Nicaragua : aux origines du grand embrasement

Concentration et personnalisation du pouvoir

, par CDTM 34

L’autocratisme qui règne au Nicaragua est l’aboutissement d’une stratégie développée de longue date par Daniel Ortega. En 2014, il fait adopter par le parlement une réforme de la constitution qui supprime l’interdiction d’effectuer plus de deux mandats consécutifs et modifie les règles du scrutin : un seuil de 35 % des voix suffit dorénavant pour être élu président. Ortega peut donc être élu dès le premier tour, à une majorité relative.

Portrait de Daniel Ortega. Image de hafteh7. Source Pixabay.

Le couple présidentiel, Daniel Ortega et Rosario Murillo, élue vice-présidente en 2016, assure le contrôle de l’ensemble des institutions, d’une bonne partie des médias, de plusieurs grands groupes entrepreneuriaux, de la police et de l’armée. Leurs enfants occupent des postes clés dans toutes les sphères de la vie économique et politique du pays. Leur domicile est le siège du FSLN.

Pour renforcer son pouvoir, Ortega s’assure le soutien de la hiérarchie de l’Église catholique conservatrice dont l’archevêque et cardinal Miguel Obando y Bravo, qui s’était fait connaître pour son opposition farouche à la théologie de la libération pratiquée par nombre de communautés de base catholiques sandinistes. La réconciliation est annoncée de façon spectaculaire et désormais le discours du président fait constamment référence à l’autorité divine. En 2006, pour plaire à ses nouveaux et nouvelles allié·es, Ortega, converti au catholicisme, apporte son soutien à l’adoption par l’Assemblée d’une loi interdisant totalement l’avortement [1].

Ortega perd ses soutiens extérieurs

À partir de 2015, dans un retournement de conjoncture internationale, la coopération avec le Vénézuela et avec les États-Unis s’écroule : le Vénézuela, en crise, suspend son aide [2], les cours des matières premières chutent et le climat des affaires avec les États-Unis se détériore.
Les États-Unis qui jusque là ne trouvaient rien à redire aux affinités géopolitiques du Nicaragua avec Cuba et le Vénézuela, dans la mesure où elles garantissaient ses intérêts économiques, sa coopération dans la lutte contre le trafic de drogue et une certaine stabilité régionale, amorcent un revirement lorsque le climat intérieur du Nicaragua est à la contestation sociale. Les États-Unis diminuent alors l’aide accordée au Nicaragua et conditionnent leur coopération à la tenue d’élections libres et à la lutte contre la corruption [3].

L’alliance entre le gouvernement d’Ortega et les grands groupes privés est ébranlée. Le gouvernement doit diminuer ses dépenses et les avantages accordés au patronat et à l’oligarchie locale. L’activité économique et les conditions de vie se dégradent, le chômage augmente. En 2017, plus de la moitié de la population ne peut se payer la « canasta basica » (les produits vitaux du quotidien). Une crise économique et sociale s’installe durablement.
Diverses contestations populaires se manifestent contre des mesures portant atteinte aux droits des femmes, contre des concessions minières ou pour soutenir la souveraineté paysanne, mais elles sont vite réprimées.

Notes

[1Cette interdiction, y compris en cas de viol et de danger pour la mère, dénoncée sans succès par les mouvements de femmes, a donné lieu à une augmentation des accouchements de mineures et de la mortalité maternelle au Nicaragua.

[2’essentiel du pétrole consommé au Nicaragua provient, aujourd’hui, des États-Unis.

[3Le Congrès des États-Unis vote, en 2016, le Nicaraguan Investment Conditionality Act (NicaAct), projet de loi imposant une série de sanctions économiques et politiques au Nicaragua. Le « NicaAct », confirmé en 2018 sous la présidence de Donald Trump, s’oppose notamment à ce que le gouvernement nicaraguayen bénéficie de prêts de la part des institutions financières internationales.