Inde : Des conflits inter-religieux aux violences faites aux femmes, un pays sur le long chemin de la lutte contre les discriminations

Introduction

, par CID MAHT, CEDIDELP

L’Inde, terre du sacré

L’Inde se caractérise par la présence sur son territoire de pratiquants d‘une diversité inégalée de religions. L’hindouisme, dont les origines remontent à 3000 avant J.C. et qui est originaire du sous-continent indien où il s’est développé et transformé au fil des siècles, est de loin la religion dominante du pays : 82% de sa population s’y reconnaît.

Journée Ganesh visarjan à Mumbai. Photo : Chetan Karkhanis, 8 septembre 2014

Mais avec plus de 140 millions d’adeptes de l’islam (12% de la population), l’Inde est aussi le deuxième pays musulman du monde, après l’Indonésie, et à égalité avec le Pakistan. Les 6 % restants, qui concernent 60 millions de personnes, dans ce pays de plus d’un milliard d’habitants, se partagent entre une myriade de religions, dont plusieurs nées dans cette région du monde. Chrétiens (2,3 %), sikhs (2,1%), bouddhistes (1%), jaïns (0,6 %), juifs, parsis et animistes s’emploient à perpétuer leurs croyances, pensées et traditions sur la terre indienne.

Cette extraordinaire richesse témoigne de ce que l’Inde, en dépit des invasions et conflits qui ont jalonné son histoire sans guère épargner aucune religion, a également été plus d’une fois terre d’asile pour des communautés persécutées. C’est ici que les parsis, adeptes du zoroastrisme (première religion monothéiste connue) fuyant les invasions arabes et l’imposition de l’islam en Perse, ont trouvé refuge au premier millénaire après J.C. C’est aussi sans doute le seul pays au monde à accueillir sur son territoire, depuis près de 50 ans, un peuple et son gouvernement en exil : les Tibétains bouddhistes (100 000 réfugiés). C’est enfin une terre d’accueil pour des expériences internationales originales et utopiques, telles qu’Auroville près de Pondichéry.

Cela ne va certes pas sans heurts ni résistances mais les faits sont là : l’Inde est le seul pays au monde à voir coexister et vivre autant de religions.

Un Etat laïque ?

La Constitution indienne proclame l’Inde comme Etat laïque (secular Republic). Ici, la laïcité ne doit pas être entendue comme la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais comme l’absence de religion officielle et le traitement égalitaire de toutes les religions. La Constitution indienne est le premier instrument garant de cette laïcité, dont les article 25 à 30 protègent la liberté religieuse des individus. La liberté de conscience et le droit de professer, pratiquer et propager librement sa religion sont proclamés par l’article 25 de la Constitution. L’article 26 ajoute que chaque confession religieuse a le droit de gérer ses affaires religieuses, de créer et de gérer des établissements à but religieux et caritatif, et de posséder, acquérir et administrer des biens. Selon l’article 27, nul ne peut être contraint de payer des taxes destinées à la promotion ou au financement d’une confession religieuse particulière. L’article 28 interdit par ailleurs l’instruction religieuse dans les établissements scolaires publics, tandis que l’article 29 protège les coutumes et langues individuelles des citoyens indiens. Enfin, selon l’article 30, les minorités religieuses et linguistiques peuvent mettre en place et administrer des établissements d’enseignement.

Cette situation doit toutefois être tempérée par le poids de la religion hindoue, et par le pouvoir du législateur, qui reste en mesure de restreindre cette liberté religieuse. Des articles de cette Constitution sont jugés discriminatoires par certains groupes ecclésiastiques, et notamment la Conférence des évêques catholiques d’Inde. Il s’agit notamment de l’article 341 (III), selon lequel les dalits* qui se convertiraient au christianisme ou à l’islam seraient exclus de certaines mesures de discrimination positive dont ils peuvent normalement bénéficier. D’autres lois étatiques, censées promouvoir la liberté religieuse, sont appliquées de part et d’autre du pays et l’encadrent de manière rigoureuse. Or la plupart d’entre elles mettent en place des mesures visant à limiter les conversions et constituent une véritable violation à la liberté religieuse proclamée par la Constitution alors qu’elles sont pourtant validées par la Cour suprême du pays. L’Etat peut également financer des écoles religieuses et appliquer un droit privé (mariage et succession) différent en fonction de l’appartenance religieuse. Par ailleurs, la loi sur la régulation des contributions étrangères (Foreign Contribution Regulation Act) a souvent permis de restreindre l’activité de groupes religieux. Adoptée en 1975 par la Première ministre Indira Gandhi au cours de l’état d’urgence, elle permet de contrôler les financements étrangers aux organisations non gouvernementales indiennes et secteur non-lucratif dont font partie les groupes religieux et les pasteurs. Ces derniers ont ainsi été victimes de nombreux abus. En 2013, par exemple, les licences de 400 personnes morales, dont un diocèse catholique, ont été annulées.

L’Inde est ainsi bien loin de l’accalmie religieuse que sa législation prétend promouvoir. Cette laïcité dans les textes est grandement remise en cause par le poids de l’hindouisme, qui laisse peu de place à la pratique libre d’autres religions. Les persécutions visant les chrétiens et musulmans sont nombreuses, tandis que le poids des traditions hindoues est source de conflits sociaux et violations des droits de l’Homme. L’étude de la société indienne se révèle bien trop complexe pour en évaluer tous les enjeux. Les conflits religieux en constituent l’expression la plus évidente, mais l’importance des traditions hindoues s’illustre dans d’autres aspects de la société, tels que le système des castes et la place des femmes.