L’espace libyen : Plaque tournante de l’Afrique

Un espace migratoire mal régulé

, par Bioforce

Les ballets diplomatiques

Depuis l’appel à la main d’œuvre étrangère à partir des années soixante, la question migratoire n’a pas cessé d’être remise en cause par Mouammar Kadhafi faisant des migrants « des instruments des relations diplomatiques ». Les aléas de la politique étrangère ont eu des conséquences directes sur le sort de plusieurs milliers d’immigrés soulignant ainsi la mauvaise gestion de l’espace migratoire.

La main d’œuvre étrangère, massive et variée, représente plus de la moitié de la population active dans les années quatre-vingts. Ces travailleurs migrants proviennent principalement de pays arabes : l’Egypte et la Tunisie. Mais la dégradation des relations avec Le Caire et Tunis et la chute du prix du baril de pétrole provoquent dans les années suivantes plusieurs phases d’expulsions (80 000 personnes expulsées de Libye en 1985). Cependant Tripoli a toujours besoin de cette main d’œuvre étrangère.

A partir des années quatre-vingt-dix plusieurs événements bouleversent la donnée migratoire libyenne : la chute du régime soviétique et la nouvelle configuration des relations internationales entraînent une modification des flux migratoires. Mais l’événement qui aura le plus de répercussions sur l’économie du pays et en conséquence sur la politique migratoire, est la mise sous embargo international de la Libye en 1992, suite à sa participation présumée aux attentats contre deux avions de ligne. Le taux de chômage élevé combiné aux difficultés du pays pousse à restreindre l’entrée de travailleurs étrangers ; ainsi plus de 300 000 personnes quittent la Libye soit de leur plein gré soit poussés par Tripoli. La politique panarabique menée par la Libye ayant échoué à cause de l’embargo (le Maghreb soutient la décision de l’embargo contre la Libye), la Libye se tourne alors vers les pays africains et se veut le chef de file de ce nouveau panafricanisme, dès 1998, en prônant la libre circulation des biens et des personnes et l’ouverture des frontières.

Après avoir été majoritairement arabe, la population étrangère tend à devenir subsaharienne (60 000 Africains en 1995 et 1,5 million en 2000), elle se compose aussi d’un nombre important de réfugiés en provenance de Palestine, du Soudan, de Somalie ou encore de l’Érythrée.

Malgré « l’élimination des frontières », concept érigé par Kadhafi lui-même, des décisions d’expulsion sont prises à cause des « positions internationales des Etats dont sont originaires les ressortissants expulsés ». Ainsi, 30 000 réfugiés palestiniens subissent le refus de Kadhafi des accords d’Oslo ; ensuite ce sont plus de 200 000 Soudanais qui sont expulsés du sol libyen à cause de la dégradation des relations entre Khartoum et Tripoli. Dans le même temps, une délégation libyenne se rend à Bagdad, en Irak, pour inciter les Irakiens à venir travailler en Libye. Force est de constater qu’en matière d’immigration, la Libye se comporte comme une véritable girouette et comme un Etat raciste et esclavagiste.

Les conditions des migrants

Selon la Constitution libyenne de 1969 « l’expulsion de réfugiés politiques est interdite », la loi de 1991 appuie le fait que « la Libye encourage les oppressés et les défendeurs de la liberté et elle n’abandonnera pas les réfugiés en leur accordant une protection ». La Libye possède très peu de textes de lois concernant le statut des personnes étrangères puisqu’elle les considère toutes comme des migrants économiques et ne fait pas la distinction entre réfugiés et demandeurs d’asile. La Libye n’a signé ni la convention de Genève de 1951 sur la protection des réfugiés ni son protocole de 1967 mais elle a ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant. Bien qu’elle ait ratifié de telles conventions, la Libye a toujours expulsé des personnes dans leur pays d’origine sans pour autant savoir si elles couraient un risque pour leur vie.
Cependant la Libye ne possède aucun organe juridique permettant d’accorder l’asile puisque selon les officiels « aucun réfugié ne voudrait réclamer l’asile en Libye ». Le système politique n’étant pas pourvu de cet organe il est donc impossible pour les réfugiés de faire une demande d’asile.

Un tel manque de considération vis à vis des migrants entraîne une méfiance latente de la population libyenne accentuée par les déclarations du gouvernement. Ce dernier accuse les migrants d’avoir apporté avec eux la criminalité, la prostitution et les maladies sexuellement transmissibles, le trafic de drogues et l’insécurité. Tous ces maux stigmatisent une population qui subit de graves attaques comme celle de septembre 2000 à Zawiya, à l’ouest de Tripoli, où un groupe de Libyens a provoqué une émeute entraînant la mort d’une centaine de personnes provenant du Soudan et du Tchad.

Face à des conditions de vie aussi difficile la plupart des immigrés ne considèrent plus la Libye comme un pays d’immigration mais comme un pays de transition vers l’Europe. Olivier Pliez, dans son article De l’immigration au transit, estime que la Libye est devenue « une antichambre de l’émigration africaine vers l’Europe ». L’embargo imposé à ce pays a entraîné la dévaluation de sa monnaie et le glissement de pans entiers de son économie vers le secteur informel. Ajoutées à la politique panafricaine de Kadhafi, ces évolutions ont changé le visage de l’immigration en Libye. Pour répondre aux besoins de ces immigrés, une sorte d’« économie de transit » a vu le jour. Les villes de Koufra et de Sebha, aux confins du Sahara, sont aujourd’hui les plaques tournantes de l’émigration africaine vers l’Europe et du commerce informel inter africain.