Burkina Faso : une jeune démocratie à l’épreuve du terrorisme islamiste

Témoignage : « Au Burkina Faso, je crois que la situation échappe à tout le monde. »

Entretien de Noël Combay, par Emmanuelle Auger (Cridev)

, par CRIDEV

L’écriture de cet article a tout d’abord démarré par une conversation sur "what’s app" avec Noël Combary, président de Vivavi [1] suite à la tuerie de 16 personnes le vendredi 11 octobre 2019 dans une mosquée au Nord du Burkina Faso.
Cet article présente et analyse la situation actuelle.

EA : Noël peux-tu situer ton point de vue, dire qui tu es, comment tu te définis ? 

Je m’appelle Yempabou Noël, fils de Abdou Albert COMBARY et de Tapoa Thiombiano, 4ᵉ enfant et 3ᵉ garçon du côté de ma mère, 24ᵉ fils de mon père….
Voilà à peu près comment on se présenterait chez nous… Ce que je suis ou fais ne compte pas, ce que je suis ou fais honorera ou non ma famille, et lui sera compté.
Mais puisque je ne suis plus que dans ma société mais dans un monde global, je suis à présent guide de tourisme, présidant à l’association Vivre au village VIVAVI, qui a vu le jour depuis 2005 avant d’être reconnue officiellement en 2008. Depuis 2016, je suis aussi à la Présidence de l’association Gourmantour, qui est la faîtière du tourisme de la région de l’Est du Burkina Faso, le pays dont la valeur intrinsèque est l’intégrité. Mais avant, je fus instituteur, et avant… élève… et avant enfant…

Né dans la société gulmance, j’ai grandi aux sources du village où nous avons vécu, alternativement ensuite en ville pendant nos années scolaires.
Mon père était un des 3 premiers élèves de la ville de Fada N’gourma et ma mère a grandi au cœur des traditions royales chez son père SIMANDARI, le « mari du fer » comme son nom signifiait.

J’ai donc grandi au cœur d’une double culture, et dans un milieu en pleine mutation.

De mon milieu, j’ai appris nos totems, les interdits, les bons usages, l’histoire de ma famille, de mon ethnie et les hauts faits de nos rois depuis le fondateur Diaba LOMPO.

À l’école, nous avons appris à lire, à écrire, à parler le français et à pratiquer les usages de la culture française. Et nous étions christianisés.
Si chez nous, toute connaissance était livrée « quand ton âge arrivait » et dans ta famille ou dans le clan, à l’école, nous étions indifféremment de l’âge, du milieu d’origine, soumis au même programme rigoureusement dispensé selon des horaires précis dans l’année.
Et nous pouvions nous-mêmes enrichir nos connaissances par des lectures personnelles et des exercices renforcés.
Et j’aimais l’histoire très jeune. Grand lecteur, nous n’avions cependant que majoritairement accès aux auteurs français et occidentaux…
Au terme de mes années scolaires en terminale, je savais plus de l’histoire occidentale et française en particulier que de l’histoire de mon propre peuple, très peu écrite et devenue inaccessible car nous ne conversions plus tant que ça avec nos parents… Nous étions devenus nous-mêmes « des blancs noirs » comme disent les villageois, de ceux qui sont allés à l’école.

EA : Mais alors quelle vision des blanc.hes avais-tu ou as-tu ?

L’image du blanc que nous avions il y a une trentaine d’années était franchement hostile ; c’était l’esclavagiste, le colon, l’exploiteur économique, le raciste, celui qui maintient les autres peuples sous conditions, cruel et félon…Même si, bien entendu, c’était aussi le détenteur de techniques et de savoirs infaillibles, lui-même riche et infaillible. Le « blanc » gardait son mythe intact, le « presque dieu », le « dieu-même ».

Tout en le haïssant, nous nous efforcions cependant de lui ressembler… et nous rêvions tous d’aller en France, pour nous autres colonisés français.

Et c’est dans ce contexte que j’ai rencontré le français, d’abord dans le travail associatif, puis en amitié. Et peu à peu, il m’est apparu humain…
Et j’ai compris que nous étions tous, de tous les peuples de la terre, les mêmes hommes quant à leur condition. Seules nos visions différaient, nos manières de voir les choses, les techniques et les méthodes auxquelles nous recourions pour résoudre nos problèmes et problématiques, ce que chacun estimait essentiel pour lui surtout.

La méprise m’est apparue évidente, tant que nous ne conversions pas entre peuples comme des frères, tant que nous « rencontrions l’autre » en l’idéalisant ou en le diabolisant, nous passions à côté du privilège de « connaître » l’autre.
Car en réalité, « ce ne sont pas nos différences qui nous séparent, ce sont nos jugements ».

C’est ainsi que je me suis engagé dans les séjours au village. Et de 2008 à 2012, nous avons accueilli plus de 300 voyageurs vivavien·nes de tous âges et de toutes conditions…

EA : Vivavien·nes peux-tu préciser et présenter l’association Vivavi ? »

L’association Vivre Au Village fut créée en 2006 et reconnue en 2008 dans la région Est du Burkina Faso en Afrique de l’Ouest
Elle se veut une plateforme de rencontres, en vue d’échanges et d’actions interculturelles entre communautés du monde.
Pour cela elle organise des séjours solidaires et touristiques dans sa région et dans le pays, afin de faire vivre à travers les réalités locales, la diversité culturelle de ces « hommes intègres » du Burkina.

Grâce à cette dynamique, c’est tout un réseau d’acteur·rices qui interviennent à travers l’éthique et le partenariat VIVAVI et qui enrichissent humainement le séjour au-delà du « voir touristique » par ailleurs riche et varié.
VIVAVI conduit par ailleurs des actions de solidarité, projets et formations/informations au profit des femmes et enfants en particulier, et des populations en général selon les besoins vécus et les moyens disponibles.
Venir à VIVAVI c’est être le ‘tchano’, ‘l’hôte’ de VIVAVI.

L’équipe VIVAVI est désireuse d’échanges et garantit des séjours sécurisants en accompagnant ses hôtes pendant les séjours.
Entre séjours d’immersion, séjours socio-professionnels et séjours co-construits en amont avec les voyageurs, les possibilités sont nombreuses et ont ravi plus de 300 voyageurs conduits jusque-là par VIVAVI.
Si vous venez à VIVAVI, vous êtes nos « tchambas », nos hôtes. Vous vivrez et partagerez avec nous et nous nous édifierons les uns les autres.

EA : Merci pour cette présentation, j’aimerais que l’on échange sur la situation actuelle du Burkina Faso. En effet, depuis l’insurrection de 2014 et la chute de Blaise Compaoré (qui régnait depuis 27 ans) le Burkina Faso a subi de nombreux attentats et attaques terroristes dans la capitale, au Nord et à l’Est ; une des conséquences de ces attaques est notamment le déplacement de plus de 82 000 personnes – 558 décès – 446 civil·e·s et 112 personnes des forces de défense et de sécurité.
J’avoue, je ne comprends plus rien à ce qui se passe au Burkina, aux enjeux géopolitiques, aux stratégies des terroristes ni à celles des armées étrangères, peux-tu m’éclairer là-dessus, stp ?

Oui bien sûr, alors commençons par la zone sahélienne, partagée par le Mali, le Burkina et le Niger qui est une bande désertique d’accès difficile et longtemps peuplée par les Touaregs au Mali, les Peuls au Burkina et au Niger ainsi que les Berbères, populations qui n’ont pas eu accès ou peu aux systèmes éducatifs et autres services de l’État.

Très vaste et difficile d’y vivre, cette bande a toujours été une zone de non-droit où tous les trafics passaient, alcool, cigarettes, armes, drogues etc..
Même des autorités des différents pays trafiquaient avec ces bandes mais alors, il n’y avait pas encore de terrorisme en dehors des enlèvements de blanc·hes, menés par le groupe Al-Qaïda Maghreb Islamique.
Donc, c’était déjà un refuge de trafiquant·es, et qui s’est renforcé avec l’arrivée de groupuscules ultra violents suite à la guerre en Libye.

Tôt ou tard, c’était sûr qu’ils allaient évoluer vers un état autonome et incontrôlable.
Le Mali a démarré avec les revendications des Berbères et Touaregs autour de leur autonomie avec le projet Azawad [2], leur ancien territoire qui s’étendait justement sur les 3 bandes frontalières que je mentionnais plus haut...
Ils se sont alliés avec les terroristes donc avant de comprendre que ceux-ci avaient leur propre agenda.
Le Niger a toujours été sous pression du fait d’Areva [3] et du groupe Boko Haram [4].

Le Burkina a commencé à subir le terrorisme avec la chute de Blaise Compaoré, mais de toute façon, nous étions déjà sous l’œil du cyclone...
Je crois que, politiquement, il est permis de penser que cette situation arrangeait l’ancien régime (sous Blaise Compaoré), qu’il soit impliqué ou non, car il pouvait décrier le nouveau régime et se présenter en sauveur...

Mais la situation a échappé à tout le monde...

EA : Peux-tu préciser en quoi cette situation arrangait l’ancien régime de Blaise Compaoré ?

Je veux dire que le terrorisme est monté en puissance au Burkina après le départ de Blaise Compaoré.
Le problème est qu’actuellement, beaucoup de groupes terroristes opèrent, d’obédiences différentes et donc avec des cibles différentes.
Les groupes extrémistes, veulent établir une sorte d’état et donc font tout pour chasser l’administration de ces zones.
Et les trafiquant·es, eux, font des attaques ciblées sans doute juste pour protéger leur zone d’influence et de trafic.
Il y a ensuite les populations locales, Peules, Berbères, Touaregs, musulmanes en majorité, et qui sont plus ou moins complices, plus ou moins otages.

Ce sont des populations longtemps nomades, et qui ne se sont pas toujours bien entendues avec les agriculteurs.rices sédentaires.
Il faut dire que les autochtones les ont toujours considéré·es comme des sous-classes, et réciproquement, même s’il n’y avait pas de guerre ouverte... Au fil du temps et de la cohabitation, chacun·e tolérait l’autre.
Idéologiquement on peut comprendre que ces populations soient d’abord attirées par le langage des terroristes nommés par l’occident en tant que « djihadistes » [5], y voyant l’occasion de s’émanciper et de vivre selon une des interprétations erronées et détournées des lois islamiques.
Ce qui en fait une base de recrutement.

L’une des conséquences de cela c’est que l’opinion publique burkinabé amalgame les groupes terroristes d’origine et les populations nomades (Berbères, Peuls et Touaregs). Sachant que dans la réalité certaines personnes se trouvent réellement enrôlées par les terroristes et d’autres souhaiteraient se rebeller mais ne le peuvent pas au regard de la situation. De fait lorsque les attaques ont touché des autorités coutumières (les chefs de villages ont été assassinés), les populations autochtones ont réagi en attaquant des villages Peuls (plusieurs centaines), ce qui a fait craindre une guerre civile et qui a été médiatisé comme étant des guerres ethniques.
Tant l’attaque de mosquées que de lieux de culte chrétien sont à rattacher aux terroristes idéologiques [6] qui, sous couvert de l’utilisation de la religion musulmane, tentent de devenir souverains, c’est à rattacher avec ce qui se fait dans les pays arabes. Des divergences de confessions sans doute, les extrémistes mettant dans le même sac ceux/celles qui collaborent avec l’État qu’ils soient musulman·es ou non...

Donc, je crois que la situation échappe à tout le monde...

Il faut ajouter que quelques exécutions sont aussi le fait d’opportunistes qui règlent leurs comptes en les mettant à charge des terroristes nommés comme « djihadistes ».

Donc, je crois que cerner le problème a été long et compliqué pour le Burkina, les choses évoluant très vite, et la situation interne ayant été longtemps polarisée par les conflits politiques.

EA : Quelles sont les pistes pour avancer dans cette situation ?

A présent, même si la mesure est prise, les stratégies à mettre en place doivent évoluer et s’adapter, alors même que les moyens ne suivent pas.
Je crois que le G5 Sahel [7] a longtemps été la solution attendue mais ça tarde, les moyens financiers et logistiques n’ont pas suivi, aucun pays seul ne pouvant faire face au suréquipement des terroristes (eux-mêmes soutenus notamment par le monde occidental).

Et chaque pays doit s’armer et s’organiser pour combattre en attendant, le fait que le G5 Sahel ne soit pas effectif a des conséquences non négligeables pour les États (réorganisation financière, militaire...) avec des manques de moyens cruels ; et donc le développement de ces pays connaît une récession liée à la réorientation des financements, les populations locales sont directement impactées (écoles fermées, services de santé fermés, déportation des populations, fin du tourisme…). Une situation géopolitique compliquée donc. »

Notes

[1Association Burkinabè située à Fada n’Gourma promouvant la culture traditionnelle

[2Azawad : projet d’un territoire autonome pour/ par les communautés notamment Touareg – Le territoire Azawad : anciennement connu comme une zone de transhumance au nord de Tombouctou. Au sens restrictif du terme, il regroupe tout le nord du Mali à l’exception des terres au sud du fleuve Niger. Pour le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), il s’agit de tout le nord du Mali, de Mopti à Tin-Zawaten et de Ménaka à Taoudenni.

[3Areva : projet d’exploitation d’uranium par l’entreprise française nommée Areva qui ne bénéficie pas aux autochtones.

[4Groupe terroriste principalement installé au Nigeria, lire : https://www.ritimo.org/Boko-Haram-ou-la-strategie-de-la-terreur.

[5Le terme Djihad (littéralement l’effort, l’abnégation, la lutte en arabe) fait référence aux efforts fournis par un-e musulman-e dans l’apprentissage et l’application dans sa vie quotidienne d’une droiture vis-à-vis des préceptes islamiques. On parle donc très communément de « djihad an-nafs » (lutte contre soi, contre son égo). Quant à la dimension de résistance guerrière du djihad, elle existe mais est très codifiée et n’a strictement rien à voir avec ce à quoi on assiste notamment au Burkina Faso et dans d’autres endroits du monde aujourd’hui et qui pourtant est appelé « Djihad » / « Djihadistes ».

[6Terroristes idéologiques : personnes ou groupes de personnes qui utilisent/ instrumentalisent des textes/ des fois à des fins d’imposer des manières de vivre, de penser auprès des populations mais dans leurs intérêts propres (Ex : Boko Haram qui fait de la propagande très forte en instrumentalisant la religion musulmane pour imposer des zones où ils ont le pouvoir).

[7G5 Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad : suite à a guerre au Mali le G5 Sahel a été mis en place pour contrer les menaces terroristes, constitué des forces de défense de ces 5 pays, une armée communes devait être formé et équipé pour suppléer à la force française Barkane.