L’écologie, un problème de riches ?

"Les différentes solutions qu’on nous propose sont suffisantes et justes"

Épisode 6

, par ritimo

Faux !
L’aggravation du désastre environnemental pousse de plus en plus de personnes à s’engager sur le terrain de l’écologie. Des institutions aux États, en passant par les entreprises, les collectivités, les ONG ou les citoyen·nes, tout le monde développe des idées et passe à l’action pour rendre le monde plus écologique et ne pas entraver l’avenir des générations futures. Mais, dans ce foisonnement d’engagements, il faut savoir déceler les intentions : en se drapant de préoccupations « vertes », beaucoup ne veulent pas du tout changer le système et continuent d’œuvrer pour leurs propres intérêts. Ce qu’ils·elles proposent pourrait même nous faire foncer droit dans le précipice écologique plus vite que prévu. Passons au crible quelques-unes de ces fausses pistes de solutions et a contrario découvrons de nombreuses autres actions qui amplifient les résistances et les alternatives, comme autant de voies à explorer pour construire un autre monde.

La puissance des menaces environnementales et le manque de solutions dépeignent un panorama peu réjouissant et même, pour beaucoup, angoissant. Face à ces constats, certaines personnes peuvent se sentir accablées et impuissantes : que puis-je faire à mon échelle, quand celles et ceux qui ont engendré ou autorisé le saccage écologique (États, multinationales, etc.) – et qui disposeraient du pouvoir pour le stopper – ne prennent pas leurs responsabilités assez rapidement ? Si l’on pense, à juste titre, que les populations pauvres des pays du Sud, les multinationales, les milliardaires, les gouvernements ou les ONG n’ont ni les mêmes responsabilités ni les mêmes leviers d’action, il peut être tentant de se dire qu’en tant que simple citoyen·ne, on ne peut pas y faire grand-chose et de se dédouaner de ce combat parce qu’il apparaît hors de portée.
Dans le même temps, du côté des acteurs politiques et économiques, les différents protagonistes ont tendance à se renvoyer la balle, en soulignant les responsabilités des autres pour masquer les limites de leurs propres actions ou leur résistance à changer un système mortifère qu’ils ont engendré et qui les fait vivre. Les mesures écologiques en cours ou envisagées ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux ni de l’urgence à agir.
Pourtant, il n’y a pas lieu de désespérer car un basculement est en cours : chaque année, de nouvelles personnes passent à l’acte ; de nombreux travaux de recherche donnent des pistes de solutions pour sortir de l’impasse et penser le monde de demain ; les organisations de la société civile, actives depuis longtemps, agissent désormais sur tous les fronts, en croisant les différentes luttes ; de nouveaux collectifs de résistance se créent pour accélérer le tempo et promouvoir des actions de plus en plus radicales… La mobilisation s’intensifie partout, les visions du monde et les solutions qu’elle propose sont aux antipodes de celles prônées par les défenseur·ses du capitalisme vert… le ravage écologique. Entre, d’un côté, les acteur·rices du business vert ou les chef·fes d’État et fonctionnaires onusien·nes qui continuent de discuter chaque année de l’avenir du monde au sein des COP sans aboutir à des mesures efficaces, et, de l’autre, les mouvements de désobéissance civile qui investissent des Zones À Défendre (ZAD) ou bloquent des projets climaticides, les villes en transition qui visent à construire collectivement un mode de vie alternatif à l’énergie du pétrole et résilient, les mouvements qui allient luttes sociales et écologiques, il existe une panoplie de visions et de stratégies différentes, dont certaines font leurs preuves, alors que d’autres font courir de nouveaux risques pour la planète et les droits humains.
Quelles sont ces différentes stratégies pour sortir de l’ornière ? Sont-elles suffisantes et justes ? Comment se mobiliser à son échelle et trouver sa juste place dans le combat pour l’avenir et le bien-être de l’humanité et de l’environnement ? Petit tour (non exhaustif) des différents horizons…

Au rayon des solutions qui risquent d’aggraver la situation…

Certain·es acteur·rices, généralement issu·es des secteurs de pouvoir, proposent des solutions pour l’écologie qui semblent être des remèdes pires que le mal. Examinons de plus près deux d’entre elles : le capitalisme vert – servi à toutes les sauces et pourtant bien peu efficace pour freiner l’emballement climatique et le désastre environnemental en cours – et l’écofascisme, courant de pensée encore minoritaire mais dont les amalgames et solutions extra-simplistes pourraient séduire de plus en plus de personnes à l’avenir et inspirer certaines politiques de gouvernements populistes, au nom de l’écologie.

  • Le marché peut-il nous sauver ?
    En partant du principe que le marché est à même de résoudre les différents problèmes posés par la destruction environnementale, les tenants d’un « capitalisme vert » proposent plusieurs mécanismes financiers pour répondre à la crise environnementale.
    La compensation carbone en fait partie : les pollueur·ses – qu’il s’agisse d’entreprises ou de personnes – peuvent continuer de polluer dans une partie du globe s’ils·elles acceptent de payer en faisant une bonne action ailleurs (planter des arbres, financer des éoliennes, etc.). Le pollueur achète un crédit équivalent à une certaine quantité de CO2 et la somme versée finance directement ou indirectement un projet de réduction d’émissions, comme la reforestation ou un investissement dans les énergies renouvelables. D’autres instruments financiers ou labels constituent la finance verte. Il s’agit d’orienter les capitaux disponibles vers des investissements plus propres, soutenant des projets de transition écologique ou de conversion d’industrie polluante, préservant des écosystèmes en danger. Les green bonds (« obligations vertes ») ont le vent en poupe et il n’est plus aucune banque qui ne propose à ses client·es des portefeuilles de ce type.

Mais en voulant verdir la finance (une intention louable), on se retrouve à financiariser l’écologie pour lui faire une place dans le système. En lieu et place des dispositifs habituels de pilotage de la protection de l’environnement par la collectivité publique (normes environnementales qui s’imposent à tout le monde, impôts et subventions pour financer la mise en place de ces normes), c’est aux mécanismes de marché qu’est confié le soin de financer les transitions, donc de choisir les projets sur des critères de rentabilité, avec quelques avantages (des levées de fonds parfois importantes) et beaucoup d’inconvénients (la spéculation, la privatisation d’espaces naturels ou de biens communs, la poursuite de l’évitement fiscal, le greenwashing, etc.). De plus, donner un prix à la nature ne fait que renforcer les problèmes : en plus de donner carte blanche aux pollueur·ses – car la fixation d’un certain prix pour les émissions de carbone ne les freine absolument pas dans leurs activités –, ces mécanismes de compensation renouvellent une approche colonialiste de l’écologie.

Le capitalisme vert conforte une course au profit qui repose à la fois sur la marchandisation de la nature, le postulat de l’interchangeabilité des pollutions où et quelles qu’elles soient, et le mépris total des populations locales qui les subissent de plein fouet. Il ne fait donc que masquer les véritables causes du désastre environnemental.

  • Une juteuse économie verte

De nombreuses entreprises surfent aujourd’hui sur la « vague verte », à mesure que se renforce la sensibilité écologique des consommateur·rices. En effet, de plus en plus de personnes privilégient dans leurs habitudes de consommation des marques vertes, durables et engagées, souvent plus chères que la moyenne. Si c’est une bonne nouvelle en soi que le secteur privé adopte des comportements et des procédés écoresponsables, cet engouement pour l’économie verte est insuffisant pour résoudre les problèmes écologiques. Certains produits ou technologies sont effectivement moins nuisibles pour l’environnement, mais leur production exige de toute façon de grandes quantités de ressources, notamment des métaux rares extraits dans les pays du Sud par des procédés très polluants pour le sol et l’eau : c’est le cas des voitures électriques, des bâtiments « intelligents » et de certaines énergies renouvelables comme l’éolien ou le photovoltaïque. Les coûts énergétiques de fabrication des produits et technologies verts, la difficulté de leur recyclage ou réemploi, ainsi que les coûts sociaux et environnementaux pour les communautés locales affectées, ne permettent pas de conclure que leur massification est une solution pour l’environnement et l’humain.

Gare au marketing écologique !
Depuis quelques années, de plus en plus de produits et services sont présentés comme écologiques, alors que l’intérêt du produit ou du service pour la nature est minime, voire inexistant. Certaines entreprises vont même jusqu’à créer leurs logos propres verts, qui ne correspondent à aucune réglementation. Ce blanchiment écologique instaure le doute et la confusion dans l’esprit des consommateur·rices sur ce qui est vraiment écologique et sur ce qui ne l’est pas.

D’autre part, certaines grosses entreprises ont investi l’économie verte - par le biais d’investissements « propres » mais surtout par des effets de communication pour valoriser des actes ou des produits écologiques qui ne le sont pas toujours dans les pratiques - non par conscience écologique, mais plutôt pour « reverdir » leur image et parce que ce secteur est devenu très lucratif. C’est notamment le cas des entreprises aux activités polluantes, comme les multinationales de l’énergie, de la finance, de l’agroalimentaire ou du transport.

Cette « croissance verte » maintient en vie les standards capitalistes injustes ou non-durables : course à la productivité, surexploitation de ressources et d’énergies, ouverture de nouveaux marchés de produits et services écologiques, augmentation des profits pour les grands bénéficiaires du système et accroissement des inégalités. En laissant croire que les entreprises, les gouvernements et les investisseurs ont des solutions clés en main pour les problèmes environnementaux – de l’innovation technologique aux mécanismes de marché – , ce mythe de l’économie verte dédouane les grands pollueurs de leurs obligations et reporte les responsabilités sur les individus. Dans cette logique, il suffirait de généraliser une consommation plus éthique et plus verte pour que chacun·e limite son empreinte carbone et que la bataille écologique soit gagnée. De fait, cette « écologie de la culpabilité » désigne les classes modestes comme responsables – ceux·celles qui n’ont pas les moyens financiers de pratiquer ces écocomportements souvent très chers – .
À n’en pas douter, compter sur le capitalisme pour réparer les dégâts dont il est responsable ne nous conduira qu’un peu plus vite dans le mur…

Réguler le climat par la technologie, est-ce souhaitable ?
La géo-ingénierie est un ensemble de techniques qui seraient à déployer à l’échelle planétaire afin de freiner le changement climatique. Parmi ces projets étonnants, certains sont proches de la science-fiction au point que les personnes qui en font la promotion sont qualifiées « d’apprentis sorciers », comme les propositions de détourner une partie du rayonnement solaire ou de brumiser la haute atmosphère de dioxyde de soufre (comme le ferait un volcan en éruption). D’autres techniques - un peu plus avancées - sont envisagées, comme les méthodes de capture du dioxyde de carbone dont l’objectif est d’extraire le carbone de l’atmosphère – à l’aide de matières naturelles ou de machines – et de le placer dans un autre endroit, par exemple en l’enfouissant de manière permanente dans le sol.
Encore une fois, ces solutions explorées par des scientifiques servent les intérêts de ceux·celles qui sont à l’origine du désastre écologique : la promesse, vague, qu’on puisse réguler un jour le climat par la technologie, est avancée comme argument pour ne pas réduire aujourd’hui les émissions de gaz à effet de serre. Pour les géants de l’industrie fossile, la géo-ingénierie apparaît comme une nouvelle opportunité de compenser leurs émissions, et ils seront sûrement prêts à payer cher pour déployer ce genre de technologie. Ainsi la Russie et les États-Unis ont déjà inscrit la géo-ingénierie parmi leurs priorités de recherche et la Chine procède déjà à des expérimentations2. L’Europe occidentale se montre plus réservée.
Au-delà des effets indésirables, certains étant mieux connus que d’autres, à vouloir intervenir directement sur le climat, le solutionnisme technologique a tout d’un scénario catastrophe et rien ne laisse présager qu’il va s’accompagner de la réduction indispensable des émissions de gaz à effet de serre.

  • L’écologie d’extrême droite
    Des personnes ou des courants de pensée politique ont depuis longtemps établi des liens entre les thèses de l’extrême droite et l’écologie. Une écologie xénophobe prend actuellement de l’ampleur, en faisant un parallèle entre défense de l’environnement et rejet de l’immigration. Dans la pensée des personnes écofascistes, les problèmes environnementaux seraient liés aux évolutions démographiques : les populations dans les pays du Sud ayant plus d’enfants, elles deviendraient démographiquement plus importantes que les populations blanches, au point de faire disparaître ces dernières (c’est la théorie du « grand remplacement »). Cette « surpopulation » au Sud déclencherait une « invasion migratoire » au Nord, générant plusieurs problèmes en cascade dans les pays d’accueil : tensions sur les ressources et aggravation des pollutions, exacerbées par le fait que les migrant·es voudraient tou·tes adopter le mode de vie occidental, raréfaction du travail et alignement des salaires par le bas, déclin supposé de la « race blanche » et de sa civilisation, etc. Face aux différentes menaces qu’ils·elles identifient (principalement le surpeuplement et les pollutions), les écofascistes pensent souhaitable d’instaurer une dictature qui permettrait de réduire la population terrestre par la coercition [1], qui renoncerait aux technologies pour retourner à des techniques archaïques (agriculture simple, chasse, artisanat).
    Cet écofascisme trouve des résonances dans d’autres mouvances écologistes extrêmes, telles que l’écologie nationaliste qui déplore la perte du lien des peuples occidentaux avec la nature, tout en développant un nationalisme rejetant les étranger·ères. Développant une véritable mystique de la nature, ce courant de pensée développe une critique de l’industrialisation, de l’urbanisation et, par extension, un rejet plus global de la société néolibérale. Les personnes s’en réclamant prônent donc un retour au localisme, la « grande séparation » comme réponse au « grand remplacement » et la décroissance, pensée d’abord comme un refus du modernisme.
    Les droites dures occidentales s’imprègnent de plus en plus de tous ces mouvements d’écologie extrémistes et peuvent même faire des adeptes chez les écologistes, dans la mesure où ils partagent le même constat d’un monde menacé de disparition et d’une modernité qui ne cesse d’accélérer le désastre environnemental.

Une écologie meurtrière ?
Si l’écologie d’extrême droite est presque toujours radicale, elle est rarement violente. Pourtant, des faits confirment l’exception : en mars 2019, Brenton Tarrant, auteur d’une tuerie dans plusieurs mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande (50 mort·es), écrit dans son manifeste vouloir « tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement » [2]. Quelques mois plus tard, au Texas, un autre écofasciste tue une vingtaine de personnes, principalement des Latino-étatsunien·nes. Ces meurtres de masse ne sont pas seulement le fait d’individus déséquilibrés, ils sont l’ultime étape d’un programme qui, pour préserver les conditions de vie sur Terre au profit d’une minorité (blanche), prévoit de réduire le nombre de personnes (immigré·es et racisé·es) qui consomment des ressources en Occident.

Des solutions qui ne suffisent pas

La responsabilité des « consomm’acteur·rices » et l’écocitoyenneté reviennent en boucle dans les discours médiatiques et politiques : en modifiant leurs comportements par le biais de transformations personnelles, les citoyen·nes seraient capables d’impulser des changements pour l’ensemble de la société.
Pour d’autres, ces actions individuelles n’ont d’effets bénéfiques qu’à la marge et il faut impérativement contraindre les États à agir : ils seraient en effet les seuls à pouvoir véritablement mettre en place des actions fortes au regard des objectifs climatiques et des dégâts environnementaux. Pourtant, les échecs successifs des différentes conférences sur le climat de l’ONU, des Grenelle, Sommets ou autres Conventions citoyennes mettent à mal la crédibilité de ces gouvernements qui semblent n’avoir recours qu’à des effets de communication pour mieux dissimuler leur inaction.
Ainsi, pour venir à bout des crises écologiques et sociales que nous traversons, tout attendre, soit des écogestes individuels et des actions citoyennes collectives, d’un côté, soit de l’action des États, de l’autre, ne suffira pas.

  • Les écogestes : alternatives et comportements individuels ne peuvent pas tout !

Les gestes écoresponsables, également appelés écogestes ou « petits gestes », sont des actions individuelles à mettre en œuvre au quotidien pour limiter son impact environnemental, en réduisant ses consommations, la pollution ou le gaspillage. Il peut s’agir de trier et réduire ses déchets, favoriser les transports doux (vélo, transports en commun, etc.), réduire sa consommation de chauffage et d’eau, bien isoler son domicile, acheter écoresponsable ou d’occasion, devenir végétarien·ne et privilégier les produits en circuits courts
À côté de ces gestes verts, des « alternatives » surgissent d’un peu partout et séduisent de plus en plus de personnes : participer au montage d’un café associatif, faire des vélorutions (manifestations à vélo contre le règne de l’automobile), s’investir dans un jardin partagé ou dans un atelier de réparation d’objets, organiser un festival de musique solidaire, monter des projets dans les énergies renouvelables…
Tous ces gestes et alternatives ont un impact et une utilité certaine : au-delà de réduire l’empreinte carbone et les pollutions individuelles, ils participent du développement d’une conscience écologique, où chacun·e se sent plus concerné·e, et font cheminer vers des modes de vie plus axés sur les liens sociaux que sur les biens matériels. Ils sont aussi importants pour ne pas céder au fatalisme, pour ne pas renoncer, en se rappelant que le meilleur remède face aux peurs et à l’immobilisme reste l’action ! Surtout, ils contredisent les arguments immobilistes selon lesquels les citoyen·nes ne seraient pas prêt·es à modifier leurs habitudes pour contribuer aux transitions.

Pour autant, ces écogestes ne sont pas suffisants face à l’urgence environnementale. Au-delà de leur impact certes positif mais limité sur l’empreinte carbone, ils n’ont pas encore montré de capacité à transformer les structures économiques, sociales et politiques qui sont à l’origine du ravage écologique. En se focalisant sur la responsabilité individuelle, la promotion de la politique des « petits gestes » par les gouvernements et les acteurs économiques dilue la complexité des responsabilités et des obligations liées à la crise environnementale.

Et si reprendre la main sur ses conditions d’existence et leur impact sur la société passait par la consommation écoconsciente, mais aussi par l’action collective et la recherche d’alternatives qui posent les bases d’une société plus démocratique, juste, solidaire et écologique ?

Impact des écogestes : signifiant mais pas suffisant !
Dans quelle mesure l’action individuelle peut-elle permettre de limiter le réchauffement climatique à + 2° C ? Les consultant·es de Carbone 4 se sont penché·es sur cette question, dans leur étude « Faire sa part ? » [3]. Leurs conclusions mettent en évidence un réel impact des écogestes qui est cependant loin d’être suffisant. Ainsi, en adoptant un changement de comportement très ambitieux, cumulant une dizaine d’actions écocitoyennes tous les jours de l’année (végétarisme, arrêt de l’avion, trajets en vélo ou en covoiturage, zéro déchet, consommation d’objets d’occasion, etc.), un individu ne parviendrait à réduire son empreinte carbone que de 25 %. Si l’on ajoute les actions écocitoyennes moyennant investissement (rénovation thermique, changement de chaudière, achat d’un véhicule électrique, etc.), cette baisse de l’empreinte carbone pourrait atteindre 45 %.
Or il est illusoire de penser que tout le monde adoptera immédiatement un changement de comportement drastique. Les consultant·es de Carbone 4 partent donc sur une hypothèse plus atteignable d’une baisse de 20 % de l’empreinte carbone moyenne. Mais, même si cette réduction était effective, cela resterait parfaitement insuffisant pour maintenir les +2° C de réchauffement, qui nécessite une réduction de l’empreinte carbone moyenne de 80 % à l’horizon 2050.

Ces calculs montrent bien qu’une partie importante de l’empreinte carbone n’est pas modifiable individuellement, parce qu’elle dépend majoritairement des modes de production collectifs. Une action globale émanant à la fois des États et des entreprises est donc indispensable pour baisser radicalement l’empreinte carbone moyenne, ce qui suppose de réformer en profondeur le système, en décarbonant l’industrie, le système agricole, les services publics, le secteur énergétique, etc.

  • Tout attendre de l’action des États ?

L’action des États semble essentielle à plus d’un titre : à la fois régulateurs, investisseurs, financeurs et législateurs, ils jouent le rôle de « catalyseurs » à tous les niveaux. En démocratie, la population leur confère le pouvoir et la légitimité qui doit leur permettre de faire pression et de contraindre les acteur·rices qui provoquent des dégâts environnementaux.
A l’échelle d’un pays, l’État peut enclencher la décarbonation* des services publics, investir dans la rénovation des bâtiments, réglementer et légiférer sur les déchets, les énergies, l’utilisation de plastique, la conservation de la biodiversité, mais aussi sur l’agriculture et l’alimentation, favoriser le bio et l’agroécologie, au détriment des pesticides et des pratiques agro-industrielles, etc. Les États ont aussi les prérogatives pour impliquer et coordonner tou·tes les acteur·rices afin d’accélérer la transition et faire basculer des pans entiers de l’économie vers des modèles plus justes socialement et soutenables écologiquement.
De ce fait, leur inaction politique a quelque chose de désespérant. Le rôle des États semble se cantonner à faire perdurer le capitalisme néolibéral. On aurait pu imaginer que la pandémie mondiale de coronavirus allait susciter une réorientation de l’intervention publique, pour agir au nom de l’intérêt général et cheminer vers ce « monde d’après », qui devait être teinté de plus de justice sociale et écologique, d’un regain de démocratie et d’une primauté accordée aux vivant·es. Mais les mesures étatiques pendant la première année de la crise montrent, au contraire, que l’épisode de Covid-19 n’a pas modifié la tendance à la poursuite des politiques néolibérales et/ou autoritaires. Un peu partout en Europe et outre-Atlantique, les États continuent d’avancer sur les traités de libre-échange, dévastateurs pour les droits sociaux et environnementaux (Ceta, Mercosur, etc.) ; la Pologne et la République tchèque ont remis en cause le Green New Deal* ; en France, l’État a débloqué des fonds pour sauver des secteurs, y compris les plus polluants (nucléaire, pêche et agriculture industrielles, aviation, automobile, nouveaux gisements de gaz fossile), il poursuit sa politique de démantèlement des services publics, y compris dans le secteur de la santé, et a repoussé l’interdiction de l’utilisation des substances dangereuses comme le glyphosate ou les néonicotinoïdes.
Durant la période de lutte contre le virus, les mesures environnementales ont été mises entre parenthèses, mais pas celles se rapportant à l’autorité de l’État ou à la sécurité publique, dont certaines n’avaient pas de rapport avec la situation sanitaire [4].
Ainsi, les réactions des différents gouvernements face à la pandémie et aux urgences sociales et environnementales n’incitent pas à l’optimisme sur ce qu’on peut attendre des États.
D’autant moins que l’épisode de la pandémie a renforcé la défiance des citoyen·nes à l’égard de la parole publique et de la capacité de protection de l’État.
Souvent cités en référence pour donner un cadre juridique et global à l’échelle où se posent les problèmes, les espaces de concertation multilatéraux pourraient-ils contrebalancer cette impuissance ?

  • Que peut le multilatéralisme ?

Aucun gouvernement ne peut lutter seul contre les crises sanitaire, sociale, environnementale que nous traversons. Le retour à l’État-nation comme réponse à ces grands enjeux est complexe car seule une coopération internationale renforcée peut permettre d’avancer dans la recherche scientifique, climatique, sur les enjeux économiques, de santé ou de biodiversité et de construire un agenda mondial orienté vers la transition écologique et la justice sociale. Si un gouvernement national – dans l’optique de rompre avec le cadre global du néo-libéralisme – tente d’avancer seul sur ces questions, il y a fort à parier qu’il suscitera l’hostilité générale de ses homologues et que, par le jeu de la concurrence entre États promue par les grandes multinationales, il fera l’objet d’un boycott massif de la part de celles-ci, toujours en quête du « moins disant » social et environnemental.
Cependant, la coopération internationale sur de tels enjeux n’a rien d’évident : s’il faut attendre que tous les pays se mettent d’accord, n’est-ce pas le risque de maintenir le statu quo et de ne rien changer ? Pour que le multilatéralisme soit porteur d’un renouveau social, écologique et démocratique, il ne pourra donc pas se contenter de relations entre États, il devra compter sur des alliances avec d’autres acteur·rices de la société civile (ONG, mouvements sociaux et populaires, économistes, chercheur·ses et scientifiques, etc.), notamment parce que ces acteur·rices ont analysé les causes des injustices et de l’insoutenabilité ainsi que les transformations systémiques nécessaires. C’est via la coopération internationale que peuvent se reconstruire en profondeur les rapports Nord/Sud, incluant des processus de réparation [5] et une remise en question des structures du capitalisme et du patriarcat. Mais, en cherchant à préserver leurs conditions économiques, sociales, politiques qui les protègent face aux différentes crises mondiales, les États occidentaux perpétuent les inégalités existantes entre Nord et Sud et aggravent les souffrances sociales et le saccage environnemental.
Pourtant, des horizons se dessinent dans le cadre du multilatéralisme : les Green deal proposés en Europe et aux États-Unis font partie de ces programmes qui pourraient rétablir des relations internationales plus justes et un monde plus soutenable. En se fixant comme objectifs la neutralité carbone pour 2050 (zéro émission nette de gaz à effet de serre), un recours massif aux énergies renouvelables, une augmentation de l’investissement public en ciblant les profits des grandes entreprises du pétrole et en intégrant les enjeux de justice dans la transition, avec des mesures particulières pour les plus vulnérables (notamment en créant des emplois écologiques dignes), ces plans constituent une évolution positive du modèle actuel. Ces programmes présentent encore des limites importantes – comme la croyance en la toute-puissance du progrès technologique ou encore l’absence de remise en cause du productivisme et de la croissance –, mais ils sont encourageants.

COP toujours (tu m’intéresses !)
Depuis 25 ans, les Conférences des parties (COP) sur le climat se suivent et se ressemblent. Organisées chaque année par l’ONU, elles rassemblent plus d’une centaine d’États pour réfléchir et agir contre le réchauffement climatique. On y évoque la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais sans jamais fixer d’objectifs contraignants ni aborder les causes structurelles du réchauffement climatique. Chaque pays décide ainsi de ce qu’il peut faire en termes de baisse d’émissions, sans réel mécanisme de suivi ou de sanction. Rien d’étonnant dès lors à ce que ces déclarations de principe des États soient rarement suivies d’effets…
Pire, depuis plusieurs années, il semble que ces grand-messes climatiques soient une occasion de faire du nouveau business. Depuis quelques éditions, les discussions tournent de plus en plus autour de l’échange de crédits carbone et autres mécanismes de la croissance verte, donnant lieu à des marchandages constants entre pays. Les lobbys privés (multinationales, banques, etc.) se sont aussi taillé une place de choix dans ces sommets, pour s’assurer qu’aucun accord limitant le commerce, l’extractivisme, la consommation et les bénéfices ne puisse aboutir. Quand les gouvernements se rendent aux négociations, leur position est déjà influencée par les acteur.rices privé.es, notamment par les géants des industries fossiles, dont certains sont parfois sponsors des évènements onusiens.
Doit-on pour autant souhaiter en finir avec les COP ? La situation serait sans doute pire sans ces grands rendez-vous annuels et on note des avancées significatives, même si elles ne sont pas encore appliquées dans les faits… En décembre 2015, à la COP 21, le monde s’est ainsi engagé dans l’Accord de Paris, pour limiter le réchauffement climatique à +2° C d’ici 2100, par rapport à l’ère préindustrielle. 197 pays ont signé l’Accord de Paris et 183 l’ont ratifié début 2020. Bien que les engagements de ces derniers demeurent insuffisants (en l’état actuel, ils nous mènent vers un réchauffement a minima de +3° C d’ici la fin du siècle !), cet accord sert de base de discussion pour que, chaque année, les pays soumettent de nouvelles contributions déterminées au niveau national. En 2009 déjà, à Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à fournir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 aux pays en développement, reconnaissant ainsi que ces derniers ne pouvaient pas en même temps s’occuper de la pauvreté, s’adapter au réchauffement climatique et chercher à l’atténuer. Mais, une fois encore, les coulisses de cette apparente solidarité vis-à-vis des pays les plus touchés par les désastres environnementaux ne sont pas reluisants : au-delà du fait que les financements effectivement versés ne sont pas, à ce jour, à la hauteur des engagements, le financement climatique prend de plus en plus la forme de prêts, au détriment des dons, ce qui modifie en profondeur la relation entre pays donateurs et bénéficiaires et inverse les obligations.
S’il n’y a plus grand-chose à espérer de la part des États lors de ces grands rassemblements mondiaux, il est important que les COP se maintiennent parce qu’elles sont aussi des occasions supplémentaires pour les sociétés civiles du monde entier de faire entendre leur voix. Des ONG environnementales, des syndicats, des organisations paysannes, des peuples autochtones, des mouvements féministes, des mouvements religieux, des mouvements sociaux et une grande quantité d’organisations populaires organisent des contre-sommets pour construire un discours commun, mettre en avant leurs propres solutions face aux crises sociale et environnementale, affiner leurs stratégies et maintenir une pression vis-à-vis des États.

Notes

[1Les plus extrêmes se positionnent en faveur de l’eugénisme, c’est-à-dire le recours à un ensemble de méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus d’une population en se fondant sur leur patrimoine génétique (et à éliminer les individus n’entrant pas dans le cadre de cette sélection !).

[2Cité dans « Ecofascisme : comment l’extrême droite en ligne s’est réappropriée les questions climatiques », Damien Leloup, Le Monde, 4 octobre 2019.

[3« Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique », César Dugast et Alexia Soyeux, Carbone 4, juin 2019.

[4En France, pendant la période de pandémie, le gouvernement a préparé des projets de loi sur la « sécurité globale » et contre le séparatisme et fait passer des décrets sur le fichage, jugés liberticides par nombre de citoyen·nes.

[5Lire « Racisme, capitalisme : impossibles réparations ? », Mireille Fanon-Mendès France, 22 septembre 2020 (en ligne sur http://cadtm.org)