11512-cia_vs_wikileaks

Notes

[1NdE : PeerTube est un logiciel libre d’hébergement de vidéo décentralisé permettant la diffusion en pair à pair, et un média social sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, regarder, commenter, évaluer et partager des vidéos en streaming.

Commentaires

 Simon Descarpentries est le trésorier du Fonds de Défense de la Neutralité du Net (https://fdn2.org) et secrétaire du groupe d’utilisateur·rices de logiciels libres de Bressuire (https://www.gebull.org)