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De Palestine à Paca, sensibiliser au sort d’un peuple

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Sans subventions, car le sujet est bien trop politique pour les institutions, associations et collectifs construisent des ponts, quasi à mains nues, entre la Palestine et la région Paca...

Ça râle dans les rangs du cinéma Les Variétés à Marseille ! Ce jeudi soir 9 janvier, une soixantaine de personnes n’a pas réussi à avoir de place pour Le Char et l’Olivier, une autre histoire de la Palestine. Pour sa première – et l’une des rares – projection dans la cité phocéenne, le film fait salle comble. Ce premier documentaire de Roland Nurier raconte la construction de l’État juif en prenant le contre-pied d’un discours trop souvent entendu sur l’équilibre des responsabilités, alors qu’il y a bel et bien un occupant et un occupé…

Le travail du réalisateur, très documenté, est fait d’images d’archives et d’actualité, ainsi que de témoignages de spécialistes du Proche-Orient, juifs et arabes, des historiens, des journalistes, des juristes, des experts de l’ONU… Son film a été sélectionné dans de nombreux festivals et Roland Nurier fait la tournée, encore trop confidentielle, des cinémas de France qui veulent bien l’accueillir.

« Il en est à 30 villes mais ce n’est pas assez pour déconstruire l’inconscient, car on a soixante-dix ans de propagande derrière nous », souligne Pierre Stambul, vice-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP). Lui et son épouse, Sarah Katz, qui vivent à Marseille, accompagnent le film dans les salles « car on s’est aperçu que les gens venaient plus nombreux lorsque la projection était accompagnée d’une conférence ». Parler de la Palestine, de l’occupation, remettre en question l’Etat d’Israël sont des sujets sensibles en France, Paca n’y échappe pas. Et ceux qui s’attellent à faire entendre cet autre discours rencontrent parfois des difficultés.

Pierre Stambul est régulièrement la cible de dénonciations calomnieuses de la part d’activistes sionistes israéliens, comme Ulcan, et cela va parfois très loin. En 2015, il se retrouve en pleine nuit face au Raid qui après avoir défoncé sa porte, puis l’avoir menotté et violenté, le met en garde à vue pendant sept heures. « Tentative d’assassinat sur son épouse » est la raison invoquée, alors que cette dernière dort paisiblement à côté de lui. Un très mauvais canular…

Sans le sou

Mais le plus souvent c’est plutôt au portefeuille que les associations ou collectifs défendant la cause palestinienne sont touchés. « Nous n’avons aucune subvention », souligne Pierre Stambul. L’UJFP en avait sollicité une, il y a quatre ans, auprès du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), dans le cadre du programme de lutte contre les discriminations : « On avait décidé de faire un livre et des clips vidéo avec pour thème « la parole juive contre le racisme », et lorsqu’on a réactualisé l’édition, on a obtenu une nouvelle subvention. Sauf que dans cette nouvelle publication on avait intégré la notion de racisme d’Etat et de sionisme. Et là, ça n’a pas plu. »

Le CGET a engagé une procédure de recouvrement pour les 18 000 euros engagés contre l’UJFP qui a été condamné à rembourser. Roland Nurier, lui, n’a pas trouvé de producteur, il a dû s’autofinancer. Il en est actuellement à 8000 euros de découvert personnel. « Il a trouvé un petit distributeur, Destiny Films, qui a pris un risque, mais un bon risque », note Pierre Stambul qui raconte que l’un des membres, d’origine juive, s’est fâché avec toute sa famille parce qu’il a accepté de distribuer ce film.

Quelques jours avant la projection de Roland Nurier, la psychiatre et psychothérapeute palestinienne, Samah Jabr, était dans les Bouches-du-Rhône pour accompagner le documentaire qui lui est consacré Derrière les fronts, résistances et résiliences en Palestine. La réalisatrice et le Collectif solidarité Palestine de Martigues ont assuré la venue du médecin, à leurs frais. Là non plus aucune aide extérieure. « Tout au long de l’année, on organise des activités qui nous ramènent un peu d’argent pour faire vivre l’association, sinon on n’a aucune subvention », explique Thierry, membre du collectif.

Les mairies de Martigues et Gardanne (13), encore à gauche, mettent des salles à disposition si besoin. Le collectif a demandé une subvention, une fois, au Conseil régional, sans succès. On n’est clairement pas dans une région sensible à la cause. « A l’époque de plomb durci (2008-2009), la droite et le PS avaient manifesté à Marseille à l’appel du Crif en plein massacre, souligne Pierre Stambul. A Nice la complicité avec Israël est encore plus ouverte. L’historien et écrivain israélien Schlomo Sand [1] se voit régulièrement interdit de conférence. »

En 2017, Christian Estrosi, actuel maire (LR) de Nice et alors président de région, s’était rendu à Haïfa pour planter des arbres [2] à l’invitation du KKL. Cette association ni écologiste, ni humanitaire, a toujours eu pour but d’acquérir, par tous les moyens, les terres des Palestiniens. «  Lorsque Estrosi va planter un arbre, et Michel Vauzelle, ancien président de région PS, avant lui, c’est un acte de colonisation », poursuit Pierre Stambul.

Avec détermination

Depuis 2014, le Collectif solidarité Palestine de Martigues, qui compte une quarantaine de militants, est très actif et met un point d’honneur à créer des ponts avec les territoires occupés, en organisant de nombreux échanges entre les deux rives, à travers des tournois de foot notamment (De Gaza à Gardanne : espoir, béquilles et ballon rond, le Ravi n°176). « On s’est dit que c’était idiot de ne parler de ce peuple que lorsqu’il est bombardé », souligne Thierry. Cette année le collectif a mis en place un groupe « santé », pour répondre par exemple aux besoins de prothèses sur Gaza. Mais qui va aussi s’occuper de santé mentale.

D’où la venue de Samah Jabr. Elle tisse, comme elle l’a déjà fait avec les États-Unis, l’Angleterre ou la Belgique, un réseau de praticiens français et notamment de Paca et de Palestine pour travailler ensemble sur le sujet du traumatisme sous l’occupation. Ainsi débute leur Charte : « Nous croyons que les droits humains sont essentiels à la santé mentale : les professionnel.le.s de la santé mentale se doivent de jouer un rôle dans la mise en lumière des violations des droits humains en Palestine. Cette tâche nous incombe du fait de notre agenda commun de santé publique et les responsabilités morales inhérentes à notre profession. » Le prochain voyage en Palestine, qui aura lieu au printemps, permettra de consolider ce réseau « santé ». Pour Thierry, il est important de se rendre sur place, « parce qu’il faut voir la situation pour pouvoir en parler plus facilement. Savoir et voir, c’est différent ».

Encadré : Samah Jabr, une femme en résistance

Samah Jabr vit et a grandi à Jérusalem. Elle a d’abord fait des études en médecine générale avant de se spécialiser en psychiatrie. Et de partir étudier à l’étranger, notamment en France. Psychiatre et psychothérapeute, à 43 ans, elle dirige l’Unité de santé mentale du ministère palestinien de la santé. Depuis les années 2000, elle publie aussi des chroniques [3] qui témoignent des conséquences psychiques de la vie sous l’occupation israélienne.

La Cisjordanie ne compte que 22 psychiatres pour trois millions d’habitants, et seulement une dizaine de psychologues cliniciens à Gaza. Dans ces conditions, selon elle, il est important de former d’autres personnes, dont ce n’est pas le métier, à l’écoute, afin qu’ils puissent donner des « conseils éclairés », notamment les imams.

Samah Jabr a mis en place aussi un réseau international de professionnels en santé mentale afin de réfléchir ensemble sur la question du traumatisme sous occupation. Elle collabore aussi bénévolement à un plaidoyer sur les tortures infligées au prisonniers des geôles israéliennes. Dans le but d’une future et espérée réparation judiciaire mais surtout afin de faire savoir aux tortionnaires que leurs agissements sont connus et consignés.

« Le traumatisme du peuple Palestinien impose l’impuissance totale de ce peuple, explique-t-elle. Ce n’est pas un acte accidentel mais délibéré, à travers toutes les mesures politiques qui sont prises. Le trauma c’est le désastre d’impuissance. Faire en sorte que les gens puissent garder leur récit, leur mémoire personnelle ou collective, qu’ils puissent faire face et reprendre leur capacité à agir, malgré le traumatisme, c’est ce que j’essaie de faire à travers mon travail. Car le soin psychologique est un acte contre l’impuissance. »

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