La Géorgie au coeur d’enjeux internationaux

Le Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) : une région riche et convoitée

, par Forum Réfugiés

1991, année de l’apogée des vieilles tensions territoriales : Indépendances nationales des pays du Caucase du Sud (ou Transcaucasie)

À deux reprises au cours du XXème siècle, les trois États qui forment ce que l’on appelle le Caucase du Sud (région plus communément appelée Transcaucasie par la Russie) se sont émancipés de la tutelle russe pour retrouver leurs indépendances nationales.

D’abord en février 1918, lorsqu’une éphémère confédération nommée Transcaucasie voit le jour suite à l’effondrement de la Russie tsariste. Cette République démocratique fédérative regroupait les États actuels de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie. Dès mai 1918, ces trois États choisissent de se désolidariser. La République de Géorgie voit le jour le 26 mai 1918. En 1921 cependant, elle ne peut résister à l’invasion de l’Armée Rouge, et devient République socialiste autonome. Sous l’influence de l’URSS, les trois États de Transcaucasie sont de nouveau réunis en 1922, sous le nom de République transcaucasienne soviétique, pour finalement retrouver leur autonomie propre en 1936, mais toujours sous le giron de l’URSS.

En 1991, la chute de l’URSS permet à ces trois Etats d’envisager leur avenir en tant qu’Etats indépendants. La Géorgie, l’Arménie, et l’Azerbaïdjan choisissent alors l’indépendance nationale pour chacun. Les nouvelles élites de ces trois nouveaux Etats se trouvent ainsi face à deux principaux défis : redresser une économie exsangue et assurer l’autorité de l’État sur l’ensemble de leurs territoires nationaux.

Très rapidement cependant, des conflits inter et infra-étatiques éclatent : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, territoires géorgiens, exigent leur autonomie, et l’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent le territoire du Haut-Karabagh, peuplé majoritairement d’Arméniens, mais sous la tutelle de Bakou (capitale actuelle de l’Azerbaïdjan) depuis 1923 avec un découpage administratif imposé par l’URSS.

Ainsi dès 1992, l’Ossétie du Sud proclame son indépendance à la faveur d’un référendum non reconnu par la communauté internationale, suivi par l’Abkhazie. Les indépendances de ces deux territoires seront reconnues par la Russie en 2008. Le Haut-Karabagh déclare, quant à lui, son indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991 (seulement reconnue par l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et la Transnistrie), soutenu par l’Arménie. Ces volontés d’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie trouvent leur fruit dans leur statut d’entité autonome (oblast autonome) au sein de leur République socialiste respective sous l’ère soviétique. Les Abkhazes quant à eux ont souffert de graves discriminations durant cette période, leurs représentants dénonçant régulièrement la « géorgisation » du territoire (interdiction d’enseigner en langue abkhaze, répression des manifestations, et déportations des militants abkhazes).

La bataille pour le transport et l’accès aux ressources de la mer Caspienne : entre alliances régionales et coup de force militaire

Outre ses problématiques « internes », la région du Caucase du Sud est au cœur d’enjeux internationaux où plusieurs acteurs entrent en jeu. Sa position géographique fait en effet d’elle le « carrefour énergétique de l’Europe de l’Ouest ». Pour beaucoup, les trois États du Sud-Caucase ont souffert de l’absence d’un cadre régional stable, les plaçant ainsi à la merci des variations des relations internationales et des intérêts de chaque acteur. Ainsi les autorités russes considèrent le Caucase comme historiquement lié à la Russie, qui s’est arrogée le rôle de gendarme de la région, prétextant la nécessité d’assurer un certain ordre sécuritaire à ses portes pour sa propre sécurité. Suite au refus en 1992 de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie d’adhérer à la création d’une force militaire de maintien de la paix dans le cadre de la Communauté des États indépendants (CEI), la Russie soutient militairement l’Arménie face à l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabagh, ainsi que les forces abkhazes et ossètes dans le conflit géorgien entre 1992 et 1994. Sous la pression, la Géorgie adhérera en 1993 à cette force militaire, et acceptera de signer des accords permettant à la Russie de maintenir ses bases militaires pour une période de 20 ans : quatre bases accueillent ainsi 8000 soldats russes sur le territoire géorgien.

La volonté de la Russie de conserver un certain contrôle sur la région au nom d’un passé commun est cependant surveillée de près par d’autres acteurs, dont les intérêts énergétiques supposent de veiller à de bonnes relations diplomatiques avec les pays transcaucasiens, et à une stabilité de la région. L’ouverture en 2005 de l’oléoduc dit BTC (pour Bakou, Tbilissi, Ceyhan), marque une certaine victoire diplomatique pour l’Occident, et pour l’Union européenne en particulier, tout comme son équivalent gazier BTE (pour Bakou, Tbilissi, Erzeroum).
En ne passant pas par son territoire, la Russie perd le contrôle d’une partie de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne. Ces routes de transports ont été complétées par une ligne ferroviaire dite BTK (pour Bakou, Tbilissi, Kars, en Turquie). Ce corridor énergétique a pu jouer un rôle de résolution de conflits en participant à l’intégration de certaines minorités ethniques dans les États-nations traversés par ce corridor (Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie), en participant au développement économique et donc en favorisant l’intégration politique de régions souvent désœuvrées.

Cependant, la mise en place de ce corridor énergétique a été inefficace, voire a participé à l’aggravation des « conflits gelés » dans la région : les conflits abkhaze et ossète en Géorgie, et du Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. Sans négociations sur l’approvisionnement des ressources de la mer Caspienne, la Russie ne semble en effet pas encline à accompagner de véritables négociations de paix. Cela d’autant plus que les États-Unis, désireux de garder un certain contrôle sur ce « balcon sur le Moyen-Orient » qu’est le Caucase du Sud, multiplient les aides et investissement financiers, et participent aux formations militaires. Une situation que Gaïdz Minassian, chercheur en science politique n’hésite pas à décrire comme « une nouvelle guerre froide » dans son ouvrage de 2007.