L’agroécologie est-elle une alternative crédible à l’agriculture productiviste ?

Une évolution vers l’agroécologie déjà en cours : l’exemple de Cuba

, par CDTM-Monde Solidaire La Flèche

Au lendemain de la révolution de 1959, le gouvernement cubain a adopté le modèle de développement agricole promu par la révolution verte : introduction massive de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques, de tracteurs, de semences hybrides et de systèmes d’irrigation à grande échelle.
Près de 90 % des terres agricoles sont alors occupées par des monocultures intensives, principalement de canne à sucre, pratiquées par de vastes fermes d’État et largement orientées vers l’exportation en direction du bloc soviétique. De ce dernier, Cuba importe produits agrochimiques et pétrole. Ce développement des cultures commerciales se fait au détriment de l’agriculture vivrière qui est pratiquée surtout par de petits paysans, devenus propriétaires de leurs terres à l’issue de la Réforme Agraire et pour la plupart membres de coopératives. Elle ne répond pas aux besoins de la population couverts à 60 % par les importations, à la fin des années 1980. L’agriculture et la sécurité alimentaire de Cuba dépendent donc fortement, à cette époque , du commerce extérieur.

Au début des années 80 , après l’effondrement du bloc soviétique, Cuba perd son principal partenaire commercial et connaît une grave crise économique et sociale, aggravée par le durcissement du blocus américain. En 2 ans, le PIB chute de 38 %, le commerce de 75 %, la population souffre de malnutrition ; la ration alimentaire baisse de 20 % en calories et de 27 % en protéines. Face à cette crise, le gouvernement met en place une "période spéciale en temps de paix" caractérisée par des mesures d’austérité et des réformes visant à préserver l’économie de l’île afin de sauver le système révolutionnaire.
Cuba doit alors réorienter son agriculture et donner la priorité à la production d’aliments dont les structures et les méthodes sont modifiées pour parvenir à une augmentation.

Ferme urbaine à Cuba. Photo prise le 4 août 2006 par David Williams Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Une série de politiques de décentralisation agraire encourage alors des formes de production individuelles et collectives. 80 % des fermes d’État sont fractionnées et transformées en coopératives autogérées pour fournir en aliments les institutions (hôpitaux, écoles, jardins d’enfants) dont le reliquat peut être vendu librement. De plus, des terres cultivables en friche sont confiées en usufruit à de nouveaux exploitants pour augmenter la production locale et, en 1994, sont créés les marchés ruraux où peuvent être vendus les surplus des coopératives et des petits paysans.
Enfin, l’agriculture urbaine qui s’est développée spontanément, au début de "la période spéciale", est ensuite encouragée par l’État qui distribue des terrains vacants à qui veut les cultiver. Son développement est très rapide : aujourd’hui, Cuba compte près de 400 000 exploitations agricoles urbaines qui couvrent 70 000 hectares jusque-là inutilisés et qui produisent 1,5 million de tonnes de légumes.

Les changements opérés dans les structures de production répondent, entre autres, à la volonté de produire et de vendre localement les produits alimentaires. Cette relocalisation de l’alimentation s’accompagne de nouvelles méthodes de production qui sont adoptées progressivement, par nécessité d’abord. L’agriculture industrielle n’étant plus possible, il faut revenir à une agriculture plus traditionnelle et plus écologique : emploi de la traction animale, de certaines méthodes agroécologiques comme la rotation des cultures et le contrôle biologique des nuisibles.
Devant des résultats encourageants, l’ANAP (association nationale des petits producteurs) décide de généraliser l’agroécologie pour l’alimentation de la population. La diffusion des méthodes agroécologiques se fait selon la méthode CAC (Campesino à Campesino) à partir de 1997 ; c’est une méthode participative de transmission de savoirs et de méthodes agroécologiques entre petits paysans. Le succès est immédiat : le mouvement compte 200 familles en 1999 et 10 ans plus tard 110 000 familles sur un total de 350 000. A l’heure actuelle, l’agroécologie fournit 65% de l’alimentation alors qu’elle ne couvre que 25 % des terres agricoles. Dans les villes, seule l’agroécologie est autorisée ; à La Havane, elle fournit 50 % de la population en fruits et légumes, le reste étant assuré par les coopératives de la province de La Havane.

Ces chiffres prouvent l’efficacité productive de l ’agroécologie qui, bien que certains dirigeants continuent à préférer des systèmes agricoles conventionnels financés par la coopération internationale, constitue un facteur important de la souveraineté alimentaire des Cubain.e.s.