Multinationales : les batailles de l’information

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Le Tribunal permanent des peuples (TPP), un tribunal « d’opinion et non de pouvoir »

, par SQUELBUT Héloïse

Le Tribunal permanent des peuples a consacré un grand nombre de sessions, ces dernières années, aux abus des multinationales partout dans le monde.

Le Tribunal permanent des peuples est une assemblée dans laquelle des personnalités reconnues dénoncent juridiquement des actes qu’elles estiment répréhensibles, en se basant sur le droit international. Des jurés remettent des avis consultatifs au jury qui dirige et médiatise le « procès ». Les sentences prononcées n’ont pas d’effet contraignant, mais les avis émis se veulent basés sur la législation réelle et sont communiqués aux autorités. Le premier tribunal d’opinion fut le Tribunal Russel (fondé en 1966 par J.-P. Sartre et Bertrand Russel) pour juger les crimes de guerre des États-Unis au Vietnam.

Qu’est ce que le Tribunal permanent des peuples ?

Le Tribunal permanent des peuples a été créé en 1979 par Lelio Basso sous l’égide de sa fondation éponyme. À partir de 1986, il s’est particulièrement intéressé au problème de l’impunité en Amérique latine. Il a ainsi largement contribué, avec d’autres organisations, à la prise en considération de cette notion par le droit international. Il a aussi débattu sur les fondements juridiques des programmes du Fonds monétaire international et de ceux de la Banque mondiale, ainsi que sur le célèbre cas de l’explosion à Bhopal, en Inde, de l’usine Union Carbide devenue aujourd’hui Dow Chimical. Ces dernières années, le TPP a montré un intérêt croissant pour l’action des multinationales dans le monde. Avec la Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples qui lui est associée, durant ces six dernières années, ils ont consacré l’essentiel de leurs réunions à cette problématique et aux possibilités qu’offre le droit international d’infléchir le comportement de ces entreprises.

Le cycle bi-régional (Amérique latine, Caraïbes/Europe) de six ans sur les transnationales et les traités de libre commerce a pris fin en avril 2010, d’autres perspectives sont à l’étude, telles la situation en Palestine et en Birmanie, et plus largement l’environnement. [D’autres sessions du TPP ont suivi sur la question de la responsabilité des multinationales, notamment au Mexique (2012), sur les entreprises minières du Canada (2014), ou encore une série de sessions en Asie sur la thématique du « salaire vital » dans les chaînes d’approvisionnement des multinationales du textile, de l’électronique, etc.]

Comme le précise Gustave Massiah, membre du jury du TPP, toute mise en accusation est généralement examinée à partir du moment où les violations sont effectives et que l’association qui les présente jouit d’une certaine représentativité. Si le TPP décide de ne pas consacrer une session complète à un cas, il lui est toutefois possible d’apporter un soutien et une aide en termes de documentation et de fondements juridiques. Ainsi, tout mouvement victime d’une violation de droits avérée peut porter son cas devant le TPP.

Comment fonctionne-t-il ?

  • Saisine par un mouvement (aucun critère de recevabilité excepté la représentativité du mouvement et la véracité des faits).
  • Phase d’investigation (experts bénévoles, témoignages, enquêtes en relation avec les communautés). Cette phase dure en moyenne un an. Le Tribunal décide en accord avec les parties demanderesses du lieu de réunion et de la durée du procès.
  • Invitation de l’accusé. Aujourd’hui, les membres permanents sont en train de réfléchir à un système d’avocats commis d’office pour la partie accusée car jusqu’à présent, un seul représentant de celle-ci a accepté de venir.
  • Constitution d’un jury de 8 à 12 personnes, dont la moitié juristes de formation, choisies sur une liste de juges établie auprès du secrétariat du Tribunal, qui comprend soixante membres, de trente et une nationalités différentes.
  • Examen du dossier : le Tribunal statue sur les faits qui lui sont soumis et sur ceux qu’il peut dégager ou mettre en lumière à la suite de ses investigations. Il applique les règles générales et conventionnelles du droit international et en particulier, les principes généralement admis dans les conventions et la pratique internationales relatives aux droits humains et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
  • Réunion publique au cours de laquelle sont rendues les sentences.
  • Diffusion des sentences dans les instances internationales et aux Nations unies par l’intermédiaire de la Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples. Le TPP, par son rattachement à la Fondation Lelio Basso, bénéficie du statut consultatif au Conseil économique et social. Relais au niveau national : à ce stade il appartient aux associations citoyennes de se saisir de la sentence rendue pour faire reconnaître leurs droits.

À quoi sert le TPP pour une communauté victime de violation de ses droits ?

Gustave Massiah insiste bien sur le fait que la sentence du TPP ne va pas donner lieu à une sanction de l’accusé et à une indemnisation des victimes. Elle vient appuyer les revendications d’une communauté, renforcer la légitimité du mouvement et faire appel à l’opinion publique internationale. Le TPP ne peut pas aller au-delà d’une mise en accusation. Ce qui importe, c’est qu’il puisse la fonder sur des arguments juridiques. Ses travaux contribuent à l’action de la société civile mondiale et sont portés à la connaissance de l’opinion publique par les médias. Ses sentences permettent de donner de la visibilité à des situations dramatiques dont sont responsables les multinationales et parfois les États.

Quel est l’impact des sentences ?

L’impact sur les institutions internationales ou sur les entreprises accusées est difficile à mesurer. Toutefois, il a déjà permis à une communauté brésilienne d’obtenir un compromis avec l’entreprise brésilienne Pescador en échange de ne pas présenter le cas devant le TPP. Une des sentences (celle contre Union Carbide) a également servi à une campagne de Greenpeace. Gustave Massiah compare ce Tribunal à un « petit ruisseau » qui viendrait alimenter une campagne médiatique à grande échelle.