L’écologie, un problème de riches ?

"Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?"

Épisode 7

, par ritimo

Les résistances écologiques citoyennes ont une longue histoire, émaillée de beaux succès. Par le passé, seules des luttes massives et sans relâche ont permis d’arracher des victoires : si des femmes et des hommes sont venu·es à bout de l’esclavage, des colonisations historiques ou encore de l’apartheid en Afrique du Sud, l’espoir perdure. L’accélération et la démultiplication récente des actions écologistes citoyennes laissent imaginer, pour l’avenir du monde, une autre issue que celle du chaos généralisé.
Les défis pour l’écologie appellent à résister sur tous les fronts contre un modèle destructeur et oppresseur et à inventer d’autres manières de vivre, pour sortir de la dépendance aux structures du capitalisme et parvenir à cohabiter dans l’égalité et la dignité.

Pour honorer leur cause, les combats écologiques doivent aussi prendre en compte la justice sociale, les perspectives décoloniales, antiracistes et féministes, et le renouvellement de la démocratie. En faisant le lien entre tous les facteurs d’oppression et de domination, d’un côté, et les solutions pour en sortir, de l’autre, une écologie capable de protéger les plus vulnérables et ceux·celles qui sont les premier·ères victimes des atteintes environnementales peut être mise en pratique.
Il n’y aura pas non plus de futur désirable sans une transformation de notre rapport aux milieux vivants. La nature envisagée tantôt comme un réservoir de ressources à exploiter, tantôt comme un sanctuaire à protéger – quitte à la vider de ses habitant·es – contribue à mettre une distance considérable entre les êtres humains et leur environnement. C’est oublier que nous ne sommes pas situé·es en dehors de la nature, mais bien interdépendant·es et en interactions permanentes avec elle. Sortir de cette vision utilitariste nécessite de retrouver un rapport sensible et affectif aux éléments naturels, pour coexister de manière pacifiée.

Le chantier est multidimensionnel et systémique, pour autant, croiser les bras sur la question écologique en attendant un hypothétique « Grand Soir » est voué à l’échec.
Heureusement, des centaines de milliers d’initiatives partout dans le monde freinent ou empêchent les destructions et posent les jalons d’une autre civilisation, qui répondrait aux besoins humains, sans rapport d’oppression ni de domination, tout en prenant soin des écosystèmes.
Les soutenir, s’en faire l’écho, y participer ou s’en inspirer pour mieux les propager fait partie des engagements possibles et utiles. Et ce foisonnement est essentiel car il n’existe pas de « recette miracle » ni de lutte à prioriser face à l’urgence : mettre fin au désastre écologique nécessite un ensemble de tactiques, une diversité d’implications et une combinaison d’actions. Il n’existe pas non plus de hiérarchie d’échelles : seule une articulation des résistances, des alternatives et des transformations à tous les niveaux – du local au global – peut changer le système en profondeur et nous faire cheminer vers un autre monde.

Résister et mettre la pression sur les rouages du désastre

S’il est important de construire des alternatives autonomes, de nombreuses initiatives continuent de cibler les États, les multinationales et le système bancaire pour faire monter la pression, afin qu’ils changent leurs pratiques ou pour leur opposer des résistances. Les mouvements qui résistent à l’agro-industrie, à l’extractivisme, au nucléaire, aux grands projets inutiles mais aussi aux paradis fiscaux ou encore aux accords de libre-échange n’œuvrent pas seulement pour défendre l’environnement et l’avenir des générations futures. Ils mettent à mal un modèle inéquitable et insoutenable et montrent que, dès à présent, des alternatives sont possibles.
Voici quelques-unes de ces actions de résistance…

  • La justice peut contraindre les États

En 2020, on comptabilise plus de 1 500 recours juridiques pour le climat dans le monde13. La multiplication des actions en justice est rendue possible par des textes législatifs qui reconnaissent le droit de vivre dans un environnement sain ou garantissant les droits des générations futures. Même s’ils sont difficiles à faire appliquer, ce sont des éléments juridiques sur lesquels s’appuyer pour faire reconnaître la responsabilité des États. Ces actions sont portées par des ONG, des fondations, des villes ou de simples citoyen·nes, notamment parmi les jeunes générations, qui s’inquiètent pour leur avenir.
En 2011, des jeunes Étatsunien·nes ont attaqué collectivement le gouvernement fédéral pour ne pas avoir respecté ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au début rejetée par la Cour suprême, la plainte a été jugée recevable quatre ans plus tard. Des démarches collectives de ce type ont été initiées dans de très nombreux pays, sur quasiment tous les continents, et des victoires faisant date encouragent à poursuivre le combat sur le terrain juridique. Au terme de plusieurs actions en justice, les Pays-Bas ont dû adopter une loi climatique, considérée aujourd’hui comme la plus ambitieuse des pays industrialisés, visant 95 % de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2050.
En 2018, un groupe de 25 enfants et jeunes ont poursuivi l’État colombien pour son incapacité à garantir leurs droits fondamentaux à la vie et à l’environnement et ont obtenu de la Cour suprême que le gouvernement du pays mette fin à la déforestation, en lui demandant ainsi qu’aux gouverneurs des différentes provinces et municipalités d’élaborer des plans d’action pour préserver la forêt. En 2018, dix familles d’Europe, mais aussi du Kenya ou des Fidji ont porté plainte contre l’Union européenne, estimant ses engagements insuffisants pour parvenir à limiter le réchauffement climatique à +2° C. Leur plainte a été jugée recevable par la Cour de justice de l’Union européenne.

Au niveau local aussi 
 
Des villes se lancent dans la bataille climatique, en assignant les pollueur·ses en justice. Aux États-Unis, San Francisco et Oakland ont ainsi porté plainte contre cinq compagnies pétrolières. En Europe, les villes de Paris, Bruxelles et Madrid ont attaqué ensemble la Commission européenne pour lever le « permis de polluer » accordé à l’industrie automobile. En France, un collectif de plusieurs villes et ONG a assigné Total en justice en 2020 pour lui demander d’agir contre le réchauffement climatique. Le maire de Grande-Synthe, une ville du Nord très exposée à la montée des eaux, a porté plainte contre l’État français pour inaction climatique.

La multiplication de ces procédures juridiques ne s’est pas encore traduite par des condamnations et changements importants mais elle a fait émerger un réseau mondial de lutte juridique, sociale et civique qui monte en puissance et a d’ores et déjà obligé certains gouvernements à légiférer de manière plus ambitieuse sur leurs efforts climatiques.

  • Faire reculer les multinationales, c’est possible

Pas facile d’entrer en lutte contre les multinationales, tant le rapport de forces semble asymétrique ! Pourtant, de plus en plus de personnes à travers le monde osent défier leur puissance pour défendre leurs terres ou leurs ressources car il en va tout simplement de leur survie : les cas de conflits socio-environnementaux à travers le monde sont nombreux et la cartographie participative EJ Atlas en répertorie plus de 3 000 en 2020 [1]. Bien qu’il soit particulièrement ardu de mener ces combats, la résistance et la ténacité des groupes mobilisés leur permet de remporter régulièrement des victoires.

Victoires
En 2013, le peuple dongria kondh, dans l’Est de l’Inde, obtient l’abandon d’un projet d’exploitation minière de la compagnie Vedanta. L’année suivante, une mobilisation importante conduit au retrait de la Société Générale du projet Alpha Coal, une gigantesque mine de charbon en Australie. En 2017, au Salvador, des femmes obtiennent l’interdiction absolue de nouvelles explorations, exploitations ou transformations minières, ainsi que celle de l’emploi de substances toxiques comme le cyanure et le mercure. En France, une pression citoyenne d’ampleur débouche en 2011 sur l’interdiction de la technique de fracturation hydraulique, qui revient à interdire l’exploitation de gaz de schiste sur son territoire.

Parmi les dernières victoires collectives en date dans le monde, on peut citer l’abandon du gigantesque projet de mine aurifère de la Montagne d’Or en Guyane (2019) et le détournement de l’oléoduc Dakota Access à Standing Rock aux États-Unis (2020).
Ne nous y trompons pas : le rapport de force reste encore largement favorable aux multinationales et ces mobilisations se révèlent extrêmement risquées pour ceux·celles qui les mènent. Selon l’ONG Global Witness, 1 176 défenseur·ses de l’environnement ont ainsi été tué·es entre 2002 et 2015, dont une part importante de leaders autochtones. Et les années suivantes (2016 et 2017) ont été particulièrement meurtrières : plus de 400 personnes ont trouvé la mort pour avoir défendu leurs terres la forêt, ou pour s’être opposé·es à la construction de barrages, de centrales hydroélectriques ou de mines à ciel ouvert… Dans la grande majorité des cas, ces crimes sont restés impunis car, la plupart du temps, les entreprises privées bénéficient du soutien des États qui criminalisent les mobilisations contre les projets extractifs en décrétant des états d’urgence ou de siège, en utilisant le droit pour réviser des permis miniers et des titres fonciers ou en recrutant des forces de police ou de sécurité privée pour surveiller les sites d’exploitation et harceler les populations contestataires. Menaces de mort, arrestations, agressions sexuelles, enlèvements et poursuites judiciaires sont des modes opératoires fréquemment utilisés pour faire taire les défenseur·ses de l’environnement. Cette répression policière, paramilitaire et juridique n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans une continuité historique des persécutions contre les peuples autochtones et colonisés, où les droits des entreprises priment sur ceux des populations locales.

Malgré ce durcissement de contexte, les mobilisations contre les multinationales se renforcent pour imposer une reconnaissance juridique du statut de victimes, obtenir des réparations, exiger le respect du droit à l’autodétermination des habitant·es et à la gestion de leurs territoires, ainsi que pour mieux encadrer les activités des multinationales.

  • S’impliquer dans des actions directes, du blocage au sabotage…

Signer des pétitions, participer à des marches pour le climat, interpeller nos dirigeant·es ou faire des plans d’action avec les mairies et les collectivités peut parfois nous sembler manquer d’efficacité alors que le temps est compté pour infléchir la trajectoire actuelle.
Aujourd’hui, les tenant·es d’une écologie radicale sont de plus en plus tenté·es par les actions directes : en France, des militant·es décrochent les portraits du président de la République dans les mairies pour dénoncer son inaction, des grèves pour le climat s’organisent un peu partout dans le monde, les sites des grandes multinationales (Amazon, Monsanto, etc.) ou ceux liés aux énergies fossiles sont régulièrement occupés… Et de nombreuses actions s’organisent localement pour attirer l’attention médiatique et citoyenne sur les mécanismes du désastre écologique et pour perturber, bloquer, désorganiser les infrastructures du système !
Visant à provoquer des réactions fondées sur la transgression des normes du débat démocratique ou sur la désobéissance civile, les actions directes ne conviennent pas à tout le monde. Certaines d’entre elles nécessitent de prendre des risques personnels (physiques ou judiciaires) que beaucoup de personnes ne sont pas prêtes à assumer. Par ailleurs, ces risques ne sont pas les mêmes pour tout le monde : il est aujourd’hui documenté que les violences policières et les sanctions pénales touchent plus fréquemment les classes défavorisées et les personnes racisées que le reste de la population. Cependant, ces actions ne supposent pas obligatoirement d’être sur le théâtre de l’action : la prise en charge de la logistique, de l’intendance, de la relation avec les médias est aussi utile à ces mobilisations...
Les actions directes pour l’écologie en Occident s’inscrivent dans une histoire de confrontation et de désobéissance qui remonte aux années 1970 : des mouvements comme Greenpeace [2] ou Sea Shepherd mènent des opérations périlleuses en mer, notamment contre les pétroliers, la chasse à la baleine ou contre le nucléaire civil et militaire. Ces organisations veulent « sauver la planète » et pratiquent pour cela un activisme radical, qui consiste à s’interposer physiquement pour dénoncer des scandales environnementaux.

Des succès mémorables
L’organisation Greenpeace a remporté de nombreux succès, parmi lesquels le renoncement des États-Unis à leurs essais nucléaires en Alaska (1972), l’abandon des essais nucléaires atmosphériques de la France en Polynésie (1974), l’interdiction définitive de l’immersion des déchets radioactifs (1993), l’abandon des projets de forage de Shell en Arctique (2015). L’activisme risqué, tenace et médiatisé pratiqué par l’organisation est une stratégie souvent gagnante : il a permis d’importants changements à travers le monde.

De nombreuses actions directes se veulent radicales, c’est-à-dire qu’elles s’attaquent aux racines du système qui engendre le ravage environnemental. Cette radicalité peut porter sur deux aspects différents : sur le projet politique – en imaginant une sortie du capitalisme, du productivisme et du patriarcat – ou sur les moyens employés. Mais ces actions radicales coexistent aussi avec un projet visant à réformer le capitalisme (et non à en sortir), ce qui peut entraîner des divergences entre mouvements.
D’autres questions, stratégiques, politiques ou éthiques, divisent également : celle du nombre – est-il plus efficace de mener des actions de masse ou des actions ciblées par de petits groupes radicaux ? –, la question de savoir jusqu’où il est possible de pousser le rapport de forces avec les gouvernements ou les acteurs privés, et celle du recours à la violence : est-il légitime d’utiliser la violence (cf encadré) pour stopper l’écocide ?

Violence ou non-violence ? Ce débat qui fracture le milieu écologiste
Les luttes non violentes, menées par des leaders devenu·es de véritables icônes (Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela et d’autres), ont participé à changer le cours de l’Histoire. À côté de ces mobilisations pacifiques ont coexisté des luttes plus violentes. La lutte pour les droits civiques du peuple noir étatsunien aurait-elle pu remporter ses victoires sans l’action des Black Panthers, qui ont théorisé et mis en pratique l’usage de la violence à des fins politiques et d’autodéfense ? Dans le combat pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud, peut-on oublier que le Congrès national africain s’est lancé dans la lutte armée clandestine en 1961 ? En Inde, Gandhi serait-il sorti victorieux sans les émeutes rurales violentes contre l’occupant anglais dans tout le pays ? Ainsi les expériences d’action directe issues des luttes anti-impérialistes des Suds ont bien souvent été accompagnées d’épisodes violents, en réponse à la violence de la colonisation.
L’histoire des luttes pour l’écologie est, elle aussi, traversée par des épisodes classés comme violents : des mouvements antinucléaires ont eu recours aux sabotages et à la destruction matérielle, notamment à l’époque des constructions de centrales. Aujourd’hui, des mouvements comme le Deep Green Resistance, né aux États-Unis dans les années 2010, prône l’usage de l’action directe violente pour mettre fin à l’industrie fossile.
Cette question de la « violence » est complexe car nous n’avons pas tou·tes la même perception de ce qui est violent et de ce qui ne l’est pas : peut-on mettre sur le même plan la destruction matérielle et l’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, voire son assassinat ? Et pourtant, ces différentes actions directes sont souvent rangées dans la même case et réduites au même niveau de violence.
Dans le milieu écologiste, les débats autour des stratégies créent de vives tensions dans la mesure où la stratégie des un·es est perçue comme susceptible de gêner la tactique des autres. Dans les arguments utilisés par les adeptes de la non-violence, ce mode opératoire permet de rallier plus de monde, par la diversité des formes d’action qu’il propose (des actions symboliques ou humoristiques aux actions d’occupation ou de blocage) et, en bénéficiant d’un plus grand soutien au sein de l’opinion publique, de s’assurer une position plus favorable pour négocier avec les gouvernements. Dans le rapport de force, la non-violence est aussi plus déstabilisante pour les policier·ères qui peuvent hésiter avant d’avoir recours à la force face au pacifisme.
Mais tout le monde n’est pas d’accord avec cette stratégie : la violence exercée sur certains groupes en particulier (violences institutionnelles et policières) et les violences qui découlent du système plus globalement justifient pour certaines personnes des réponses violentes en retour. Pour elles, la violence contre les structures du système capitaliste mondial est légitime, étant donné que ce système est lui-même générateur d’oppressions, de destructions et de discriminations : il détruit la vie et il faut y mettre fin. Le choix personnel de cette tactique est souvent mal perçu dans l’opinion et mal traité par les médias qui n’abordent pratiquement jamais la question de la légitimité des usages de la violence, pour rejoindre le plus souvent les récits et points de vue de la police (qui a recours à une forte répression à leur égard).
Cette différence dans les stratégies produit parfois des crispations qui peuvent empêcher d’identifier des objectifs et des adversaires communs, d’être solidaire vis-à-vis des plus exposé·es et de faire oublier que la diversité de tactiques n’empêche pas les victoires.

Actions directes : des idées pour s’impliquer !
 En Allemagne, chaque année, le collectif Ende Gelände bloque durant une journée l’immense mine de lignite à ciel ouvert de Garzweiler.
www.ende-gelaende.org/fr
 Extinction Rebellion (XR) organise régulièrement des Semaines d’action dans plusieurs villes de France, propose de bloquer des sites industriels, des aéroports, des chantiers en cours, des centres commerciaux et même des ministères ! XR organise aussi des marches, des happenings, des occupations festives de l’espace public, etc.
https://extinctionrebellion.fr
 Action non-violente COP21 (ANV COP21), est la branche « résistance » du mouvement Alternatiba, rendue célèbre par ses actions de « fauchage de chaises » dans les banques et de décrochage de portraits présidentiels dans les mairies. ANV COP21 propose aussi des actions de blocage, des intrusions chez les pollueur.ses et des occupations de l’espace public.
https://anv-cop21.org
 Résistance à l’agression publicitaire (RAP) organise des actions dans les différents lieux comportant de la publicité agressive pour lutter contre ses effets négatifs sur l’environnement et les citoyen·nes.
https://antipub.org
 La Ronce propose des actions directes, anonymes, décentralisées pour empêcher le fonctionnement de ce qui détruit le vivant (actions contre les Sport Utility Vehicles (SUV), les produits Monsanto, les trottinettes électriques, etc.).
https://twitter.com/laronce
 Youth for Climate, mouvement lycéen et étudiant international pour le climat, organise des grèves pour le climat sur les territoires.
https://youthforclimate.fr
 Cartographie des collectifs qui se battent contre des sites et projets polluants ou injustes à travers la France ou contre les grands projets inutiles.
https://superlocal.team/
https://reporterre.net/La-carte-des-luttes-contre-les-grands-projets-inutiles

  • Assécher financièrement les pollueur.ses

Les actions directes de blocage de chantiers ou de sites industriels, les intrusions chez les pollueur·ses peuvent bloquer momentanément les activités climaticides. Mais des actions peuvent être plus spécifiquement menées pour s’attaquer à ce qui motive plus que tout les auteur·es du désastre : l’argent ! Par exemple, si l’on veut laisser au maximum les énergies fossiles dans le sol, on peut décider d’asphyxier financièrement les pollueur·ses. C’est sur ce pari qu’est né le mouvement mondial de désinvestissement des énergies fossiles [3], parti d’abord des universités étatsuniennes pour gagner ensuite le reste du monde. Des ONG, des fondations, des organisations confessionnelles, des universités et de nombreuses villes et métropoles étatsuniennes ou européennes ont donné l’impulsion et appelé dans la foulée les grands actionnaires à se défaire de leurs participations dans le secteur du pétrole, du gaz ou du charbon. On comptabilise ainsi 1 246 organisations et 58 000 personnes gérant 14,1 trillions de dollars d’actifs [4] qui ont désinvesti des énergies fossiles, ce qui correspond au plus important mouvement financier jamais observé dans l’histoire de l’économie mondiale.
En France - comme dans de nombreux autres pays -, le désinvestissement progresse mais la transition écologique de la finance est encore loin. En effet, les banques, les compagnies d’assurance et les institutions publiques continuent d’apporter un soutien financier massif aux énergies fossiles (sous formes d’exonérations fiscales, de subventions directes, de prêts ou de dons versés au titre de l’aide au développement, de portefeuilles d’actions et d’obligations). Ce soutien financier est effectué avec notre argent : raison de plus pour manifester notre désaccord avec cette utilisation de nos impôts, retirer notre épargne placée dans des banques climaticides et poursuivre la mobilisation citoyenne appelant au désinvestissement des énergies fossiles. Des associations comme Oxfam, les Amis de la Terre ou Bank Track produisent régulièrement de l’information sur ce que font les banques avec notre argent et initient des campagnes pour qu’elles arrêtent de financer des activités nuisibles pour les humains et la planète en s’engageant sur des projets plus soutenables.

Placer intelligemment son argent, ça rapporte gros (à l’écologie !)
Notre argent placé en banque génère la majeure partie de nos émissions de carbone annuelles. Quand on en a assez de voir son épargne financer des projets qui détruisent les écosystèmes et les communautés locales, on peut choisir de sortir son épargne des banques pour la placer ailleurs. Par exemple :
 Terre de liens, pour que notre épargne serve à la préservation des terres agricoles et à l’agroécologie.
https://terredeliens.org
 Énergie partagée accompagne et finance des projets citoyens de production d’énergie renouvelable.
https://energie-partagee.org
 Blue Bees facilite la réalisation de projets autour de l’agriculture et l’alimentation durables.
https://bluebees.fr
 La coopérative financière La Nef s’oriente vers des projets ayant une utilité sociale, écologique et/ou culturelle.
https://www.lanef.com
 Finansol accompagne les épargnant·es solidaires grâce à l’attribution d’un label qui permet de distinguer les placements solidaires.
www.finansol.org
Rappelons enfin qu’il est possible de changer de banque, afin de choisir un établissement qui ne finance pas (ou le moins possible !) les changements climatiques.
Pour en savoir plus sur la démarche : http://financeresponsable.org

Intensifier les alternatives, du local à l’international

Freiner au maximum les destructions engendrées par le système actuel est nécessaire mais poser les bases d’un monde plus juste et plus soutenable l’est tout autant.
Beaucoup d’actions s’effectuent aujourd’hui au niveau individuel, pour inventer de nouvelles façons de vivre, autonomes et solidaires : des personnes en quête de sens quittent des postes salariés parfois bien rétribués et partent au vert pour cultiver des légumes, ouvrir des lieux de vie collectifs ou pour rejoindre des ZAD déjà existantes ; des citoyen·nes s’investissent sur leur lieu de vie dans des jardins partagés, dans l’accueil de réfugié·es, dans des groupes de réflexion, d’entraide ou dans la lutte politique… Un mouvement social et écologiste foisonnant est déjà à l’œuvre.
Construire ce monde émancipé nécessite aussi de changer d’échelle et de mettre en œuvre les alternatives à un niveau plus collectif : par la mise en place de réseaux internationaux, comme la Via Campesina qui construit un monde agricole respectueux du vivant et des paysan·nes, par l’expérimentation de politiques locales afin d’accélérer la transition et modifier nos vies quotidiennes, par des expériences de vie collectives menées en autonomie ou d’autres initiatives émanant des associations ou de mouvements sociaux.
Passons en revue quelques-unes de ces expériences, qui sont autant de signes que la marche actuelle du monde n’est pas une fatalité et que la mise en place d’alternatives systémiques peut esquisser des futurs plus désirables.

  • Le pouvoir du local

Selon le Réseau Action Climat, les collectivités territoriales ont une responsabilité indirecte sur 50 % des émissions de gaz à effet de serre (via leurs propres bâtiments mais aussi leurs décisions en matière d’aménagement, de transport, d’énergies) et 50 à 70 % des leviers d’action contre le dérèglement climatique se trouvent à leur échelon [5]. Lorsque leurs exécutifs en ont la volonté, les collectivités ont en effet la légitimité de freiner l’utilisation des combustibles fossiles, de réduire la quantité de déchets produits, de développer l’accessibilité aux transports doux, de développer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, de renforcer l’économie circulaire et locale, de développer l’agroécologie et une alimentation collective saine et locale, de faciliter l’accès au logement, tout en veillant à ne laisser personne sur le carreau de la transition. Des outils spécifiques existent d’ailleurs pour conjuguer impératifs écologiques et justice sociale. C’est par exemple le cas des « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Lancée en 2017, cette expérimentation pilotée par ATD Quart Monde veut montrer qu’en se mobilisant sur le territoire il est possible de proposer un emploi durable à toutes les personnes dites « privées ou éloignées de l’emploi ». Déployé sur 10 territoires différents le dispositif a permis de créer des Entreprises à but d’emploi (EBE), en tenant compte des préoccupations écologiques. Ainsi, parmi les 950 personnes ayant retrouvé un emploi en CDI, beaucoup travaillent dans les domaines de la recyclerie ou de la ressourcerie, la mise en valeur des espaces verts, l’agriculture urbaine, la réutilisation des déchets, etc. Après des premiers résultats encourageants, et malgré des difficultés identifiées face à ces nouveaux défis, cette expérimentation va être étendue à 50 territoires.
Le pouvoir des collectivités s’incarne aussi dans leur capacité à résister à des mesures socialement injustes ou écologiquement dommageables. En 2019, plus d’une centaine de maires ont ainsi pris des arrêtés anti-pesticides de synthèse et anti-glyphosate, dépassant de ce fait leur domaine de compétence (normalement, ces mesures relèvent de la compétence des préfets). Ces arrêtés ont été systématiquement attaqués par l’État et, pour la plupart, retoqués par la justice administrative. Toutefois, en novembre 2019, deux arrêtés anti-pesticides à Sceaux et Gennevilliers ont été validés par le tribunal administratif au nom du « danger grave » des pesticides pour la population. Cette décision qui pourrait faire jurisprudence marque un tournant dans la lutte des maires contre l’épandage des produits chimiques [6] et nourrit le vaste débat sur l’usage des pesticides près des habitations.
D’autres exemples illustrent cette capacité à résister à des orientations nationales ou multilatérales : en France, en 2020, 840 collectivités se déclarent « hors TAFTA-CETA-Mercosur » [7] ou « en vigilance », pour demander la suspension ou l’abandon de traités de libre-échange qui ne font qu’accélérer la mondialisation néolibérale et productiviste, au détriment du climat, de la biodiversité et des emplois.
En 2020, le futur déploiement de la 5G, nouvelle technologie très haut débit, pousse également certain·es acteur·rices des collectivités à s’engager : en France, 70 maires signent une tribune pour demander au gouvernement un moratoire sur la 5G, arguant de la nécessité d’un vrai débat démocratique sur le sujet, notamment quant à la présence massive d’antennes de communication et à leurs effets sur la santé des populations et sur l’environnement.
Enfin, certaines collectivités ne se cantonnent pas à promouvoir des alternatives écologiques et sociales sur leur seul territoire : elles coopèrent à travers le monde pour initier un changement d’échelle. C’est le cas de réseaux comme Énergie Cités, association européenne de villes en transition énergétique, du Conseil international pour les initiatives écologiques locales (ICLEI), où plus de 1 750 collectivités - représentant 20% de la population mondiale - ont adopté des objectifs écologiques notifiables et mesurables, ou encore du Cities Climate Leadership Group (C40), un réseau qui rassemble les 85 villes les plus importantes du monde en lutte contre le réchauffement climatique.
Contraintes par les règles européennes sur les marchés publics, par les lois nationales sur la répartition des compétences (notamment juridiques), par les règles budgétaires et de financement applicables aux autorités locales, et par l’asymétrie de pouvoir avec les tenant·es d’une économie mondialisée, nombreux·ses sont les acteur·rices locaux·les de la transition sociale et environnementale à exprimer leur frustration. La rénovation des infrastructures prend bien plus de temps qu’on ne le souhaiterait, le poids de la dette écrase les municipalités, et les multinationales attaquent les villes devant les tribunaux européens pour les empêcher de réguler efficacement leurs activités. Ces nombreuses limites indiquent une chose : l’échelle locale n’est pas en soi la panacée.

Engager la transition écologique sur nos territoires !
C’est le défi que se sont lancé Alternatiba, ANV-COP21 et le Réseau Action Climat depuis 2017 avec le programme Alternatives Territoriales, qui multiplie les plaidoyers et les mobilisations citoyennes afin d’interpeller les élu·es pour la mise en œuvre d’alternatives. Le projet est porté par des centaines de citoyen·nes sur tous les territoires pour renforcer la justice sociale et la transition écologique dans leurs villes et leurs villages.
Une des premières actions est d’inciter les collectivités à adopter des plans climat qui ont un lien avec la vie quotidienne : limiter la place de la voiture en ville, favoriser des filières agricoles bas carbone pour se nourrir sainement en préservant la planète, développer des énergies renouvelables, etc. Puisque la construction des plans climat nécessite une consultation publique et de la concertation avec les citoyen·nes, Alternatives Territoriales propose d’accompagner ce processus par la formation, afin de rendre les sujets complexes plus accessibles, pour une meilleure compréhension citoyenne des politiques locales.
Les groupes locaux d’Alternatives Territoriales ont aussi profité des élections municipales de 2020 pour pousser les candidat·es à revoir à la hausse leurs programmes en matière d’écologie et de social. Leur incombe désormais un suivi vigilant des engagements des nouveaux·elles élu·es, afin de s’assurer que leurs promesses de campagnes se traduisent en actes !

Rejoindre un groupe local : https://alternatiba.eu/alternatives-territoriales

Villes en transition

Né en 2006 en Grande-Bretagne, sous l’impulsion de Rob Hopkins, enseignant en permaculture, le mouvement des « Villes en transition » vise à transformer les villes dans un double objectif : à la fois pour les rendre plus écologiques en les décarbonant, et plus résilientes et autonomes, afin de résister aux chocs. Les villes en transition proposent de construire la résilience à l’échelle d’une ville, d’un quartier ou d’un territoire plus vaste, en y renforçant les savoir-faire, l’autonomie, les ressources et les liens afin d’y réduire la vulnérabilité. Ce mouvement veut aussi accélérer la transition écologique. Concrètement, il s’agit de réduire la consommation d’énergie en ville, de développer des transports propres, de créer des réseaux d’énergie renouvelable localement ou encore de valoriser l’agriculture urbaine. Cette transition repose sur la mobilisation locale de citoyen·nes, qui ont envie d’agir concrètement et qui s’investissent par exemple dans l’agriculture, grâce à des jardins partagés, des composteurs, des toits végétalisés, ou pour transformer les relations humaines et les systèmes d’échange. Les acteur·rices des Villes en transition souhaitent en effet remettre le collectif, la solidarité et la relocalisation au cœur des rapports sociaux, par les systèmes d’échanges locaux (SEL), les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), les monnaies locales, les habitats participatifs, les ressourceries.

Rappelons toutefois que 90 % des Villes en transition comptent moins de 20 000 habitant.es [8]. Parce que la résilience et l’autonomie supposent de garder le sens de la mesure, les petites villes ou moyennes villes sont davantage concernées. À l’inverse, le changement dans les grandes villes semble beaucoup plus compliqué à mettre en place.
On compte actuellement une centaine d’initiatives dans une vingtaine de pays et même les grandes villes comme Londres, Houston, San Francisco, Sao Paulo, Sydney, Bologne, Munich, Genève, Barcelone, Paris ou Lyon se mettent à développer aussi leur projet de « Villes en transition ».
https://transitionnetwork.org

Construire l’autonomie

  • Repenser la démocratie

L’inertie des décideur·ses politiques face à la gravité des crises, leur renoncement à construire un projet de société alternatif qui réponde aux aspirations sociales, féministes et écologiques des citoyen·nes, posent de façon très pressante la question d’un renouveau démocratique. En effet, quoiqu’on pense de la démocratie formelle, s’en tenir à implorer l’action de la représentation nationale et des gouvernements est insuffisant. En mettant en œuvre le principe de la démocratie directe, il est possible de remettre les citoyen·nes au centre des décisions publiques et de la sauvegarde de l’intérêt général. Des initiatives et dispositifs se multiplient dans cet objectif : candidatures citoyennes aux différentes élections, assemblées citoyennes et populaires, jurys citoyens, référendums, etc. De plus en plus de mouvements veulent faire de la politique autrement, en recueillant l’avis et les préoccupations des gens, en réfléchissant à la participation politique, pour dépasser l’entre-soi de militant·es politiques, en agissant de façon décentralisée, pour s’attacher aux solutions locales qui marchent, avec un accent fort sur les valeurs d’écologie et de solidarité.
Dès les années 1960, le philosophe et anarchiste étatsunien Murray Bookchin a pensé la gestion démocratique des territoires comme solution à la crise écologique, au capitalisme, mais aussi au sexisme et au racisme. En prônant une démocratie radicale et une écologie sociale, il a voulu amener chacun·e à retrouver son pouvoir d’agir et à prendre part aux décisions de la cité, au lieu de les subir passivement. Son projet s’appuie sur de grands principes essentiels : la décentralisation, pour exercer un contrôle local sur les structures politiques et empêcher un groupe particulier de dominer ; la démocratie directe et locale, sous la forme d’assemblées populaires rattachées aux communes, elles-mêmes reliées entre elles en tant que confédération (ce qu’on appelle le communalisme) ; l’économie municipalisée, gérée par les citoyen·nes, devant répondre aux besoins essentiels pour une vie décente, sans porter atteinte au vivant ; des technologies libératrices et compatibles avec l’écologie ; un autre rapport au temps et à l’environnement, qui permette le bien-être psychologique, physique et social des personnes.
Le projet d’écologie sociale imaginé par Bookchin inspire aujourd’hui de nombreuses personnes qui veulent changer en profondeur la société : des révoltes et révolutions telles que les Printemps arabes, les Indigné·es espagnol·es, Occupy Wall Street, Nuit Debout, le Rojava kurde, les occupations de ZAD, les Gilets jaunes en France, ou encore les 180 « Villes Sans Peur » (Fearless Cities) qui remettent au goût du jour le municipalisme ainsi que toutes les autres expériences de communalisme qui transforment les villes et les villages à partir de la base.

  • L’autonomie dans les territoires : l’exemple des Zones à défendre

Acronyme détourné de l’officiel « Zone d’aménagement différé », les « Zones à défendre » (ZAD) sont nées dans les années 2000, en réaction à des projets d’aménagement de territoires jugés inutiles et imposés, destructeurs des écosystèmes et pour leurs habitant·es. En occupant ces territoires menacés par la bétonisation ou par l’extractivisme, le but premier des « Zadistes » est de forcer l’État, la collectivité ou l’entreprise à renoncer à ces projets.
Plusieurs d’entre elles, en France, ont obtenu des résultats, comme en témoignent l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en janvier 2018, celuidu Center Park de la forêt de Chambaran à Roybon en juillet 2020 et celui d’EuropaCity à Gonesse en 2020.
Très rapidement, au-delà de la défense d’un lieu de vie et des usages qu’en ont ses habitant·es, les ZAD sont devenues des lieux d’expérimentation d’une certaine autonomie politique, où se mettent en pratique des modes de vie plus durables, plus écologiques. Dans ces lieux d’occupation se côtoient des personnes aux profils assez différents, provenant de toute la France et de l’étranger : des écologistes, des altermondialistes, des libertaires, des paysan·nes résidant sur la zone, des étudiant·es et enseignant·es ou encore des précaires. Dans la vie autogestionnaire qu’adoptent ces « occupant·es » , pas de place pour l’autorité ni la hiérarchie. Chaque décision de la vie en communauté se fait en assemblée générale, de manière horizontale. La rupture avec les organisations politiques traditionnelles se veut totale, de sorte qu’aucune récupération ne puisse être possible.
Dans le quotidien, l’autonomie comme mode d’action est la règle, pour permettre de redéfinir des normes d’existence, libérées de l’emprise marchande ou technique. On y expérimente la gratuité, l’usage collectif des biens, une relation sensorielle et affective avec le territoire, ses plantes, ses animaux, des savoir-faire qui initient d’autres façons d’habiter et de se nourrir (chantiers collectifs, récoltes, recyclage, construction d’équipements). Les ZAD débordent de projets et d’initiatives de toutes sortes qui créent des modes de relation différents, fondés sur la solidarité et l’apprentissage du commun. Bien sûr, les ZAD connaissent des conflits internes et des heurts comme tout espace de vie collective et doivent faire face à des tâtonnements comme tout projet expérimental. En tout état de cause, ce qui se vit dans ces territoires libérés de l’économie est très fécond pour la lutte écologiste.

  • Autonomie au quotidien, l’exemple de l’énergie
    La recherche d’autonomie peut concerner le quotidien. Dans des communautés, des tiers-lieux, des fermes collectives, des lieux récupérés ou squattés, mais aussi sur les lieux de travail, dans les foyers, dans les associations et dans les petites villes, il est possible de faire valoir des choix qui dessinent les contours d’une autonomie, individuelle et collective, pour assurer nos besoins de base en dehors de l’économie et des infrastructures du capitalisme. Par exemple, pour se libérer des énergies fossiles, réduire sa consommation est un préalable, mais devenir producteur·rice de sa propre énergie est une suite logique. L’avantage incontestable de l’autonomie énergétique, c’est ne pas dépendre de quelques grandes entreprises qui distribuent l’énergie de manière verticale en continuant à promouvoir les énergies fossiles ou le nucléaire. Dans ce cadre produire son électricité, c’est prendre vraiment conscience de sa consommation et adopter les gestes adaptés à ses usages. Car, rappelons-le, l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas.
    Concrètement, pour devenir autonome en énergie de façon individuelle, on peut installer chez soi ou à côté de chez soi des outils de production d’énergie renouvelable : panneaux solaires, éoliennes, géothermie, etc. qui couvrent tout ou partie de sa consommation. Si la production est excédentaire par rapport à la consommation personnelle, on peut alors fournir d’autres personnes en électricité.
    On peut participer à des collectifs citoyens de production d’énergie ou en créer de nouveaux – en s’investissant pleinement dans le développement des projets ou en y plaçant son épargne –.

Autonomie énergétique en France
Début 2019, on comptabilise 270 projets d’énergie citoyenne (fermes solaires, parcs éoliens, projets de méthanisation ou de géothermie, etc.), portés par des collectifs d’habitant·es et accompagnés par des investisseur·ses particulier·ères. Ce mouvement en plein essor prouve que les citoyen·nes veulent participer aux prises de décision sur leur territoire et qu’ils·elles sont des acteur·rices clés pour accélérer la transition énergétique.

  • Construire une écologie sociale et populaire dès à présent

« L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise », rappelle le philosophe Pierre Charbonnier [9].
Elle divise les gouvernements, qui continuent de s’accrocher à une croissance fondée sur les énergies fossiles et l’extractivisme, et d’autres acteur·rices politiques plus mobilisé·es sur l’écologie ; elle divise les pays riches et les pays pauvres, inégalement exposés et avec des moyens très différents pour se protéger et s’adapter ; elle divise les classes privilégiées et les classes populaires, à l’intérieur de ces mêmes pays, qui n’ont pas du tout les mêmes possibilités d’accéder à un environnement sain et une bonne santé.
Cette fracture s’exacerbe encore quand l’écologie apparaît comme un mode de vie atteignable et bénéfique pour certain·es, et comme une fiction ou un fardeau (avec des mesures pénalisantes !) pour les autres.
Pour que cette fracture ne soit pas une fatalité, la parole des populations précaires et des plus impacté·es dans les pays pauvres doit servir de boussole pour construire une écologie sociale et populaire dès à présent. Comme le souligne ATD Quart Monde [10], les personnes en situation de pauvreté peuvent se sentir très concernées par les questions écologiques et la protection de la nature. Beaucoup d’entre elles développent une écologie invisible (hors des radars médiatiques), issue des difficultés matérielles auxquelles elles sont confrontées, diminuant de façon très concrète leur impact sur l’environnement. Leur mode de vie sobre, leurs capacités d’entraide et de coopération sont riches en enseignements pour tou·tes les militant·es de l’écologie. Cependant, cette sobriété est parfois le signe de l’impossibilité de satisfaire les besoins fondamentaux, mettant en danger les personnes, ce qui n’est pas acceptable. Une écologie qui ne reproduit pas les inégalités passe donc nécessairement par la prise en compte de la réalité des plus pauvres et la justice sociale. « Pour beaucoup de personnes en situation de pauvreté, le discours dominant demeurera peu crédible tant qu’il prônera le changement des pratiques individuelles, sans oser s’attaquer à la remise en question du système dans sa globalité », rappelle le rapport d’ATD Quart Monde.

D’autant plus que les personnes les plus affectées par un système d’oppression sont celles qui ont les réponses les plus pertinentes pour changer le système. « Nous devons prendre le leadership, car nous sommes les mieux placé·es pour déterminer et agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles nous sommes confronté·es. Nous vivons les problèmes, nous avons les solutions. » [11] rappelle Cindy Wiesner, du Grassroots Global Justice Alliance.
Le combat écologique ne se gagnera pas sans alliance à tous les échelons : mouvements de paysan·nes et de petit·es producteur·rices, militant·es contre l’extractivisme, communautés autochtones, personnes en lutte contre le racisme systémique et le patriarcat, classes populaires urbaines et précaires, mouvements sociaux anticapitalistes en révolte de par le monde, etc.
Toutes ces personnes, souvent organisées en mouvements ou en collectifs, ont développé des pratiques et des savoirs essentiels pour habiter le monde autrement.
La pluralité des modes d’actions ne doit pas être perçue comme un frein : c’est au contraire la possibilité de donner une place à tout·es au sein des luttes pour gagner en efficacité. Elle suppose de se défaire d’une compétition à la radicalité et d’abandonner les postures dogmatiques, qui exacerbent les tensions et divisions entre partisan·es du changement, alors que les acteur·rices du désastre continuent tranquillement leur travail de sape. « On est toujours le bisounours ou le black block de quelqu’un (…) On a besoin d’étapes, on ne passe pas de la lecture de Pablo Servigne à du sabotage d’engins directement » [12] analyse l’écosocialiste Corinne Morel Darleux suite à son observation de la construction des parcours militants.
Pour peu qu’elle arrive à atterrir sur des objectifs communs, cette pluralité d’actions et de tactiques est une richesse car elle tient compte de réalités multiples et complexes : la lutte écologique s’attache à transformer en profondeur la société, elle doit intégrer les multiples questionnements (et donc les réponses multiples) qui la traversent, depuis différentes positions.

Même si chacun·e se mobilise dans sa communauté en fonction de ses priorités, des îlots de résistance et d’actions peuvent converger vers des objectifs similaires par la mise en réseau et la coopération. Ce n’est qu’en agissant reconnecté·es les un·es avec les autres, de manière permanente, que l’on peut espérer faire sauter les verrous, déstabiliser les pouvoirs et remporter plus de victoires.
La tâche peut paraître immense mais nous sommes de plus en plus nombreux·ses (bien plus nombreux·ses que les acteur·rices du désastre !) à penser que le système touche à sa fin et à poser les jalons d’une société post-capitaliste ici comme ailleurs.

L’écologie populaire en action !
Cette écologie sociale et populaire est déjà une réalité : en attestent plusieurs luttes menées ces dernières années. À Villeurbanne, un syndicat de locataires d’un quartier d’habitat social se mobilise pour exiger l’accélération de la rénovation thermique de leurs logements. À Paris, une organisation de parents d’élèves réclame depuis 2019 des mesures pour réduire la pollution de l’air affectant l’école de leurs enfants. En Gironde, d’autres parents d’élèves, mobilisé.es pour refuser l’implantation d’un nouveau collège à 50 mètres de vignes cultivées avec des pesticides, ont obtenu de la commune un arrêté anti-pesticide, mais aussi la conversion du domaine viticole au bio. Ces luttes se rapprochent de la conception d’« écosyndicats », créée par le brésilien Chico Mendès dès les années 1960, pour décrire l’organisation des travailleur·ses récoltant le caoutchouc des hévéas qui se sont mobilisé·es contre l’abattage des forêts. En France, le ReAct (Réseaux pour l’action collective transnationale) et l’Alliance citoyenne s’efforcent de soutenir et de généraliser ce type de mobilisations et d’organisations.
https://alliancecitoyenne.org

Notes

[1https://ejatlas.org/ (octobre 2020)

[2Lire : Greenpeace France, une histoire d’engagements, David Eloy, Greenpeace, Les Liens qui Libèrent, 2019.

[3Voir les campagnes « Go Fossil Free » et « Fossil Free Europe » lancées par l’ONG 350.org : gofossilfree.org

[4Source : http://divestinvest.org (octobre 2020).

[5Source : 5e Rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 2014.

[8Lire : « Le malaise vis-à-vis des grandes villes est grandissant ». Entretien avec le géographe Guillaume Faburel, Annabelle Laurent, Usbek & Rica, 4 octobre 2020 (disponible en ligne).

[9« L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise », Pierre Charbonnier, Le Monde, 14 mai 2020.

[10« Pour une écologie qui ne laisse personne de côté », Rapport ATD Quart Monde, 2020.

[11« Justice climatique et justice sociale, c’est le même enjeu : entretien avec Cindy Wiesner », Reporterre, 6 novembre 2017.

[12Intervention de Corinne Morel Darleux à Marseille, 7 septembre 2019.