Multinationales : les batailles de l’information

Sommaire du dossier

« Procès bâillons », ou comment intimider les voix critiques

Poursuites (ou menaces de poursuites) contre des militants syndicaux, des lanceurs d’alerte, des activistes locaux, des journalistes ou des auteurs de livres… Certaines entreprises n’hésitent pas à recourir à l’intimidation juridique pour faire taire les critiques. Ce type de procès est désigné en anglais par l’acronyme SLAPP (strategic lawsuit against public participation, procès stratégiques contre la participation publique). En France, on parle de « procès bâillon ». Ces poursuites se basent fréquemment sur le droit de la diffamation, du préjudice moral ou de la protection des marques. Pour les firmes impliquées, elles ont le double avantage d’intimider les critiques, mais aussi de détourner l’attention du public des faits que ces critiques entendaient dénoncer.

Certaines entreprises ont poussé cette logique très loin. La compagnie pétrolière Chevron, dans le cadre de sa bataille judiciaire contre ses victimes équatoriennes suite aux graves pollutions qu’elle a occasionnées dans la région amazonienne du pays, a ainsi fait saisir la correspondance électronique des avocats de ses adversaires, les accusant ni plus ni moins que de racket en bande organisée. Comme si le fait pour les victimes de demander justice et réparation pouvait être ramené à une tentative d’extorsion.

Les groupes français ne se privent pas non plus d’assigner en justice syndicalistes, associations ou médias. Certains s’en sont même fait une spécialité. La firme de BTP Vinci, après que l’association Sherpa ait déposé une plainte en France pour la violation des droits humains des ouvriers migrants sur ses chantiers au Qatar, a rétorqué en déposant pas moins de quatre plaintes contre Sherpa [1] ! Dans d’autres cas, ce sont des journalistes d’investigation révélant des faits de corruption qui sont poursuivis.

Pour les entreprises, ces procès baillons représentent un coût financier négligeable ; pour des individus, des associations ou de petits médias, en revanche, la procédure s’avère souvent très lourde et pesante. Même lorsqu’ils gagnent, ils doivent généralement assumer eux-mêmes les frais de leur défense. Dans le droit français, les poursuites pour diffamation donnent automatiquement lieu à un procès, aussi faibles soient les arguments allégués par les entreprises.

Quelques États ou territoires se sont dotés de lois destinées à prévenir les procès baillons, comme le Royaume-Uni et certaines provinces canadiennes, mais ils restent l’exception.