Ici c’est-là bas et là-bas c’est ici

Shams on you !

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

En Tunisie, l’homosexualité est passible de trois ans de prison et le test anal est toujours pratiqué. L’association Shams fait le pont entre Tunis et Marseille pour aider, au mieux, ceux qui veulent rester et ceux qui sont déjà partis...

« En Tunisie, quand on est homosexuel, on apprend à se faire discret, mais surtout on apprend à se taire », explique Yacine [1], 24 ans, étudiant à Aix. Comme beaucoup d’autres LGBTIQ [2] tunisiens, il a choisi de partir. Dans son pays, l’article 230 du code pénal prévoit jusqu’à trois ans de prison pour homosexualité. En février dernier, un homme de 26 ans victime de viol qui avait déposé plainte suite à son agression a été au final condamné à six mois de prison pour sodomie. Et deux mois pour dénonciation calomnieuse par le parquet de Sfax, après avoir subi un test anal. Une pratique qui va à l’encontre des droits humains mais toujours d’actualité en Tunisie. En 2018, 127 personnes ont été condamnées pour homosexualité, contre 56 en 2016, les juges sont de plus en plus stricts, influencés par le parti islamiste Ennahda.

« En réalité, ce n’est pas trois ans que l’on prend mais la perpétuité. Car lorsqu’un homosexuel sort de prison il ne devient pas hétéro pour autant. On sait tous que la prison ne change pas l’orientation sexuelle », souligne Mounir Baatour, avocat à la Cour de cassation et président de Shams [3] Tunisie. Cette association a été créée par un franco-tunisien en 2015. « Il y a des associations qui s’occupent des droits des minorités et des droits de l’Homme, mais Shams est la seule en Tunisie qui, dans ses statuts est ouvertement déclarée “de défense des minorités sexuelles et de plaidoyer de la dépénalisation pour l’homosexualité” », précise l’avocat.

Hormis quelques tracasseries administratives, au début le gouvernement ne semble pas tiquer sur l’objet même de l’association. Mais quelques mois après l’obtention de son agrément, il leur intente un procès visant à suspendre leur activité et dissoudre Shams affirmant que cette dernière aurait dévié de son objet déclaré. « Pour eux les minorités sexuelles ce ne sont pas les homosexuels…, ironise Mounir Baatour. D’ailleurs, le gouvernement n’a pas donné de définition de ce qu’est une minorité sexuelle devant le tribunal qui a déclaré, en ouverture de procès, que nous étions dans notre bon droit. Et a levé la suspension de nos activités. » 

Rester discret...

Mais trois ans après, Shams se retrouve en appel, le gouvernement ayant contesté le premier jugement en faveur de l’association, l’audience a été renvoyée au 3 mai prochain, le temps de préparer leur défense. Mounir Baatour est inquiet : « Leurs arguments ont dévié de façon dangereuse, le chargé de contentieux de l’État a commencé à dire que défendre les droits des homosexuels est contraire aux mœurs musulmanes et islamiques du peuple tunisien, que l’homosexualité est étrangère aux mœurs du peuple et que la défendre porte atteinte à l’Islam. »

Les membres essaient de ne pas afficher leur appartenance à l’association et tentent de rester discrets. «  On garde notre local secret par crainte d’attaques. On a reçu des menaces d’y mettre le feu », explique le président de l’association qui, lui-même, a été cambriolé plusieurs fois. Car si la défense des droits des homosexuels est soutenue par les intellectuels, les artistes et les francophones, une frange de la population y reste farouchement hostile. « Être homosexuel en Tunisie c’est être sous pression permanente. Et pour ceux chez qui ça se voit le plus ce sont des brimades incessantes, des coups parfois, des viols aussi », explique Yacine qui, évoluant dans un milieu protégé, a par chance échappé au pire.

Shams Tunisie compte 138 000 abonnés sur sa page Facebook. Grâce à Internet, et aussi à sa radio Shams Rad, première radio LGBTIQ du monde arabe, qui diffuse témoignages, analyses politiques et conseils juridiques, l’association parvient à toucher le plus grand nombre mais surtout les homosexuels les plus isolés et au delà de la Tunisie. Avec le temps et la médiatisation, "Shams" est aussi devenu une insulte : « Au lieu de dire à quelqu’un qu’il est pédé, on lui dit qu’il est un Shams », explique Mounir Baatour. 

L’association tente de faire évoluer la société et les mentalités par des opérations coup de poing, l’an dernier notamment en faisant un sitting devant l’ordre des médecins pour exiger l’arrêt du test anal : « On prend des photos et on dégage avant que la police n’arrive », précise l’avocat. Une autre fois les forces de l’ordre les ont empêchés de déployer un drapeau gay et ont arrêté quatre manifestants. Passer par la case prison c’est prendre le risque, là aussi, d’être violé, et que la police se défoule sur vous. Sans parler du casier judiciaire qui est marqué du sceau de votre appartenance sexuelle. Difficile alors de trouver un emploi.

...ou partir

Bien souvent il ne reste pas d’autre solution que l’exil. Lorsque les réfugiés arrivent en France c’est Olivier Morin, coordinateur de Shams Tunisie à Marseille [4] qui prend le relais. « C’est très bien que, pour une fois, la coopération se fasse dans ce sens, des pays du Maghreb vers la France », note le bénévole. La cause lui tient à cœur, la Tunisie c’est son second pays, et il était déjà là à la création de l’association. Olivier Morin s’occupe de trouver aux réfugiés où dormir, et les aide dans leurs démarches. « Je vois assez rapidement s’ils sont réellement homosexuels ou pas, précise-t-il. Si ce n’est pas le cas - c’est arrivé seulement deux fois -je les dirige vers d’autres structures. Nous sommes la seule association défendant les droits des homosexuels à être encore debout dans le Maghreb-Machrek, vous imaginez l’appel d’air ! Les jeunes savent que “la filière gay” fonctionne et certains, on peut le comprendre, essaient de s’y engouffrer. » À ce jour, le bénévole n’a pas eu à traiter de dossiers de femmes lesbiennes. « Je pense qu’elles passent par d’autres réseaux », note-t-il.

L’Ardhis, association basée sur Paris qui a pour objet de faire reconnaître les droits au séjour et à l’asile des personnes homosexuelles et transsexuelles étrangères, prend en charge de nombreux dossiers adressés par Olivier Morin. 90 % des dossiers présentés par l’Ardhis reçoivent une réponse favorable de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).

« Souvent ce sont les mères qui les poussent à fuir, car elles ont peur pour eux, explique une travailleuse sociale qui intervient auprès des demandeurs d’asile sur Marseille. Ils subissent énormément de pression des habitants de leurs quartiers et surtout de ceux qui se prennent pour les gardiens des mœurs musulmanes. Ils essayent d’être les plus discrets possible, mais un homme encore célibataire à 30 ans pose question. » Certains lui ont raconté qu’arrivés à Marseille, ils continuaient d’être harcelés par des membres de leurs communautés. « Ils sont terrifiés par l’idée que la famille l’apprenne », précise Olivier Morin. Même à distance des frères, par exemple, les menacent encore…

Encadré : et ailleurs ?

Le Maroc condamne dans son code pénal des « actes obscènes ou contre natures » à deux ans d’emprisonnement. Trois ans aussi pour les Algériens homosexuels. Un mois à deux ans pour le Liban. En Égypte, en 2016, onze personnes ont été condamnées à des peines allant de trois à douze ans d’emprisonnement pour « débauche et incitation à la débauche ». Une dénomination qui permet à l’Égypte de condamner l’homosexualité de façon détournée, cette dernière n’étant pas formellement interdite par la loi.

En Turquie, l’homosexualité est dépénalisée depuis 1858, mais les actes homophobes sont très présents. La dépénalisation en Israël date de 1988, une union civile est possible. Union civile également légalisée à Chypres (2015), en Croatie (2014), Grèce (2016), Italie (2016).

Le mariage homosexuel est reconnu en Espagne (2005), à Malte (2017). La France l’a adoptée en 2013 après plusieurs semaines de débats parlementaires et de manifestations. Ce qui n’empêche en rien les agressions homophobes (en hausse de 15 % en 2018).