Démocraties sous pression. Autoritarisme, répression, luttes

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Capitalo·techno·craties : 50 nuances de surveillance

, par Khrys

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Sur un mur de Marseille, une œuvre de street art illustre la limitation à la liberté d’expression par la surveillance constante. Crédit : Caroline Weill (CC BY SA)

Depuis les révélations d’Edward Snowden en 2013, il n’est plus possible de nier le système de surveillance globale mis en place par la NSA. Des alliances entre États (telle celle des Five Eyes – alliance des services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis) permettent de contourner les lois garantissant les droits des personnes et d’effectuer des analyses de réseaux sociaux extrêmement détaillées sur leurs citoyen·nes. La France n’est pas en reste et s’affirme experte en matière de techniques de renseignement, qu’elle exporte très volontiers, tout particulièrement en Afrique. [1] Réciproquement, elle pourra utiliser les services d’entreprises étrangères, en particulier états-uniennes : quelques semaines après l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, Palantir ouvre ainsi une filiale française et conclut un accord avec la DGSI.

Que s’est-il donc passé, pour que des « démocraties » comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France développent et utilisent le même type d’outils de contrôle de leurs populations (reconnaissance faciale, biométrie, drones, surveillance et fichage à grande échelle…) que des systèmes autoritaires comme la Chine, la Russie ou les dictatures arabes ?

On remarque d’abord que ces États ne sont pas stricto sensu des démocraties et ne l’ont jamais été. Le concept de démocratie « représentative » est déjà, en lui-même, une négation de la notion de démocratie. [2] Nos « démocraties » occidentales sont en réalité des oligarchies assez proches, pour certaines, d’États policiers. [3] Nos « représentant·es » sont ceux du système en place et le pouvoir, en système capitaliste (puisque le capitalisme est devenu en à peine deux siècles le système économique de la plupart des pays de la planète), c’est l’argent. Exemple caractéristique parmi d’autres, en France, les médias dominants (dont le rôle majeur dans les élections et plus généralement dans la fabrique de l’opinion n’est plus à démontrer, surtout depuis les dernières présidentielles) sont possédés par une petite dizaine de milliardaires. On a également une pensée pour le fonds de pension Black Rockdont des représentant·es ont été royalement reçu·es par l’Élysée à l’heure de la réforme des retraites. [4] Un degré au-dessus des grands patrons français facilitant en quelques mois l’accès de l’actuel président au pouvoir grâce aux médias qu’ils contrôlent, nous trouverons Cambridge Analytica, entreprise qui favorisa, outre l’adoption du Brexit en Grande-Bretagne, l’élection de Trump aux États-Unis, en ciblant des populations de votants « indécis » et en les bombardant d’infox afin de les faire basculer du bon côté.

La révolution industrielle et le développement d’entreprises au niveau supranational ont conduit au développement d’outils techniques toujours plus puissants de calcul, gestion et diffusion de l’information (ordinateurs, bases de données, réseaux télécom, etc.) : un ordinateur, c’est à la fois un outil de rangement (une machine pour faire de l’ordre), de fichage (on parle de fichiers, que l’on range dans des dossiers…) et de calcul (computer) – tout ce qu’il faut pour bien diriger une entreprise ou un État. Les techniques déjà bien rodées du management, [5] du renseignement-espionnage et de la propagande publicitaire [6] ont pu opérer, grâce à ces nouveaux outils, un saut quantitatif et qualitatif tant au niveau de la récolte que du traitement des données, induisant un véritable changement d’échelle en termes de contrôle (que ce soit par la manipulation ou la contrainte) des populations. Il n’aurait pu y avoir de Big Data sans Big Databases ni de Big Brother sans Big Tech.

À titre de comparaison, les moyens effectifs dont dispose actuellement la NSA se situent neuf ordres de grandeur au-dessus de ceux de la Stasi qui, soumise à l’embargo des pays de l’Ouest, continua à classer des fiches bien matérielles dans des dossiers tout aussi matériels jusqu’en 1989, à l’époque où Tim Berners-Lee inventait le web… L’informatique est en effet longtemps restée le quasi-monopole des capitalocraties occidentales [7] (pointons en passant le rôle peu glorieux d’IBM pendant la Seconde Guerre mondiale dont la technologie de cartes perforées permit, outre le management des camps d’internement des Nippo-États-unien·nes, également celui des camps nazis…).

Le système capitaliste, grand vainqueur au niveau mondial, ne pouvait que continuer à obéir à sa logique interne : maximiser toujours plus les profits, rechercher toujours de nouveaux moyens de croissance. Or, à partir des années 1970, la crise pétrolière, succédant aux Trente Glorieuses, lança la quête vers de nouvelles ressources. Ce fut la ruée vers ce nouvel or noir que sont les données personnelles, avec l’avènement progressif des [techniques d’extraction [8] et d’analyse afférentes->https://fr.wikipedia.org/wiki/Big_data] dont les nouveaux gadgets technologiques (puisqu’il en faut toujours de nouveaux, toujours plus éphémères, selon cette idéologie maladive de la croissance sans fin et du progrès qu’on ne peut raisonnablement arrêter) sont les premiers « aspirateurs » (on pense aux smartphones, aux « assistants personnels », bientôt aux voitures, et plus généralement à tous ces « objets connectés » dont on tente de nous convaincre chaque jour qu’ils nous sont absolument essentiels). Notons que l’abandon des mesures contre les monopoles aux États-Unis a favorisé, pile au moment où les technologies autour du numérique et d’Internet étaient en plein boom, la formation des géants de la tech tels que nous les connaissons aujourd’hui [9] – et sur lesquels nous avons parfois tendance à rejeter toute la faute, alors que c’est sur le système (capitaliste) qui les a produits qu’il faudrait concentrer nos critiques. [10]

Soulignons que, lorsqu’une entreprise commence à avoir une emprise suffisamment forte sur une population, un réseau ou un marché, les États se tournent naturellement vers elle pour récupérer les informations dont ils ont besoin (par exemple, la NSA dispose d’accès directs aux données hébergées par les géants de la tech ; en France, le déploiement de « boîtes noires » sur le réseau des hébergeurs et des opérateurs a été approuvé) : il existe donc un double potentiel d’exploitation, à la fois économique et politique, des nouveaux outils de surveillance. Il s’agit, dans les deux cas, de mieux contrôler, de manière à perpétuer le système (maintien de la croissance, maintien du pouvoir).

Et, comme la logique du capitalisme est de tendre vers toujours plus de profit, que la logique du pouvoir est de tendre vers toujours plus de contrôle, qu’il existe une sorte de force de gravitation de l’argent qui, sans garde-fous, tend à s’accumuler de plus en plus en de moins en moins de mains, que les garde-fous sont en conséquence progressivement mais systématiquement levés, [11] on assiste ces dernières années, à la suite de ce changement d’échelle lié à la technique et de cette mutation du capitalisme au contact d’outils toujours plus performants, à un emballement de la machine par rétroaction positive : toujours plus de données supposent toujours plus de surveillance, de capacité de stockage et d’analyse, et le développement de techniques toujours plus intrusives dans l’intimité des personnes.

Ce tableau (noir) ayant été très succinctement brossé, venons-en à la question qui fâche : est-ce vraiment si grave ? Après tout, quoi de plus « normal » qu’on ait un petit prix à payer pour toutes ces merveilleuses technologies qui ne cessent d’améliorer notre quotidien dans tous les domaines, d’autant que l’information obtenue par la surveillance permet, d’une part, l’enrichissement et le perfectionnement de notre « expérience utilisateur » et, d’autre part, un meilleur contrôle, et par conséquent un meilleur fonctionnement, de l’entreprise ou du pays ?

On pourrait s’en tirer simplement en allant interroger à ce sujet (par exemple) les militant·es écolo [12] ou les Ouïghours. Mais tentons une analyse un peu plus poussée, à la fois au niveau individuel et collectif, des conséquences à plus ou moins court terme d’une telle surveillance de masse.

Avec cette nouvelle source de profit des données personnelles, les individus deviennent à la fois sujets et objets, consommateurs et produit de consommation – consommateurs et consommés. On n’observe plus uniquement un individu en tant que tel mais aussi en tant que prototype : l’objectif étant de parvenir à prédire les comportements, et par là peaufiner les techniques de ciblage, d’influence – de consentement ou d’addiction.

L’extraction des données personnelles conduit à une surexposition continuelle des personnes : éclairées de toutes parts, observées sous toutes leurs facettes, elles en viennent à perdre leur part d’ombre, et avec elle, leur profondeur (un tableau sans ombre, c’est un tableau plat). On s’habitue à la surveillance, à être transparent·e. Transparence du verre des openspaces, écrans sans tain derrière lesquels on télé-travaille en permanence (même sans key-logger) pour les grandes entreprises qui nous surveillent (trackers sur les sites, systèmes d’exploitation intrusifs). Et comme les informations fournies par les données personnelles peuvent avoir des répercussions absolument non négligeables sur l’emploi, le crédit, les assurances, etc., cela conduit à une normalisation des comportements même si on n’habite pas dans un pays au régime aussi autoritaire que celui de la Chine. Les personnes finissent par se mettre littéralement « en scène », en particulier sur les réseaux sociaux, afin d’optimiser les « récompenses » (likes, « ami·es », etc.) et peaufiner leur graphe social. Cela demande un investissement de tous les instants, d’autant que les outils emploient des techniques favorisant l’addiction, afin que les personnes restent le plus longtemps possible sur leur plateforme (concept d’« économie de l’attention » qui traite le temps et l’attention des consommateur·rices comme une ressource rare dans un contexte d’offre abondante).

Perte de profondeur, de temps, et aussi de complexité, car la numérisation implique une simplification de l’individu qui doit pouvoir être rangé dans des cases. L’étape d’après étant d’inciter l’individu à se simplifier, lui et les contenus qu’il produit, afin de pouvoir être rangé dans des cases (par exemple, les « bons » articles, ceux qui seront correctement référencés sur le moteur de recherche de Google, devront obéir à un certain nombre de critères-contraintes). Cela conduit à un appauvrissement des contenus, à la fois dans la forme et le fond ainsi qu’à un éclatement-morcellement de l’individu. Ce ne sont plus des humain·es que l’on traite, mais des sortes d’assemblements monstrueux aboutissant à une image nécessairement réductrice et déformée de la personne initiale. Cette fragmentation a été récemment accentuée par l’isolement physique des personnes : la société sans contact mise en place par la crise du Covid se confine toujours plus dans ses bulles de filtre. Le tout étant traité par des algorithmes finalement assez bêtes et d’autant plus biaisés qu’ils sont majoritairement codés par une population masculine, blanche et généralement issue des classes aisées. Pourtant, ces mêmes algorithmes prétendent nous connaître mieux que nos proches, voire nous-mêmes et, par conséquent, être à même, d’une part, d’influencer nos comportements de manière significative et, d’autre part, de décider si l’on doit nous « punir » avant même que l’on soit éventuellement « coupable » dans les faits : on calcule ainsi la probabilité d’être en mesure de rembourser un crédit, le risque de contracter une maladie ou de commettre un crime.

Or on a beau tenter de contrôler son identité numérique, certaines données restent difficilement maîtrisables : celles de santé (prisées tout particulièrement par les assurances et les employeurs), d’orientation sexuelle, religieuse, politique ou militante (plus ou moins critiques suivant les pays). C’est parfois à cette occasion que l’on peut découvrir que l’on a bien des choses à cacher (y compris au « pays des droits de l’Homme », où certains décrets commencent à être poussés au nom de la sécurité publique).

D’autant que les données personnelles peuvent très facilement tomber en d’autres (mauvaises) mains : que ce soit celles de militant·es d’extrême droite allemande récupérant des fichiers de la police ; d’un conjoint abusif (les outils permettant d’espionner un ordinateur – ordiphone – activités en ligne, faisant florès), de « pirates » exploitant les trop nombreuses failles de sécurité des objets connectés (caméras de surveillance, assistants vocaux, etc.) ; de larges bases de données accessibles en clair sur Internet (ou presque, faute de sécurisation suffisante), ce qui peut ensuite mener à des chantages pour que les données récupérées ne soient pas plus amplement diffusées…

Mais quels que soient les mauvais côtés de ces gadgets que l’on nous fourgue à prix d’or et qui durent toujours moins longtemps (obsolescence programmée), il n’est pas question d’arrêter d’en produire. Ce serait comme demander d’arrêter le progrès ! Naturellement, il s’agit de problèmes temporaires que les améliorations de la technique finiront par résoudre (logique qu’exprime l’idée de « techno-solutionnisme ») – tout comme les déchets nucléaires ou le réchauffement climatique.

Cerise sur le gâteau en termes de contrôle : Internet ! Ce sont des routes imposées et il n’y a rien en dehors : cela diminue d’autant les possibilités de prises de maquis. Le territoire numérique est ainsi théoriquement [13] beaucoup plus facile à maîtriser que le territoire physique (il « suffit » de contrôler les routes). Raison supplémentaire pour scander le TINA technologique : numérisation forcée, « dématérialisation » toujours plus poussée, déplacement du centre de la production toujours plus vers l’intérieur et l’intime des personnes (pour mieux te connaître, mon enfant). La crise du Covid est en cela exemplaire : elle a permis de forcer en quelques mois la généralisation du télétravail et du télé-enseignement, profitant de la vulnérabilité des populations pour imposer les techniques de télé-surveillance afférentes.

Après la carotte des nouveaux gadgets technologiques qui ont commencé à habituer la population à la surveillance, la faisant accepter comme, sinon normale, du moins inévitable (TINA !) pour qui souhaite bénéficier des bienfaits du progrès, on commence donc à se prendre le bâton. À partir du moment où une suffisamment large majorité de personnes est convertie, [14] on peut commencer à imposer les techniques aux autres (qui, si elles refusent, deviennent automatiquement suspectes : auraient-elles quelque chose à cacher ? [15]). Ce qui conduit à une mise à l’écart (et à l’index) toujours plus marquée des « brebis galeuses » qui ne souhaitent pas se conformer au système : celles sans profil Facebook, sans smartphone, voire sans connexion Internet, auxquelles on rend la vie quotidienne de plus en plus difficile – il faut bien résoudre la « fracture numérique » ! Le système décide ainsi de qui fait ou ne fait pas partie de la société, le but étant de resserrer toujours les mailles du filet, qu’il n’y ait à la fin, idéalement, plus d’échappatoire. Ainsi, en Chine, payer avec son smartphone est déjà obsolète : le must est de le faire directement avec son visage, ce qui nécessite de relier son compte bancaire à ses données biométriques.

D’autant qu’à mesure que les défauts du système se font plus visibles (réchauffement climatique, augmentation massive des inégalités, épuisement des ressources de la planète, destruction de paysages et écosystèmes, etc.), les résistances s’intensifient. Or l’une des caractéristiques de la nouvelle politique néolibérale est le passage en force. On ne négocie plus et la crise est le meilleur moment d’agir : on peut y voter des lois par procédure accélérée au motif de l’urgence (sanitaire ou terroriste, même « combat »).

Une campagne d’Electronic Frontier Fondation illustre la conscience de masse face à la surveillance de masse. Crédit : EFF (CC BY 2.0)

Intensification du contrôle, donc. Mais accentuation du déséquilibre, aussi (et les deux vont évidemment de pair) : l’une des conséquences des techniques de l’économie de l’attention est en effet la multiplication des contenus extrêmes – qui alimentent, bulles de filtre obligent, à leur tour les séparatismes, extrémismes et complotismes de tous bords. À cela s’ajoute la gestion catastrophique des crises (conséquence logique de la destruction des outils sociaux : hôpitaux, organismes d’aide, éducation, etc.) qui entraîne une perte de sens et de compréhension d’une grande partie de la population face aux apparentes [16] incohérences de leurs gouvernants (et censément représentants), la crise du Covid étant ici encore particulièrement symptomatique (on remarque qu’en France, en pleine pandémie, on continue de supprimer des lits d’hôpitaux).

« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise », disait Bertolt Brecht. Or la crise, c’est précisément le temps du néolibéralisme. On craint toujours que les outils ne tombent entre de mauvaises mains : et s’ils y étaient déjà ? À l’heure où, en France, on fait désormais ouvertement l’éloge de Pétain, on peut se le demander.

Alors, que faire ? On aura compris que le problème est systémique : il faut donc chercher à bâtir des solutions reposant sur des systèmes alternatifs.

Remarquons que les nouvelles technologies, si elles nous engluent dans la surveillance, peuvent également nous procurer des moyens de lutte extrêmement efficaces, en particulier en termes de sous-veillance ; or si le pouvoir c’est le contrôle, en « démocratie », le contrôle doit être exercé par le peuple.

Et on observe aujourd’hui un basculement des forces en ce domaine : avec la généralisation d’Internet, le développement d’outils « de poche » (smartphones, caméras gopro, etc.) et de techniques de streaming en direct sur des plateformes dédiées, des individus lambda peuvent désormais filmer, photographier, témoigner et diffuser instantanément des contenus à relativement large échelle, ce qui met à mal les techniques de propagande habituelles du pouvoir. Jamais auparavant, les violences policières n’avaient été aussi clairement mises en lumière alors qu’elles existaient déjà depuis belle lurette [17] ; jamais les médias dominants n’avaient été autant débordés par l’expression populaire sur les réseaux sociaux ; à présent, on s’informe en priorité sur Internet, la communication officielle s’avère plus difficile à imposer, l’invisibilisation et la censure deviennent de véritables gageures face à l’effet Streisand.

Mais l’étau est en train de se resserrer ; on assiste par exemple en France à l’écriture de textes de lois toujours plus liberticides cherchant à reprendre le contrôle sur ce formidable terrain d’expression qu’est Internet (« haine » et anonymat en ligne, règles de modération très strictes imposées aux plateformes, coups de boutoir contre le chiffrement des messageries instantanées ou plus généralement contre le chiffrement de bout en bout, etc.). [18] Le débat autour de la liberté de filmer les forces de l’ordre est en cela extrêmement caractéristique : on a peine à comprendre que la question puisse seulement être posée en « démocratie ». [19]

Outre continuer de se battre au niveau du contentieux, afin de ralentir la casse et si possible établir quelques nouveaux solides garde-fous (et on note parfois de belles victoires : par exemple, celle à la CJUE en octobre 2020 sur la rétention globale des données ou, plus récemment encore, celle sur les drones), il est d’un intérêt vital de construire des alternatives aux plateformes et réseaux développés par les grandes entreprises, dont les fins sont économiques et par conséquent, malgré les déclarations de principe, souvent contraires à la protection des droits des individus, la liberté d’information ou la liberté d’expression : on le voit actuellement avec les censures toujours plus fortes exercées, entre autres, sur Facebook ou Twitter.

Multiplier, autant que possible, les routes est l’un des objectifs à poursuivre, afin de diminuer les « nœuds d’étranglement » du réseau et donc la censure par coupure. Mieux les contrôler collectivement, également. Lutter pour le développement de réseaux construits et gérés par et pour la population (Freifunk, Guifi‧net, FFDN, etc.). Se protéger sur les réseaux existants (Tor, Tails, chiffrement des communications, etc.) ; développer des médias indépendants (en particulier financièrement), des réseaux sociaux fédérés et interopérables (Mastodon par exemple), des plateformes alternatives (comme PeerTube), des hébergeurs basés sur d’autres modèles que la recherche de profit : solidarité, neutralité, partage des connaissances (CHATONS).

Plus globalement, des alternatives viables au système dominant pourront, en essaimant, faire suffisamment masse pour changer la donne : réseaux communautaires (AMAP, coopératives), associations d’entraide et de partage (GULL, repair cafés, hackerspaces). L’idée est toujours de reprendre le contrôle, tant individuellement que collectivement : de son environnement, de sa nourriture, de sa connexion Internet, de ses données, de son informatique, de ses appareils.

Il s’agit véritablement d’entrer en résistance [20] : contre un système malade qui est en train de s’effondrer et qui devient d’autant plus dangereux. Nous sommes à un moment de convergence de différentes luttes : pour les libertés et le droit à une vie qui ne soit pas uniquement circonscrite au travail ou à la simple survie, les droits de chacune et chacun en tant que personne humaine, la protection de la planète, de sa faune et de sa flore. Il nous faut affirmer le collectif et l’autonome, reprendre confiance, et arrêter de se reposer sur des élites coupées de la réalité dont les dogmes paraissent de plus en plus questionnables. Quitter la dictature de la croissance et du progrès à tout prix. Revoir nos valeurs et ce qui fait vraiment sens, à long terme. Développer une éducation populaire pour contrer l’idéologie dominante (réseau ritimo, conférences gesticulées, etc.). Inventer de nouvelles formes de résistance et fluidifier nos luttes. Déborder de ce cadre étriqué dans lequel on cherche à nous ranger. Ne pas se laisser confiner dans la virtualité. Se réapproprier les outils, les détourner à notre avantage. Partager nos expériences, s’inspirer de celles des autres (Catalogne, Black Panthers, Grèce, [21] Rojava, [22] Chiapas, [23] etc.). Montrer que d’autres voies existent, les rendre visibles, par tous les moyens possibles (manifs, sites, tags, articles, affiches, vidéos… parapluies [24] !).

Une chose est sûre. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.